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La rencontre de Nagoya – La biodiversité en jeu…

Un rapport de l’ONU publié ce printemps montre que nous exterminons un nombre toujours plus grand d’espèces…
La Convention sur la diversité biologique est née au premier sommet de la Terre de Rio en 1992, et son Secrétariat est établi à Montréal depuis 1996. Elle est issue de deux constats: celui de notre dépendance envers les autres formes de vie et celui du déclin accéléré de la richesse du vivant.

Près de vingt mille espèces sont en péril sur la planète. Et ce registre est une vaste sous-estimation de la réalité puisque des millions d’autres sont encore inconnues et n’apparaissent dans aucune comptabilité. Le taux actuel d’extinction des espèces est de cent à mille fois celui du taux naturel. Or, notre nourriture, nos médicaments, la qualité de notre air et de notre eau, nos sentiments sur notre place dans l’univers dépendent tous de la façon dont nous traitons les autres espèces vivantes.

Certes, on peut prétendre que cet élagage dans le legs de l’évolution est une condition du progrès humain, que s’en désoler revient à succomber à la litanie environnementale, fondée sur la nostalgie du passé ou la peur de l’avenir. Mais comment croire que six milliards d’humains (neuf milliards en 2050) pourraient affaiblir toujours plus le capital naturel sans que, tôt ou tard, craque la branche sur laquelle notre espèce est assise? La Convention sur la diversité biologique s’articule autour de trois objectifs: la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments, le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation de ses ressources génétiques.

Nagoya, constat d’échec

La dixième réunion de la Convention sur la diversité biologique, qui se tient du 18 au 29 octobre à Nagoya au Japon, s’ouvre sur un constat d’échec. Les 193 nations signataires de la Convention avaient convenu en 2002 de freiner «significativement» la perte d’espèces. Mais un rapport de l’ONU publié ce printemps montre que nous exterminons un nombre toujours plus grand d’espèces. Le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, y admet le fiasco collectif.

Nous arrivons donc à un point de crise sans précédent. Les principales pressions qui font disparaître les espèces s’intensifient et forment un quartet endiablé: dégradation des habitats, surexploitation des populations, pollutions et changements climatiques, introduction d’espèces envahissantes qui déstabilisent les écosystèmes. Certaines de nos grandes industries (agriculture, pêche, aquaculture, foresterie, tourisme), nourries par nos comportements quotidiens, ne sont toujours pas pratiquées de façon durable.La surpêche est une des activités humaines qui menacent la biodiversité.

 Nagoya, aussi source d’espoirs

Il serait dramatique que ce constat ne mène pas vers une nouvelle salve d’accords internationaux visant à protéger la biodiversité. Des pistes émergent. Ainsi, la diminution progressive des subventions aux industries destructrices de la biodiversité est envisagée. Par exemple, la pêche commerciale en eau salée reçoit entre quinze et trente milliards de dollars annuellement en subventions, alors qu’un tiers des stocks de poissons s’effondrent. N’est-il pas logique de supprimer ces subventions et de les réinvestir dans la gestion durable des stocks? Reste à voir si la logique politique peut dépasser les intérêts locaux et ceux du court terme.

Plusieurs pays ont déjà gagné gros en intégrant la conservation de la biodiversité aux enjeux économiques et sociaux. Douze mille hectares de mangroves ont été plantés ou protégés au Vietnam au coût d’un million de dollars, mais en générant des économies annuelles de plus de sept millions en entretien de digues et réservoirs. La superficie mondiale des zones protégées augmente, et un plus grand nombre de pays luttent contre la menace des espèces exotiques envahissantes. Mais ces progrès apparents ne seront qu’un pansement sur une jambe de bois, si l’on ne priorise pas davantage la conservation de la biodiversité dans tous les domaines de prise de décision et dans tous les secteurs économiques.

Comme pour les négociations liées aux changements climatiques, les débats nord-sud surgissent. Ainsi, les pays tropicaux, pauvres pour la plupart, hébergent la plus grande part de la biodiversité mondiale. Des milliers d’espèces de plantes y contiennent des agents médicamenteux que la science commence à découvrir. La multinationale pharmaceutique Eli Lilly a ainsi isolé dans la pervenche de Madagascar deux alcaloïdes utilisés en chimiothérapie. Comment partager les avantages de la découverte? Peut-on demander à Madagascar de protéger sa biodiversité sans lui retourner certains bénéfices? Ces questions attiseront les tensions entre pays riches et pays pauvres.

La biodiversité chez nous

Avec 10 % des forêts et 25 % des zones humides de la planète, le Canada joue un rôle crucial dans la préservation de la biodiversité mondiale. Mais d’après le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, environ six cents espèces sauvages canadiennes sont en péril. Une quarantaine ont déjà disparu. Encore une fois, ces estimations sont minimales et l’information manque pour que les scientifiques puissent évaluer l’état de santé de toutes les espèces.

Certaines ont disparu au XIXe siècle, chassées jusqu’au dernier individu. C’est le cas de l’eider du Labrador, du grand pingouin et de la tourte voyageuse. D’autres subsistent en nombres tellement faibles qu’elles sont au bord de la disparition. Ainsi, le caribou de la Gaspésie, le rorqual bleu dans le golfe du Saint-Laurent et le chevalier cuivré sont victimes de la dégradation de leur habitat ou ne se relèvent pas de prélèvements excessifs. Le constat est identique pour des centaines d’espèces moins charismatiques.

Au Canada, la Loi sur les espèces en péril prévoit la protection légale des espèces en péril et est censée prévenir leur disparition et permettre de prendre les mesures nécessaires pour les rétablir. Mais elle est appliquée si mollement qu’elle ne freine guère le déclin de la biodiversité. Si le Canada ne se donne pas les moyens de vraiment protéger son patrimoine biologique, comment espérer que des pays plus pauvres le fassent?

Un pacte plus intelligent

Il nous faut construire de toute urgence un pacte plus intelligent avec les autres formes de vie. Un contrat naturel qui enrichira et renforcera le contrat social que nous avons forgé entre les humains. Nous devons continuer d’apprendre à devenir écocitoyens. Étant mauvais élèves, l’apprentissage est long.

On le voit, la question de la biodiversité rejoint celle de la nécessaire solidarité entre les peuples et entre les générations. Certes, Nagoya sera un constat d’échec. Mais espérons qu’il en émergera des voies d’espoir pour une relation durable entre les humains et les autres espèces.

Source : ledevoir.com  (18.10.10)

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