La décision de Pêches et Océans Canada de fermer tous ses laboratoires étudiant la pollution chimique de l’eau a de quoi étonner pour un pays qui a le plus long littoral du monde et aussi les plus grandes réserves d’eau douce.       

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      Mais un examen plus attentif des recherches publiées par les responsables de ces laboratoires montre à quel point leur travail nuisait à plusieurs industries: aquaculture, exploitation pétrolière, pétrochimie, agriculture industrielle, etc.
Les chercheurs, des toxicologues, biologistes ou chimistes, souvent des sommités dans leur domaine, ne vont pas nécessairement quitter le gouvernement fédéral. Mais ils n’exerceront plus leur fonction actuelle, qui est de surveiller à long terme la pollution chimique qui empoisonne les animaux aquatiques et éventuellement les êtres humains.
Le ministère des Pêches et Océans n’a pas voulu préciser combien il économisait en fermant ces cinq laboratoires et en supprimant 55 postes. Les compressions découlant du dernier budget fédéral totalisent 79 millions de dollars à Pêches et Océans Canada, qui comprend la Garde côtière. Cependant, une source interne affirme que le programme de surveillance des polluants coûtait 12 millions par année.
Le gouvernement Harper a prévu une somme de 1,4 million «pour permettre au Ministère de faire face aux priorités» dans le domaine.
Une somme ridicule aux yeux du toxicologue Peter Ross, un des chercheurs licenciés. Il est un des pionniers mondiaux de l’étude de l’effet de la pollution chimique sur la santé des mammifères marins. Il a montré que les orques étaient encore plus contaminées que les bélugas. Il travaille à l’Institut des sciences de la mer à Sidney, dans l’île de Vancouver.
Le gouvernement Harper a soumis tous les chercheurs fédéraux à de strictes règles quand vient le temps de parler aux médias. Mais M. Ross a décidé de ne plus en tenir compte. «Je serai probablement à la porte le 1er novembre», dit-il en entrevue avec La Presse.
«Ça fait 15 ans que je travaille pour le gouvernement d’un pays qui se voit comme un des meilleurs du monde pour la recherche sur les eaux douces et les océans, dit-il. On a de très bons chercheurs qui publient beaucoup, qui ont été très actifs sur le plan international. Par exemple, les règles de la convention de Stockholm sont basées sur nos recherches qui démontraient qu’il y avait beaucoup de polluants persistants qui se retrouvaient dans l’Arctique.»
Cette convention internationale entrée en vigueur en 2004 réglemente les polluants organiques persistants (POP), comme le DDT et les BPC. Ce sont des «substances chimiques extrêmement dangereuses qui demeurent intactes dans l’environnement pendant de longues périodes», affirme le Programme des Nations unies pour l’environnement.
L’industrie chimique s’est opposée à l’adoption de ce traité et continue de lutter contre l’ajout de nouvelles substances à la liste de celles qui y sont soumises. Une fois qu’elles sont sur la liste, la convention met en place des mécanismes pour réduire et éliminer à terme «leur production, leur utilisation, leur commerce, leur rejet et leur stockage».
«Je travaille pour un pays qui représentait un phare pour les chercheurs d’autres pays, poursuit M. Ross. Maintenant, les choses ont complètement changé. On élimine la capacité de découvrir les problèmes qui pourraient nuire à la santé des Canadiens ou de l’environnement, qui pourraient représenter des problèmes sociaux ou économiques dans le futur.»
Rendre service aux Canadiens
Peter Ross ne croit pas que l’expertise gouvernementale en toxicologie de l’environnement puisse être remplacée par des contrats universitaires ou privés.
«Pour comprendre les polluants dans l’océan, il nous faut des navires, des experts qui nous aident à atteindre différentes populations de poissons, dit-il. C’est ce que nous avons: on a une incroyable capacité logistique. On a sept brise-glaces, des hélicoptères, des agents de pêches. Pour un universitaire, ce sera beaucoup plus difficile à obtenir.»
«Dans le secteur universitaire, il y a de la très bonne recherche qui se fait, dit-il. Mais la distinction entre un chercheur gouvernemental et un chercheur universitaire est importante. Moi, je suis là en plus pour conseiller le ministre, pour traduire ce qui se passe dans le monde entier pour que nos gestionnaires puissent mieux gérer, prévenir des catastrophes et répondre aux accidents. Je me sens obligé d’apprendre sur des polluants que je ne connais pas. Un universitaire n’est pas lié par cette obligation de rendre des services aux Canadiens.»
«J’aimerais bien devenir un prof maintenant, mais est-ce que je vais sentir la même obligation d’être là pour protéger les océans contre tous les polluants? Non. Je vais poursuivre mes objets de curiosité, je vais faire des publications spécialisées.»
CINQ CHERCHEURS QUI DEVRONT CHANGER D’EMPLOI
MICHAEL IKONOMOU
DIRECTEUR
Laboratoire régional d’analyse de dioxine. Colombie-Britannique
Lors de la fondation du laboratoire en 1990, on s’intéressait surtout aux dioxines, aux furannes et aux BPC, mais, depuis, plusieurs autres substances ont attiré l’attention des chercheurs: phtalates, ignifuges bromés et produits pharmaceutiques. Au cours des dernières années, le laboratoire de M. Ikonomou s’intéressait notamment aux «perturbateurs endocriniens chimiques des effluents industriels et municipaux».
KENNETH LEE
DIRECTEUR
Centre de recherche sur le pétrole, le gaz et les autres sources d’énergie extracôtières. Dartmouth, Nouvelle-Écosse
Kenneth Lee se spécialise dans les mesures de réponse aux déversements pétroliers. Il a d’ailleurs participé aux opérations dans le golfe du Mexique après le naufrage de la plate-forme Deepwater Horizon en 2010. Décrit comme un «protecteur de l’environnement de renommée internationale» par son employeur, il participe à plusieurs organisations internationales.
CATHERINE COUILLARD
TOXICOLOGUE
Institut Maurice-Lamontagne
Mont-Joli
Ses travaux visent à déterminer si les contaminants ont un effet sur la santé des organismes aquatiques de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Mme Couillard s’intéresse particulièrement aux impacts des cocktails de contaminants, un sujet qui menace directement les intérêts de l’industrie chimique, qui préfère s’en tenir aux impacts de ses produits pris individuellement.
WAYNE FAIRCHILD
BIOLOGISTE
Centre des pêches du Golfe
St. Andrews, Nouveau-Brunswick
Ce spécialiste de l’effet des pesticides sur la vie marine était une épine dans le pied de l’industrie de l’aquaculture du saumon. Il a été le premier à montrer que certains pesticides déversés dans les cages flottantes par les éleveurs de saumons tuaient les larves de homards. L’aquaculture a été soumise à des contrôles accrus par la suite et le leader de l’industrie est accusé d’usage illégal de pesticides.
GREGG TOMY
CHERCHEUR SCIENTIFIQUE
Institut des eaux douces
Winnipeg
Il est l’un des plus grands spécialistes mondiaux des polluants polybromés. Il a publié de nombreuses recherches à ce sujet, portant sur leur accumulation dans les poissons d’eau douce et dans la chaîne alimentaire marine. Il a aussi signé en 2010, avec 200 autres scientifiques, une déclaration internationale en faveur d’une réglementation plus stricte de ces produits.
   

Source :  lapresse.ca  (06.06.12) 

 

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