Le PDG de SeaWorld – Joel Manby – est tout sourire depuis qu’un accord a été trouvé avec Wayne Pacelle qui est à la tête de l’organisation internationale pour la défense des animaux, the Humane Society of the United States. Cet accord a mis fin à la reproduction des orques captives dans les parcs SeaWorld de l’état de Californie, du Texas et de la Floride. Mais il s’applique aussi aux six orques de SeaWorld qui sont au Loro parque en Espagne.

Même si ce fameux accord est une bonne nouvelle, les orques de SeaWorld n’ont pas le luxe de pouvoir montrer leurs belles dents…

À 20 ans, Keto est l'orque la plus âgée de SeaWorld. Elle est détenue par le Loro Parque, un delphinarium de Tenerife - l'une des sept îles des Canaries en Espagne. Cette photo prise le 20 avril 2016, démontre bien l'état catastrophique de la dentition des orques détenues en captivité.

À 20 ans, Keto est l’orque la plus âgée de SeaWorld. Elle est détenue par le Loro Parque, un delphinarium de Tenerife – l’une des sept îles des Canaries en Espagne. Cette photo prise le 20 avril 2016, démontre bien l’état catastrophique de la dentition des orques détenues en captivité.

 

Voici la dentition de Tekoa, un jeune mâle du Loro parque (Tenerife, Espagne), né le 8 novembre 2000. La photo a été prise le 20 avril 2016.

Voici la dentition de Tekoa, un jeune mâle du Loro parque (Tenerife, Espagne), né le 8 novembre 2000. La photo a été prise le 20 avril 2016.

 

La dentition, indicateur de bien-être

Un nouveau rapport de la Free Morgan Foundation (FMF), une organisation caritative qui œuvre dans le but de libérer l’orque Morgan du Loro parque, met en parallèle l’hygiène bucco-dentaire des orques en captivité avec leur état de santé général.

Le rapport intitulé « Ongoing concerns regarding the SeaWorld orca held at Loro Parque, Tenerife, Spain » expose l’état de santé catastrophique des six orques du parc espagnol avec des photos éloquentes. Les auteurs du rapport, le Docteur Ingrid Visser et le Docteur Rossina Lisker se sont rendues au Loro Parque en avril de cette année, et ont observé et pris des photos des orques sur une période de trois jours. Durant leur visite, elles ont rencontré deux vétérinaires du Loro Parque ainsi que le Docteur Javier Aluminia. Tous ont affirmé que les cétacés étaient en bonne santé. Les docteurs Visser et Lisker se sont aussi souciées plus particulièrement de l’état bucco-dentaire de Morgan, une orque femelle née dans l’océan.

Suite à leur visite, Loro Parque a posté un article sur son blog indiquant que le Dr Visser s’était questionnée quant aux dents cassées de Morgan, et l’équipe vétérinaire lui aurait alors confirmé que Morgan n’avait aucune dent cassée, juste quelques unes d’abîmées.

Les photos prises par les deux spécialistes, ainsi que de nombreux documents traitant de la santé des orques captives au Loro Parque, en revanche, exposent une toute autre réalité.

L’état de Morgan inquiète tout particulièrement les docteurs Visser et Lisker du fait de son historique tourmenté. Morgan née libre, a été capturée dans son jeune âge pour des raisons de santé. Elle a donc rejoint le delphinarium d’Harderwijk pour une remise en forme. Mais le 29 novembre 2011, au lieu de retrouver l’océan, elle est transférée au Loro Parque. Au fil des années, de graves maladies bucco-dentaires évolutives se sont manifestées chez Morgan, ce qui n’aurait pas été le cas si la jeune orque avait été remise en liberté après sa réhabilitation.

Voici l'évolution de la dentition de Morgan durant sa période de captivité au parc de Tenerife.

Voici l’évolution de la dentition de Morgan durant sa période de captivité au parc de Tenerife.

Les auteurs chiffrent les dégâts sur la dentition des orques du parc. En un peu plus de 3 ans, la mâchoire inférieure droite de Morgan a été endommagée à 75%. Les autres orques de Loro parque ont la partie inférieure de leur dentition endommagée entre 41,66% et 75%.

Fraisage et rinçage, des soins dentaires de qualité ?

Les orques captives cassent leurs dents sur les barres de fer et les murs en béton de leurs bassins, parfois jusqu’à exposer la pulpe (nerf) de leurs dents. À ce stade, la seule chose à faire afin de soulager les orques est de dévitaliser la dent en retirant le nerf par un processus similaire à la pulpotomie (éviction partielle de la pulpe dentaire). En conséquence, le cétacé aura besoin tout au long de sa vie d’un nettoyage quotidien (rinçage dentaire) afin d’éviter le bourrage alimentaire (la nourriture se coince dans les cavités dentaires) favorisant ainsi le développement de bactéries, qui se retrouvent alors directement dans le sang créant des infections.

orkid-and-sumar

L’image à gauche montre Orkid, celle à droite montre Sumar. Les deux clichés datent du 9 juillet 2010. Au moment de la photo, Orkid et Sumar étaient jeunes et plutôt en bonne santé. Mais la dentition des orques en captivité se dégrade beaucoup au fil du temps. Il suffit de voir Tilikum, une orque plus âgée, qui a perdu la plupart des dents de sa mâchoire inférieure.

