Le village de Wada veut préserver la pêche à la baleine, une tradition condamnée à l’étranger.

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La baleine trône au cœur du village de Wada. C’est un squelette. Les habitants de ce port de pêche très tranquille de la péninsule de Boso l’ont mis en scène sur un grand parking, devant une galerie d’exposition, un restaurant et une boutique. L’animal de 26 mètres n’a pas été pêché dans les eaux du Pacifique, mais en Norvège. L’imposante carcasse est ensuite arrivée à Wada pour «relancer le tourisme»,dans le seul port baleinier de tout le Kanto, le centre du Japon. «Il fallait montrer la richesse de la culture de la baleine,explique Ichihara Yachiyo, la dirigeante de Wa.O !, un long bâtiment qui fait office d’écomusée et d’aire de repos commerciale. Ce village ne pouvait pas disparaître.»Et il y a urgence : avec la protection du cétacé, Wada a perdu plus de 2 000 habitants en dix ans. Sur la centaine de pêcheurs répertoriés, la moitié sont réellement en activité et ils ont en moyenne 70 ans.
Croquettes.Ouvert depuis un an et demi, Wa.O ! emploie une trentaine de personnes. Cet après-midi, un couple âgé achète des boîtes de conserve et de la viande fraîche de baleine d’un rouge qui vire au noir. Une famille acquiert un tee-shirt et des posters alors qu’une femme s’interroge devant un kimono sur lequel est brodé le géant des mers. A la brasserie d’à côté, d’autres dégustent des steaks, du sashimi et des croquettes préparés à partir de la chair du mammifère. A Wada, la saison de la pêche à la baleine court de fin juin à fin août. Elle attire des touristes, même si ce sont surtout des surfeurs et des baigneurs qui viennent profiter des rouleaux du Pacifique. «Nous voyons plus de visiteurs depuis la décision de justice,note Ichihara Yachiyo. Ils viennent voir le port, se renseignent. Beaucoup nous appellent, inquiets de ne plus pouvoir consommer de baleine bientôt.»Le 31 mars, la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a demandé au Japon d’arrêter la chasse à la baleine en Antarctique. Saisie en 2010 par l’Australie, la CIJ a conclu que Tokyo déguisait une activité commerciale en programme de recherche, détournant un moratoire sur la chasse décrété en 1986 par la Commission baleinière internationale. La pêche se poursuit toutefois dans les eaux côtières japonaises, comme à Wada, qui ne sont pas visées par le moratoire. Il n’empêche. Le Japon fait fasse à des critiques croissantes de l’étranger, des militants écologistes. En juin, les déclarations un brin provocantes du Premier ministre, Shinzo Abe, pour une «reprise de la chasse commerciale»n’ont rien arrangé. Signe d’une tension accrue depuis le verdict de la CIJ, Rakuten, géant de la vente en ligne, a retiré ses produits à base de baleine ou de dauphin. «Il faudrait savoir s’il préfère faire des affaires à l’étranger ou s’il veut défendre la tradition culinaire du Japon,décoche Yosinori Shoji, le président de la compagnie de pêche Gaibo Hogei à Wada. Si tout le monde commence à manger la même chose, ça devient triste non ?»Ce patron baraqué au parler franc reçoit dans les volutes de brune de son bureau, installé à un jet de pierre de la baie de Wada. La société que son grand-père a fondée en 1949 emploie six pêcheurs et une vingtaine de personnes entre Ishinomaki (nord-est du Japon) et Wada. «Éléphants».Ils pêchent des baleines à bec, un cétacé d’environ 10 mètres de long vivant entre 1 000 et 3 000 mètres de profondeur, qu’ils ramènent ensuite au port pour le dépecer. Cette année, le gouvernement a fixé un quota maximal de 52 animaux pour les quatre ports baleiniers de l’archipel. A lui seul, Wada en chassera 30. Yosinori Shoji a fait ses calculs. «Il doit y avoir environ 5 000 baleines entre Hokkaido, au Nord, et ici,croit-il savoir. Nous en pêcherons 52, soit 1% seulement. Tous les éléphants ne sont pas menacés, c’est pareil pour la baleine.»Il remonte à l’époque d’Edo (du XVIIeau XIXe siècle) pour évoquer une«longue tradition à garder».Puis, défend une «nourriture riche en protéine».Mais le combattant est sur la défensive face à «l’armée Sea Shepherd [l’ONG écologiste, ndlr], en croisade contre nous».Il s’étonne : «Ce que je fais n’est pas mal. Tout est ouvert, connu ici. Quand on ramène une baleine, on communique, on invite les gens pour assister à la découpe.»Harue Okada n’assiste plus au dépeçage sur le port, mais sa fille enseignante emmène ses élèves pour «transmettre la coutume».Plus loin dans le village, cette commerçante élégante achète souvent entre 50 et 80 kilos de baleine à la compagnie Gaibo Hogei. Elle vend ensuite des beignets, des plats mijotés, de la viande séchée à ses proches ou sur le marché du dimanche matin. Comme elle le reconnaît, ses rares nouveaux clients sont tous âgés. «Il y a de moins en moins de consommateurs»,se désole Yosinori Shoji. Même si 60% des Japonais approuvent la volonté du gouvernement de continuer la chasse à la baleine, ils ne sont plus que 14% à en manger, selon un sondage du quotidien Asahi Shimbun, réalisé en avril. Résultat : les stocks atteignaient 4 600 tonnes fin 2012. «Ici, très peu de gens vivent de la baleine,admet Yasunobu Kohara, un agriculteur en charge de la promotion de Wada. Mais si on arrête d’en pêcher, il n’y aura plus rien pour le tourisme.» Juste un squelette sur le parking d’une aire de repos.

Arnaud VAULERIN Envoyé spécial à Wada (Japon)


Source :  liberation.fr (29.07.14) 

Source photo :  wikimedia.org 

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