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« Il y a une quinzaine de jours, j’ai plongé en apnée avec “mes” cachalots au large de l’île Maurice, raconte François Sarano. À peine sauté du bateau, un gros mâle d’environ 8 m de long vient vers moi à grande vitesse, puis me cogne gentiment avec sa tête. C’était Eliott, un individu franchement curieux. »

« Il se met à jouer avec moi, comme dans un miroir, poursuit le plongeur. Je pivote sur moi-même, il fait de même. Je nage vers le fond, il m’imite. Vers la surface, idem. Et ainsi de suite, pendant quinze minutes. Bref, une fois de plus, il manifesta un comportement exceptionnel traduisant la forte confiance qu’il accorde à un bipède vêtu d’une combinaison en néoprène noire et équipé de palmes. »

« L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais il me pinça puis adopta une position inhabituelle, continue ­François Sarano. Se dressant tout à coup dans l’eau, il ouvrit grand la gueule… et s’approcha de moi. Interloqué, je ne compris pas son attitude dans un premier temps. Tout à coup, regardant dans sa gueule largement ouverte et laissant voir ses grosses dents plantées sur la mâchoire inférieure, je vis un énorme hameçon planté dans sa gencive. Que je lui enlevai aussitôt. Le plus délicatement possible. Mais, probablement, en lui faisant un peu mal… »

« 24 heures sous l’eau par jour »

Cette histoire extraordinaire illustre combien ces baleines à dents qui fréquentent les abysses, et doivent faire face à des attaques de calmars géants, d’orques ou de globicéphales, peuvent faire confiance à l’homme, avoir suffisamment « d’intelligence ou de sensibilité » pour s’en approcher et, geste suprême, lui demander de l’aide… Ce comportement remarquable traduit un niveau élevé d’adaptation.

Quant à François Sarano, cet océanographe, plongeur, passionné de la mer et surtout des animaux qui y vivent, est aussi un merveilleux conteur. Né à Valence (Drôme) en 1954, ayant perdu sa mère à l’âge de 12 ans, il s’éprend de la plongée sous-marine quand son père lui offre son premier masque subaquatique. « Je passai alors presque vingt-quatre heures sous l’eau par jour », s’amuse-t-il à dire.

Très vite il se passionne pour la vie sous-marine, à commencer par le poulpe,« ce céphalopode qui a la tête dans les pieds, à moins que ce ne soit l’inverse », puis au merlu, dont il étudie la reproduction dans le cadre d’une thèse effectuée à l’Institut scientifique et technique des pêches à La Rochelle. Coopérant, il enseigne les sciences naturelles dans le Sahara algérien où il apprécie l’accueil des Touaregs et s’intéresse aux peintures et gravures rupestres. « C’était fascinant, et j’ai failli rester. »

À bord de la Calypso

Avec sa femme Véronique, également océanographe, il embarque sur le navire scientifique Marion Dufresne dans les eaux australes (Kerguelen, Crozet), puis traverse l’Atlantique à la voile. C’est alors que, coup de chance, on lui propose, en même temps, de devenir directeur adjoint du Musée océanographique de Monaco ou bien conseiller scientifique au sein de l’équipe Cousteau sur la Calypso.

Baroudeur dans l’âme, François Sarano n’hésite pas : ce sera l’homme au bonnet rouge. S’enclenche alors une belle aventure de treize ans au cours de laquelle il étudie la faune sous-marine (Indonésie, Australie), découvre des sources hydrothermales au large de la Nouvelle-Zélande, plonge avec Denise, la célèbre soucoupe plongeante jaune…

Après la mort de Jacques-Yves Cousteau en 1997 et les velléités de reprise de « la maison » par sa seconde femme Francine, c’est le grand désarroi : « La ”Calypso” ne se résume pas à une coque et une mâture, c’est surtout une âme, une philosophie, un symbole. »

« Contre la privatisation du monde naturel »

François Sarano travaille alors pour la branche française du Fonds mondial pour la nature (WWF) où il propose un concept de gestion durable des ressources halieutiques par les pêcheurs. Enfin, il est cofondateur de l’association Longitude 181 nature, qui compte 300 adhérents, et dont l’objectif, la protection du milieu marin, l’amène à se révolter contre les boues rouges de l’usine de Gardanne (Bouches-du-Rhône), l’extraction de sable au large de Lannion (Côtes-d’Armor), ou encore l’éradication des requins à la Réunion. Bref« contre la privatisation du monde naturel » (1).

Aujourd’hui, avec le réalisateur Guillaume Vincent, il prépare une série de trois films sur les cachalots (Physeter macrocephalus), les orques et les dauphins. C’est pour cela que, depuis 2012, avec une équipe d’écovolontaires, il observe et enregistre les « clics » sonores d’environ 70 cachalots au large de l’île Maurice. Parmi eux, Eliott, Arthur, Lucie, Germine, et Irène, une « gueule tordue » « Mon principal souci aujourd’hui, c’est de savoir comment on vivra avec 10 milliards d’habitants tout en préservant un peu de vie sauvage », conclut-il.

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Son inspiration : Des caractères bien trempés

Maintes fois dans sa vie, François Sarano, personnage joyeux au sourire évoquant celui de son compatriote ­Fernandel, a ressenti de l’admiration pour des hommes et des femmes au caractère bien trempé. De Pierre Rabhi au romancier Laurent Gaudé, de Jacques Perrin, « un terrien qui a tout compris de la mer », à Jérôme Salle, réalisateur du film L’Odyssée, narration de l’histoire de Cousteau, où il double sous l’eau ­Lambert Wilson – la sortie est prévue le 12 octobre 2016. Et bien sûr, Jacques-Yves Cousteau, « un meneur d’hommes plus qu’un scientifique », mais aussi ­Fernand Voisin, capitaine du chalutier Petrouchka de l’île d’Yeu, grâce auquel il a pu faire sa thèse.

Denis Sergent (à Valence, Drôme)

(1) François Sarano donnera une conférence à la Cité de la mer à Cherbourg le 8 juin, à l’occasion de la Journée mondiale des océans.

 

Source et capture d’écran : la-croix.com, le 24/05/2016

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