Dans le golfe du Mexique, des dauphins ont mis au point une technique radicale.

C’est à l’occasion d’une banale sortie en mer le long de la côte du Mississippi, pour des observations scientifiques, que le biologiste Errol Ronje est tombé sur une traînée de têtes tranchées.

« Nous avons commencé à apercevoir de petites choses blanches flotter dans l’eau » raconte Errol Ronje. Ces choses, de la taille d’un melon, étaient en fait des têtes de poissons-chats marins. « Et ils étaient encore, je ne trouve pas d’autre terme, toujours vivants » poursuit-il.

Les yeux des poissons morts bougeaient encore, et leurs nageoires étaient toutes contractées. De toute évidence, ils venaient d’être décapités.

Le Dr. Ronje, sous contrat avec la NOAA (Agence Américaine d’Observation Océanique et Atmosphérique), avait pisté un groupe de dauphins évoluant dans les parages. Il savait, d’après des recherches antérieures, que les dauphins ne se nourrissaient généralement pas de silures. Les cétacés avalent leur proie toute entière, or le poisson-chat possède trois grandes épines dressées sur leur tête, ce qui les rend difficilement consommables. De fait, dans la région, plusieurs dauphins avaient été retrouvés morts, avec des silures coincés dans la gorge.

Le biologiste Ronje confie que les dauphins étaient les seuls suspects aux alentours, car les têtes tranchées des poissons-chats flottaient dans leur sillage.

La tête épineuse et immangeable d’un poisson-chat flottant dans l’eau après qu’un dauphin ait dévoré le reste du corps. Photo : PLOS ONE.

A mesure que les recherches avançaient, non seulement la responsabilité des dauphins fut établie, mais les scientifiques allaient rapidement repérer d’autres groupes de découpeurs de têtes, le long de la côte du Mississippi, et au nord de la Floride. Le comportement semblait avoir un lien avec une poignée de dauphins distincts ayant voyagé entre les groupes.

La décapitation délibérée des poissons-chats par des dauphins est une technique inédite chez ces prédateurs de l’ordre des cétacés. Selon Errol Ronje, un tel comportement n’est mentionné que dans un vieil article d’une revue scientifique des années 1940. Dans le golfe du Mexique, près du Texas, une autre population de dauphins avait alors été observée en train de couper des têtes de silures.

Errol Ronje a vu des dauphins chasser le silure sous l’eau, et nager avec le poisson dans la bouche, mais il n’a pas encore saisi l’instant précis de la décapitation, probablement parce qu’elle est pratiquée sous l’eau.

Ce procédé innovant semble être un exemple de plus où des dauphins apprennent à contourner les techniques de défense de proies potentiellement dangereuses.

Par exemple, en Australie occidentale, une population de dauphins a appris à projeter violemment les pieuvres en l’air pour les tuer. Dans le cas contraire, les ventouses de cette proie aux huit tentacules pourraient saisir l’intérieur de leur gorge pour les étouffer.

Selon Lars Bejder, un biologiste marin de l’Université Murdoch en Australie occidentale ayant étudié la technique du «jet de poulpe», les dauphins du Golfe démontrent leur adaptabilité. La prochaine étape consistera à étudier la manière dont les dauphins apprennent cette technique.

Errol Ronje espère répondre à cette question dans les prochaines années. Une nouvelle fois, notre compréhension du dauphin dans son environnement a franchi un nouveau pas.

« On peut dire que le poisson-chat est plus important pour les dauphins que nous ne l’avions réalisé. »

© Traduction : Léana Bàg & David Delpouy pour Réseau-Cétacés

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Source : Un article d’Amorina Kingdon– Publié le 17 Août 2017 sur le site Hakai Magazine
Crédit photo de une : Flip Nicklin / Minden Pictures

 

 

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