Des milliards de microfragments de plastiques contamineraient la mer Méditerranée, alertent les chercheurs de l’Expédition MED après avoir trouvé des traces de ces déchets polluants dans les poissons. Une menace pour la chaîne alimentaire.

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19 mai 2012 (Rachida Boughriet). 290 milliards de microplastiques flottants sur les 10 à 15 cm d’eau dérivent en Méditerranée, selon les données recueillies lors des deux campagnes scientifiques de l’Expédition MED (Méditerranée en danger) menées en 2010 et 2011 en mer Méditerranée nord-occidentale.
Les travaux de prélèvements et d’analyses ont permis d’aboutir à « une première estimation globale » de microfragments de plastique dans la région, indique l’équipe de chercheurs issus d’une dizaine de laboratoires universitaires européens dont l’Ifremer, l’Observatoire de Villefranche sur mer ou le CNRS en France. Les résultats ont été publiés dans le périodique scientifique « Marine Pollution Bulletin » d’avril 2012. « Les données confirment et valident les premières études liées à la campagne 2010 », a indiqué Bruno Dumontet, responsable de l’expédition.
« Une soupe de plastiques »
Une première série de mesures a été effectuée de juillet à août 2010 au large des côtes françaises, dans le nord de l’Italie et de l’Espagne. Un total de 4.371 microdéchets ont été comptabilisés avec un poids moyen de 1,8 mg. 90 % des 40 stations de prélèvement ont montré la présence en surface de microplastiques (de taille de 0,3 à 5 mm) de diverses compositions (filaments, polystyrène, films minces en plastique). Ces déchets microscopiques étant en effet issus de la détérioration des sacs plastiques, de la fragmentation des emballages et de résidus industriels comme les billes de polystyrène.
En moyenne, le nombre de micro-déchets flottants atteint 115.000 éléments (ou fragments) par km2, avec un maximum rencontré de 892.000 éléments, selon l’analyse des prélèvements. « Ce constat est alarmant, car cette concentration moyenne dépasse celle des gyres océaniques, formant les continents de déchets du Pacifique et de l’Atlantique, avec davantage de stations présentant de fortes concentrations (plus de 100.000 éléments) » ont prévenu les chercheurs.
Des microdéchets retrouvés dans l’estomac des poissons
Une seconde expédition a été menée en août et septembre 2011 par MED. Deux flotteurs équipés de balises Argos ont été déployés pour permettre d’affiner les outils de mesure des courants gouvernant le transport du plancton, mais aussi des plastiques. 80 échantillons de micro-plastiques et 160 échantillons de myctophidés, petits poissons situés à la base de la chaîne alimentaire,  ont été prélevés. « Une quarantaine d’échantillons ont été réalisés jusqu’à 100 mètres de fond ». Des données pour le suivi des cétacés et des méduses Pélagia ont aussi été collectées.
Si selon M. Dumontet, les échantillons de la campagne 2011 sont « toujours en cours d’analyse », l’étude pilotée par le laboratoire français BiodOxis a toutefois déjà confirmé la présence des microdébris de plastique (de taille d’un demi-millimètre) dans les estomacs des myctophidés. Invisibles ou confondus avec du plancton, ces déchets sont ingérés par ces espèces elles-mêmes mangées par des poissons pélagiques comme les thons qui peuvent finir dans nos assiettes, a rappelé le directeur de l’expédition en pointant des impacts sur les organismes marins et « de réels risques sanitaires ». Un million d’oiseaux de mer et 100.000 mammifères marins « meurent de nos déchets chaque année », a-t-il souligné.
Des concentrateurs de polluants transférés dans la chaîne alimentaire ?
D’autant que ces microplastiques agrègent certains polluants dont les POPs (polluants organiques persistants), lesquels sont capables d’être transférés à la faune sauvage. Leur impact est actuellement étudié par l’Université Populaire de Berlin dans le cadre de MED. D’autres polluants chimiques tels que le polyéthylène, le polypropylène, et des polyphénols peuvent être véhiculés par ces déchets et affecter potentiellement les organismes.
Colonisés par des microorganismes et dispersés par les courants, ces microplastiques sont également « à l’origine de l’apparition d’espèces invasives qui mettent en péril la biodiversité marine », alertent les chercheurs. Et de rappeler : « cette omniprésence de débris persistants nécessite des siècles pour se dégrader complètement ! ».
L’absorption des déchets est plus ou moins importante en fonction du type de produits plastiques de propriétés différentes : polyéthylène (PE), polypropylène (PP), polyéthylène téréphtalate (PET), polychlorure de vinyle (PVC), polystyrène (PS) et polyamide (PA) ou nylon.
Poursuites des études jusqu’en 2014 sur tout le bassin
« Ces constats préoccupants nous poussent aujourd’hui à poursuivre nos recherches dans le cadre d’une seconde phase d’action ambitieuse de 2012 à 2014, pour mieux comprendre cette pollution et prendre toute la mesure des dangers qu’elle recèle afin de trouver des solutions pour limiter cette catastrophe écologique en Méditerranée », soulignent les scientifiques.
L’expédition doit reprendre la mer pour prolonger les études sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Elle répétera dès cet été 2012 les mesures au large des côtes maghrébines (Maroc, Algérie, Tunisie), sur tout le pourtour italien et Malte. Puis, en 2013, cap vers les côtes de la Grèce, de l’Albanie, de la Croatie, de la Bosnie et de la Slovénie. L’analyse de l’état des eaux de la Libye, de l’Egypte, d’Israël, du Liban, de la Syrie et enfin de la Turquie est prévue pour la campagne 2014.
Des études supplémentaires s’avèrent également « nécessaires » pour évaluer les mécanismes du transfert de ces composés chimiques de matière plastique aux organismes zooplanctoniques situés à la base de la chaîne alimentaire, selon les chercheurs. « De nombreux aspects » liés à la distribution et à l’impact sur l’environnement de ces microplastiques nécessitent aussi « une étude plus approfondie. »


Source :  cetacesetfaunemarine.wordpress.com (19.06.12)

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