L’industrie des delphinariums est un parfait exemple d’égoïsme institutionnalisé. Argent, argent, argent… Le reste n’est qu’une farce tragique. Les façades éducationnelles, ludiques et environnementales masquent l’asservissement sans merci d’espèces douées d’une rare intelligence et jouissant d’une vie sociale riche et complexe.

De la part des exploitants, ce n’est qu’hypocrisie, mercantilisme et désinformation. De la part du public, c’est un exemple, parmi d’autres, de dissonance cognitive : on aime ces cétacés si « mignons » — on leur consacre des documentaires émerveillés et on les représente dans des jouets en peluche et des porte-clés. Mais on fait aussi de leur vie une désespérante agonie.

Coordonné par Yvan Beck (1), vétérinaire engagé belge engagé dans la lutte pour la défense du bien-être animal, Ceci n’est pas un dauphin est un plaidoyer passionné en faveur d’un juste traitement des cétacés, doublé d’un réquisitoire accablant et sans faille contre ceux qui les exploitent sans merci.

S’appuyant sur une solide documentation, ce livre offre un tour d’horizon des mœurs des dauphins et des études scientifiques les plus pertinentes les concernant. Il documente également la façon dont ils sont maltraités dans les delphinariums et met en lumière les vastes intérêts financiers en jeu, ainsi que les manipulations des puissantes multinationales qui accumulent des fortunes sur la souffrance des cétacés.

Il ne fait plus l’ombre d’un doute que les cétacés sont des animaux extraordinairement évolués, doués de conscience et d’une grande sensibilité. En 2012, un groupe d’éminents chercheurs en neurosciences cognitives, neuropharmacologie, neurophysiologie, neuroanatomie et neurosciences computationnelles, incluant Philip Low, Jaak Panksepp, Diana Reiss, David Edelman, Bruno Van Swinderen, et Christof Koch, réunis à l’Université de Cambridge à l’occasion de la Francis Crick Memorial Conference on Consciousness in Human and non-Human Animals, ont rédigé la Déclaration de Cambridge sur la conscience (2), dans laquelle ils affirment notamment : « Des données convergentes indiquent que les animaux non-humains possèdent les substrats neuroanatomiques, neurochimiques et neurophysiologiques des états conscients, ainsi que la capacité de se livrer à des comportements intentionnels. Par conséquent, la force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. Des animaux non-humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux, ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques. »

Compte tenu de la continuité de l’évolution, tracer des lignes de démarcation entre les individus appartenant à différentes espèces relève de la mauvaise biologie et, moralement, du spécisme. Chaque espèce jouit de l’ »intelligence » et des capacités particulières dont elle a besoin pour survivre et parvenir à ses fins.

Les dauphins, comme en témoignent d’innombrables observations, sont notamment capables de prodiguer le même type d’aide ciblée que les humains, les grands singes et les éléphants (3). Dans certains cas, on a observé que de telles opérations de sauvetage pouvaient durer jusqu’à deux semaines, jusqu’à ce que le dauphin handicapé guérisse, ou bien qu’il meure. Pendant tout ce temps, les sauveteurs ne se nourrissaient plus et ne remontaient à la surface que le temps de respirer. Il arrive que des dauphins adoptent des jeunes devenus orphelins ou handicapés. Dans leurs groupes, les dauphins sont des individus et possèdent un nom. Les mères apprennent dès le plus jeune âge aux delphineaux à prononcer leur signature sifflée. Ainsi des dauphins issus de la même fratrie se retrouvent et se reconnaissent. La signature sifflée véhicule également des informations tenant à l’état émotionnel du dauphin. Les dauphins en difficulté accélèrent sa fréquence, ce qui permet aux autres d’accourir pour l’aider. C’est encore cette signature qu’on repère dans les cris de détresse émis par les dauphins en captivité

L’environnement qu’on impose aux dauphins en captivité ne correspond en rien à leurs besoins physiologiques et éthologiques. Comme il est dit dans le présent ouvrage : « Il est évident que les delphinariums n’offrent pas – et sont incapables d’offrir – aux animaux qu’ils détiennent des conditions de vie qui respectent les normes de bien-être définies par les directives européennes pour chaque espèce d’animal en captivité – et encore moins de rencontrer leurs besoins primordiaux, ne serait-ce qu’en espace. »

Un dauphin dans son élément nage jusqu’à 100 kilomètres par jour pour chasser, se divertir et cultiver ses relations sociales avec ses congénères. Les conditions de leur détention ne leur permettent donc pas d’avoir des comportements normaux  : ils sont privés non seulement de liberté, mais aussi de la richesse de leurs liens sociaux et de leurs modes de communication habituels. L’eau des bassins, souvent chlorée, provoque de nombreuses maladies. Les orques, autres victimes de ces parcs aquatiques, n’y survivent que sept ans en moyenne. Dans leur milieu naturel, les femelles vivent environ 50 ans (avec un maximum de 80-90 ans) et les mâles 30 ans (avec un maximum de 50-60 ans).

