Après avoir arpenté plusieurs kilomètres de plages, Marian Paiu est soulagé : aucune carcasse de dauphin n’a été ramenée par les vagues ce matin sur la côte roumaine de la mer Noire. Un répit dans une saison particulièrement meurtrière.

De janvier à fin septembre, cet écologiste membre de l’association Mare Nostrum a recensé 136 dauphins morts, victimes accidentelles de la pêche pour la plupart, un record depuis 2012.

« Je pensais que ce phénomène était en baisse, mais les chiffres de cette année nous inquiètent », indique M. Paiu à l’AFP.

L’an dernier, ce sont ses collègues bulgares qui avaient tiré la sonnette d’alarme avec plus de 300 échouages comptabilisés sur leurs côtes, selon plusieurs organisations.

Ces cas ne seraient que la partie visible de l’hécatombe, souligne Atanas Rusev, un militant écologiste bulgare, car «la plupart des carcasses se décomposent en mer», loin des côtes des six pays riverains de la mer Noire – Roumanie, Bulgarie, Ukraine, Russie, Georgie et Turquie.

Dans cette mer presque close, entre Europe et Caucase, les pêcheurs de turbot -l’une des espèces les plus répandues- jettent des kilomètres de filet, à 50 ou 60 mètres de profondeur, dont beaucoup deviennent de véritables pièges pour les cétacés.

« Nous avons retrouvé des dauphins morts avec des morceaux de filet emmêlés dans leurs nageoires ou avec la nageoire caudale coupée par les pêcheurs pour les dégager du filet », témoigne Adrian Filimon, expert de l’Institut de recherche marine de Constanta (Est).

L’association Mare Nostrum milite pour l’utilisation de filets à petites mailles, « qui aident aussi bien les dauphins que les pêcheurs, car un dauphin enchevêtré équivaut à un filet déchiré », et de pingres, ces alarmes acoustiques qui éloignent les cétacés.

Mais les pêcheurs sont réticents à utiliser de tels dispositifs, invoquant les coûts élevés ou craignant qu’ils « n’agissent comme des clochettes qui invitent les dauphins à table », regrette M. Paiu.

Nombre d’entre eux considèrent en effet les dauphins, qui ingurgitent des kilos de poissons tous les jours, « comme des rivaux », confirme M. Filimon.

Et la prévention est sans effet sur «les braconniers» de la mer Noire, ces bateaux pêchant sans autorisation dans les eaux territoriales d’un pays. Lorsqu’ils cherchent à échapper aux gardes-côtes, ils abandonnent parfois leurs filets sans se soucier des conséquences.

« Beaucoup de dauphins s’échouent en période d’interdiction de pêche », un indice de la responsabilité des pêcheurs illégaux, observe Adrian Filimon.

Selon les chercheurs, la mer Noire comptait environ deux millions de dauphins entre les deux guerres. Mais la surpêche a drastiquement réduit leur nombre, à environ 100 000-200 000, avant que leur chasse dans ce bassin ne soit totalement abolie en 1983. Ils seraient 450 000 aujourd’hui.

La pollution et les déchets en plastique qu’ils ingèrent contribuent également à leur mortalité, dit M. Filimon.

En mer Noire, des concentrations toxiques supérieures aux limites recommandées ont été relevées pour plusieurs substances, ainsi qu’une densité inquiétante de déchets plastiques flottants, selon une étude du projet international Emblas de surveillance environnementale de la mer Noire, parue en mai.

Mare Nostrum, qui compte un millier de volontaires, a lancé une campagne baptisée « Adopte un dauphin » pour sensibiliser le grand public à la menace.

Les marsouins et les Grands Dauphins de la mer Noire sont considérés comme des espèces « menacées » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, les dauphins communs classés comme « vulnérables »

L’équilibre n’est pas facile à trouver dans cet écosystème fragile, où les réserves de poissons s’épuisent, à l’instar des autres mers du globe.

« Si les dauphins se multipliaient, la quantité de poisson baisserait et les dauphins finiraient par mourir de faim », avertit M. Paiu.

Stefan Toporau est l’un des rares pêcheurs de la région de Constanta qui s’attachent à utiliser des filets protégeant les cétacés.

« Si jamais ils se retrouvaient piégés, ils s’en sortiraient sans problème en sautant par-dessus », explique-t-il, à la barre du Noor Tuna, son petit bateau. « Ils nous aident à localiser les bancs de poissons, car leurs sonars sont plus performants que les nôtres », dit-il, d’un air amusé. « Il n’y a pas de conflit entre nous, ce sont nos amis. »

Source : TVA Nouvelles – Publié le 21 Octobre 2017
Image de une : Pixnio.com
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