En dénonçant les conditions de captivité des orques dans les parcs aquatiques, le documentaire de Gabriela Cowperthwaite, rediffusé samedi 2 juillet sur Arte, a créé une onde de choc aux Etats-Unis. Au point d’amener SeaWorld à supprimer ses shows et à renoncer à maintenir ces animaux en captivité.

La peluche Shamu, une orque miniature format doudou, restera-elle encore longtemps le best-seller des parcs d’attraction SeaWorld ? Ces quelques grammes de douceur semblent en tout cas à mille lieues du monde guère attendrissant révélé par le documentaire Blackfish (L’Orque tueuse en VF), plongeon dans les eaux troubles des shows avec mammifères marins rediffusé samedi 2 juillet sur Arte. Un blockbuster aux airs de thriller animalier qui a fait des vagues outre-Atlantique et dont l’impact n’en finit pas de se faire sentir dans l’univers du show aquatique avec animaux.

Enquête à – lourde – charge dénonçant un traitement cruel pour ces grands cétacés (séparation des mères et de leurs petits, confinement dans des bassins étroits…), Blackfish met en relation les conditions de captivité des orques et la mort d’une soigneuse, en 2010, attaquée par l’animal vedette du SeaWorld d’Orlando, en Floride. Le film aligne les témoignages d’anciens salariés désormais très critiques à l’égard d’un système auquel ils disent avoir participé de manière naïve. Les uns après les autres racontent aussi, images vidéo d’archives à l’appui, comment la dangerosité d’animaux rendus agressifs par leur captivité a toujours été occultée par les dirigeants de SeaWorld. Au risque de la sécurité des dresseurs.

Grand blues

Sorti en salles aux Etats-Unis pendant l’été 2013, puis diffusé sur CNN en octobre suivant, avec une audience de 21 millions de téléspectateurs, Blackfish a eu l’effet d’un gros pavé dans la piscine dans ce pays où la fréquentation des parcs aquatiques relève du sport national. Elle a déclenché une vague de réactions inattendue dans l’opinion publique, prenant soudain conscience que dans ces barnums de la mer que sont les parcs aquatiques, lesdits « blackfishs » étaient loin de couler des jours heureux et les dresseurs, de travailler en toute sécurité. Un grand blues pas tellement raccord avec le message historiquement véhiculé par la firme américaine, qui a toujours présenté ses parcs comme des lieux de protection des animaux.

Depuis la diffusion, SeaWorld, sorte de Disney de la piscine d’eau de mer, n’a cessé d’essuyer les éclaboussures que le documentaire a projetées sur son image ensoleillée. Pour le géant de l’entertainement aquatique, le grand splash de l’après-Blackfish s’est traduit d’abord en termes financiers, avec une baisse de la fréquentation de ses parcs. La compagnie a d’abord incriminé une météo calamiteuse pour expliquer ce soudain reflux d’affluence… Mais, dans les mois qui ont suivi, la désaffection du public s’est prolongée et l’entreprise a vu sa cotation en bourse plonger, les partenaires commerciaux (Southwest Airlines, Virgin America, Hyundai, Taco Bell,…) s’éloigner, en même temps que les célébrités du monde de la musique boycottaient les parcs aquatiques où elles avaient l’habitude de se produire.

Dans un premier temps, SeaWorld a dégainé la langue de bois de la communication de crise et opté pour la dénégation, qualifiant Blackfish de « film de propagande ». Avant d’entamer un mouvement de rétropédalage fin 2015 : en novembre, la firme annonçait la suppression, d’ici 2017, des spectacles d’orques dans son parc de San Diego (ceux de San Antonio et Orlando doivent suivre en 2019).