Si les parcs aquatiques et les delphinariums commencent à avoir mauvaise réputation en Amérique du Nord et en Europe, leur nombre augmente malheureusement considérablement en Chine et dans d’autres pays asiatiques, continuant à alimenter la demande en dauphins et autres cétacés.

Pour mettre fin au trafic de ces espèces sauvages, il importe, d’une part, de s’opposer à la création de nouveaux delphinariums et, d’autre part, de demander la libération de tous les cétacés utilisés comme objets de divertissement dans les parcs aquatiques. Saluons à ce propos l’initiative de l’Inde qui, en 2013, a modifié le statut juridique du dauphin dans sa constitution et adopté une loi interdisant l’ouverture de delphinariums, se référant aux dauphins comme à des « personnes non-humaines ». Quelques autres pays ont interdit la détention de cétacés. Il s’agit notamment de la Suisse, de la Croatie, de Chypre, de la Hongrie, de la Slovénie, du Chili et du Costa Rica.

L’association One Voice suggère que les pêcheurs de cétacés, ceux du Japon en particulier, forts de leur expérience, soient dorénavant employés comme écogardes ou guides pour emmener les amateurs d’écotourisme jouir d’un des plus beaux spectacles qui soit  : celui des dauphins en liberté…

Nous sommes tous en faveur de la morale, de la justice et de la bienveillance. Chacun d’entre nous peut donc parcourir le chemin qui mène à une plus grande cohérence éthique et mettre fin aux acrobaties de dissonances cognitives auxquelles nous nous livrons constamment pour tenter de réconcilier nos principes moraux avec nos comportements. Il est en effet injuste et moralement inacceptable d’infliger des souffrances non nécessaires à d’autres êtres sensibles.

Comment alors intégrer le respect de la justice et de la morale dans les relations que nous entretenons avec les animaux ? Dans Zoopolis, une théorie politique des droits des animaux, Sue Donaldson et Will Kymlicka (4) proposent de traiter les animaux sauvages comme des communautés politiques souveraines, disposant de leur propre territoire, le principe de souveraineté visant à protéger les peuples contre les ingérences paternalistes ou intéressées de peuples plus puissants. Les animaux sauvages sont compétents pour se nourrir, se déplacer, éviter les dangers, gérer les risques qu’ils prennent, jouer, choisir un partenaire sexuel et élever une famille. Pour la plupart, ils ne recherchent pas le contact avec les humains. Il est donc désirable de préserver leur mode de vie, de protéger leur territoire, de respecter leur aspiration à s’autogouverner et d’éviter les activités qui leur nuisent directement (chasse, destruction des biotopes) ou indirectement (pollution, dégradations générales de l’environnement dues aux activités humaines). Ce sont les types de droits qui doivent être appliqués aux cétacés.

Un nombre croissant d’entre nous ne se contente plus d’une éthique restreinte au comportement de l’homme envers ses semblables et estime que la bienveillance envers toutes les espèces qui sont nos concitoyens sur Terre, n’est pas un ajout facultatif, mais une composante essentielle de cette éthique. Il nous incombe à tous de continuer à favoriser l’avènement d’une justice et d’une compassion impartiales envers l’ensemble des êtres sensibles.

La France possède encore 3 delphinariums, dont le pire est celui d’Antibes où six orques et un grand nombre de dauphins se trouvent emprisonnés. En liberté, les orques plongent à 60 mètres de profondeur et parcourent jusqu’à 160 kilomètres par jour.

Il ne sert à rien de faire semblant de rendre leur prison plus agréable pour détourner l’attention et continuer à gagner de l’argent au prix de la souffrance et de la liberté de ces animaux sauvages : le seul delphinarium acceptable est un delphinarium fermé — une bonne fois pour toutes.

Notes:

« Ceci n’est pas un dauphin » peut être commandé sur le site www.planete-vie.org

(1) Yvan Beck et aussi le créateur du documentaire « Love Meat Tender » et préside l’association Planète Vie.

(2) « The Cambridge Declaration on Consciousness. »
http://fcmconference.org/img/CambridgeDeclarationOnConsciousness.pdf
traduit de l’anglais par François Tharaud et publié par Les Cahiers Antispécistes No°35, novembre 2012.

(3) Caldwell, M. C., & Caldwell, D. K. (1966). Epimeletic (care-giving) behavior in Cetacea. Whales, porpoises and dolphins. University of California Press, Berkeley, California, 755 – 789.

(4) Donaldson, (S.), & Kymlicka, (W.), Zoopolis : A Political Theory of Animal Rights. Oxford University Press, 2011.

Photo : Grand dauphin (Tursiops trucatus) surfant dans le sillage d’un bateau de recherche sur la Banana River, près du Centre spatial Kennedy: commons.wikimedia.org

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