L’état de la dentition des orques est un sujet sensible pour les parcs, c’est pourquoi les soigneurs et les dresseurs traitent le sujet avec beaucoup de précautions devant le public. Ils présentent par exemple le rinçage dentaire comme étant un soin de qualité supérieure.

Extrait de l’étude « Keto and Tilikum Express the Stress of Orca Captivity » (littéralement, manifestation du stress chez les orques captives avec l’étude des cas de Keto et Tilikum), écrite par le docteur Jeffrey Ventre et le professeur John Jett, en date du 20 janvier 2011.

Ainsi le fraisage et le rinçage dentaire sont présentés par SeaWorld comme des traitements de première qualité, mais est ce vraiment le cas ?

John Jett, ancien dresseur SeaWorld et spécialiste des mammifères marins a été questionné à ce sujet. Il décrit ci-dessous la routine quotidienne des soins dentaires des orques :

« Pour faire le fraisage, nous utilisions une perceuse inoxydable à vitesse variable, préalablement désinfectée avec de la bétadine. La foreuse était de la marque Dremel, l’une de celle que l’on trouve dans un magasin de bricolage ou une quincaillerie. Les cavités étaient ensuite rincées avec une solution de bétadine via un hydrojet (jet dentaire) Waterpik. » (témoignage de John Jett, en juillet 2016)

Dans la vidéo ci-dessous, un autre ancien dresseur de SeaWorld, le docteur Jeffrey Ventre, donne plus de détails au sujet de la pulpotomie, du rinçage dentaire et des impacts d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire chez les orques en captivité.

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Les 5 libertés :

Les problèmes sanitaires au Loro Parque ne s’arrêtent pas à la mauvaise hygiène dentaire des orques. Les docteurs Visser et Lisker ont aussi mesuré le bien-être des cétacés à travers des analyses et des discussions sur leurs conditions physiques générales. Elles ont aussi vérifié que les « 5 libertés » soient bien respectées.

Les 5 libertés sont en fait les droits minimum d’un animal. Ils sont reconnus à l’international afin d’assurer le bien-être de l’animal : sa santé, son bien-être physique mais aussi son bien-être psychologique.

Les animaux sont :
1. libres de soif, de faim ;
2. libres de désagréments corporels et thermiques ;
3. libres de douleurs, de blessures et de maladies ;
4. libres de présenter leur comportement naturel;
5. libres d’angoisse et de stress chronique.

Dans le rapport, les deux spécialistes répertorient des violations de 4 libertés par le Loro Parque. Elles classent méticuleusement plus de 23 autres violations relatives aux normes du bien-être animal, en utilisant les standards du C-Well®, une étude qui se base sur 11 critères avec en plus des mesures spécifiques à 36 espèces.

SeaWorld et l’association The Humane society

En 2004, Wayne Pacelle est devenu le PDG de l’association HSUS, The Humane society of United States. En novembre 2010, sous son impulsion, HSUS a adressé une lettre au gouvernement des États-Unis soulignant plusieurs violations des droits des animaux du Loro Parque et demandant l’application de la loi qui protège les mammifères marins (the Marine Mammal Protection Act ou MMPA) en s’appuyant sur le principe de courtoisie internationale, principe légal qui invite chaque pays à reconnaître et respecter les lois d’autres pays. Ainsi, les orques SeaWorld vivant à Loro parque pourraient être rapatriées aux États-Unis.

Ci-dessous un extrait de la lettre écrite par HSUS, le 11 novembre 2010 :

« Il est donc impératif que le service de pêche maritime (NMFS : National marine fisheries service) et l’APHIS, le service d’inspection sanitaire des animaux et des plantes (Animal and plant health inspection service), mènent dès à présent une enquête qui confirme officiellement le non-respect de la loi MMPA afin que le service de pêche maritime puisse soustraire les orques au parc ou bien travailler avec SeaWorld afin d’organiser leur rapatriement. »

Les faits mis en lumière par le rapport des docteurs Visser et Lisker sont stupéfiants et confirment les inquiétudes d’HSUS. Le rapport a été envoyé aux représentants du service de la pêche maritime des États-Unis afin qu’ils ne puissent pas pratiquer la politique de l’autruche quant à l’état de santé des orques au Loro Parque.

Il est facile d’oublier que 20% des orques SeaWorld sont placées dans des parcs à l’étranger comme c’est le cas pour Morgan et ses camarades en Espagne. Bien que le parc des îles Canaries ne fasse pas partie du groupe SeaWorld, ses orques et leurs soins, sont bien sous la responsabilité du parc américain. Suite au transfert des orques au Loro Parque en 2006, le gouvernement américain aussi a une responsabilité, conformément à la loi MMPA qui veille au bien-être des orques détenus au parc espagnol (plus d’informations sur le site FMF white paper on whale laundering)

Le 17 mars 2016, SeaWorld et the Humane Society of United States ont fait une annonce qui a fait trembler l’industrie des parcs marins et delphinariums : l’abandon progressif des spectacles mettant en scène les orques captives.