Mais la véritable surprise est venue en mars dernier, quand le groupe a fait savoir qu’il s’engageait à arrêter définitivement l’élevage d’orques en captivité. « SeaWorld est à l’écoute et nous sommes en train de changer. La société évolue et nous évoluons avec elle », a annoncé le géant dans un communiqué empathique. Prêt désormais à tous les efforts pour redorer son blason auprès du public et des actionnaires, après avoir été classé en 2014, par le magazine Consumerist, au troisième rang des entreprises américaines les plus détestées par les consommateurs, juste derrière Monsanto…

Avec l’annonce de la fin du programme de reproduction des orques, c’est en effet un virage à 180° qui semble avoir été engagé sous la pression de l’opinion, et dans le sillage du documentaire coup de poing. Une victoire pour les défenseurs des animaux qui se battent depuis des années contre la captivité des mammifères marins. « La lame de fond de Blackfish s’est transformée en tsunami économique et médiatique pour SeaWorld » note Pierre de Vreyer, de la Dolphin connection, association qui se bat contre la captivité des delphinidés.

« L’effet Blackfish a vidé les gradins et videra, de fait, les bassins, se réjouit également Sandra Guyomard, présidente du Réseau Cétacés. SeaWorld a annoncé que la population d’orques captives ne sera pas renouvelée (arrêt des transferts, arrêt des naissances, pas de captures), cela mènera par conséquent à l’arrêt des orques en bassin lorsque la population actuelle s’éteindra. Nous sommes heureux de cette décision qui représente un pas en avant pour les défenseurs des cétacés. » 

Impact inattendu

Quant à la réalisatrice, Gabriela Cowperthwaite, elle se disait déjà, en 2014, « fière et étonnée » par l’impact « inattendu » de son film. Après l’annonce de SeaWorld en mars dernier, la documentariste, qui n’est pas une militante de la cause animale mais a mené l’enquête « pour comprendre comment une dresseuse chevronnée pouvait être tuée par une orque » , s’est félicitée de ce qu’elle considère comme « un moment charnière, un changement décisif ».

Reste à savoir si l’effet Blackfish fera tâche d’huile hors des bassins de SeaWorld. « Depuis trois ans, nous sentons que le vent tourne en défaveur des delphinariums, observe Sandra Guyomard. Récemment, l’aquarium national de Baltimore a annoncé le transfert de ses dauphins captifs vers un sanctuaire marin d’ici 2020. Fin juin, c’est l’Argentine qui a pris la décision de fermer un delphinarium. »  Le Réseau Cétacés a également dans son collimateur le Marineland d’Antibes où vivent encore quatre orques. En décembre 2015, l’ONG a déposé plainte contre le parc aquatique français pour actes de cruauté vis-à-vis des animaux, en intégrant Blackfish comme élément du dossier et en citant comme témoin John Hargrove, l’un des protagonistes du documentaire. A ce jour, une enquête préliminaire a été ouverte.

Tours stéréotypés en échange de poissons congelés

« D’une manière générale, le mouvement anti-captivité s’est intensifié depuis Blackfish, note Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France. Si SeaWorld est principalement visé, Marineland en France en ressent aussi les effets. A notre sens, les jours de ce genre d’établissements sont comptés. L’existence même des delphinariums repose sur la méconnaissance du grand public quant aux souffrances qu’endurent les mammifères marins en captivité et sur l’illusion entretenue par l’industrie que les animaux hautement conscients et intelligents, taillés pour parcourir des centaines de kilomètres par jour sont heureux confinés dans des bassins en béton, dressés à faire des tours stéréotypés en échange de poissons congelés. Plus le public sera informé, plus il lui apparaîtra comme une évidence que les dauphins et les orques sont intrinsèquement inadaptés à la captivité et qu’il est moralement inacceptable de les condamner à une vie captive dans le but de nous divertir. Le film BlackFish a permis de faire un formidable pas en avant dans cette direction. »

En attendant, les jours de Tilikum, l’orque vedette malgré lui de Blackfish, seraient comptés. Début mars, SeaWorld annonçait que l’animal était mourant dans son bassin d’Orlando, victime d’une infection bactérienne résistant aux traitements. Le grand blues, décidément.

Source et vidéo : television.telerama.fr, le 02/07/2016

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