Mais cela est-il vraiment suffisant ?

Le positionnement de principe que l’association HSUS a transmis au gouvernement américain, au sujet des orques détenues au Loro Parque, était fort et rappelait la responsabilité qu’a l’homme envers les animaux ; dans ce cas précis, les orques vivant en captivité ; celle de fournir des conditions de vie adaptées à leurs besoins. Comme le précise HSUS dans son courrier de 2010 :

« SeaWorld a une obligation légale et morale envers les orques et doit agir en conséquence afin d’assurer leurs bien-être. »

Il n’est pas possible de dire pour l’instant ce qui va résulter du partenariat entre SeaWorld et HSUS. Mais plus que des mots, ce sont des actions et avancées significatives qui sont attendues.

Pour se faire, l’association Free Morgan Foundation (FMF) a fait parvenir à M. Manby et M. Pacelle, par une lettre ouverte, une invitation afin de discuter de la situation au Loro Parque mais aussi afin de créer un véritable partenariat sur le long terme dans le but de rendre Morgan à son milieu naturel dans les meilleures conditions. Pour l’instant ni le PDG de SeaWorld, ni celui de l’association the Humane Society n’ont donné de réponse.

Morgan plaide elle-même sa cause

Depuis qu’elle a été arrachée à l’océan en 2010, Morgan a su attirer l’attention du public à l’échelle internationale. Au cours des derniers mois, la situation désespérée de Morgan a permis d’accroître la sensibilisation du public et de soulever l’indignation quant aux problèmes sanitaires que doivent subir les orques captives.

Deux vidéos récentes font le tour des réseaux sociaux et l’histoire de Morgan ainsi que son comportement inquiétant sont relatés par les médias à travers le monde. Aussi bien dans la presse écrite avec des articles dans le National Geographic, le Time, People, The Dodo, HuffPost UK, qu’à la télévision avec une interview exclusive du docteur Jeffrey Ventre, ancien entraîneur SeaWorld, sur la chaine Sky News .

La première vidéo montre Morgan qui percute violemment les barreaux de la porte de son étroit bassin de confinement médical, avec sa tête. Sur la seconde vidéo, on la voit qui s’échoue sur la scène principale après le spectacle pour une durée anormalement longue ; apparemment pour échapper aux agressions des autres orques du parc.

SeaWorld et Loro parque, quant à eux, affirment que Morgan ne fait preuve d’aucun comportement anormal, qu’elle s’est bien adaptée à la vie en captivité et qu’elle est en bonne santé. Cependant la réalité est toute autre. Un comportement tel qu’il est observé dans les vidéos est alarmant. Les réponses des deux delphinariums ne sont motivées que par le profit que rapporte la captivité d’êtres sensibles comme Morgan.

Le rapport de FMF met en lumière les problèmes bucco-dentaires plus qu’évident de Morgan et montre de quelle manière sa vie de captive, confinée dans un bassin de béton, influe sur son état de santé. L’histoire de Morgan se propage de plus en plus à travers le monde, avec la publication en août d’articles plus approfondis dans le magazine hollandais Vrij Nederland et le journal allemand Donaukurier .

Soulager sa douleur ?

Les photos de dentitions d’orques se suffisent à elles-même. Elles sont indiscutables. N’importe qui comprend, en les voyant, la souffrance que vit l’animal au quotidien au vu de l’état désastreux de sa dentition.

Adan est la plus jeune orque SeaWorld détenue à Loro Parque. Il est née en captivité, dans ce même parc le 13 octobre 2010. La photo ci-dessus a été prise le 20 avril 2016 alors qu'Adan n'avait que cinq ans et demie. Les effets négatifs de la captivité sur la dentition des orques sont clairement visibles.

Adan est la plus jeune orque SeaWorld détenue au Loro Parque. Il est né en captivité, dans ce même parc le 13 octobre 2010. La photo ci-dessus a été prise le 20 avril 2016 alors qu’Adan n’avait que cinq ans et demi. Les effets négatifs de la captivité sur la dentition des orques sont clairement visibles.

Alors que SeaWorld tente tant bien que mal de se remettre des effets du documentaire Blackfish, ces révélations pourraient porter un nouveau coup à l’industrie des parcs marins.

Le 4 août 2016, la société SeaWorld Entertainment Inc. annoncait une baisse dans ses résultats financiers (Q2 – 2016). Rien de très encourageant pour les investisseurs. Un analyste a même suggéré à SeaWorld de réinvestir, mais dans le développement de nouvelles attractions comme les montagnes russes, et non plus dans les orques.

Le monde évolue rapidement et les gouvernements ont besoin de suivre ces avancées avec des lois et régulations nationales et internationales qui s’adaptent mieux. Nul ne sait ce qu’il va advenir mais une chose est sûre, le rapport de FMF donne aux organismes gouvernementaux de régulations et aux dirigeants des delphinariums de quoi méditer !

Source : The Huffington Post, article de Matthew Spiegl, Avocat.
Crédit Photo : Free Morgan Foundation

Traduction : Nelly pour Réseau-Cétacés

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