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Thèse sur les dauphins de Mayotte…

Débarqué du Marion Dufresne, le navire qui effectue la liaison entre les Iles Eparses, la Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises, Jérémy Kyszka, aujourd’hui chercheur pour l’Institut de recherche et développement (IRD) à la Rochelle, a présenté la restitution de sa thèse sur « La ségrégation écologique au sein d’une communauté de dauphins tropicaux ». Après avoir étudié les dauphins de Mayotte pendant 5 ans, M. Kyszka a mis en évidence l’utilisation de l’espace et des ressources et le fonctionnement social des groupes de dauphins présents à Mayotte, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du lagon. Ces premiers travaux universitaires serviront de base pour étudier l’évolution des populations de dauphins, mais ils ont également permis de découvrir une espèce unique « hybride », mélangeant les caractéristiques du dauphin à bosse et celles du grand dauphin, qui n’avait jamais été observée par les scientifiques jusque-là.

Jérémy Kiszka, jeune docteur en océanologie biologique et environnement marin, peut remercier Mayotte de lui avoir fourni un terrain d’études presque vierge. Après avoir travaillé 5 ans sur l’île, pour l’Etat puis pour le conseil général, il vient de restituer sa thèse intitulée « Ségrégation écologique au sein d’une communauté de dauphins tropicaux : utilisation de l’espace et des ressources et fonctionnement social » à l’Université de la Rochelle et travaille désormais pour l’IRD, où il étudie notamment les requins dans les Iles Eparses.

« Cette première thèse financée par le conseil général et l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) permet d’établir une situation de référence pour voir ensuite l’évolution des populations de dauphins et son chevauchement avec les activités humaines, en préservant les espèces tout en les conciliant avec les activités économiques, afin de préparer le futur de Mayotte et son développement touristique », s’enthousiasme Léonard Durasnel, chef du service patrimoine naturel à la DEDD, qui avait organisé cette restitution au conseil général le 15 avril dernier. Il a ajouté qu’elle permet également « d’amorcer les futurs travaux universitaires du Centre universitaire régional », dont l’ouverture est prévue à la rentrée prochaine. Malheureusement, aucun élu n’avait fait le déplacement pour assister à cette réunion… 23 espèces de dauphins tropicaux, dont 13 présentes à Mayotte

Doctorant depuis début 2007, M. Kyszka a d’abord été VCAT à l’ONCFS dans le cadre de l’Observatoire des mammifères marins, en collaboration avec le conseil général, avant de quitter l’île il y a un an et demi. Après une série de campagnes de collecte non standardisées de juillet 2004 à juin 2006, il a ensuite pu faire venir le professeur Vincent Ridoux, son directeur de thèse, qui a constaté que Mayotte est « un des sites les plus accessibles, où il y a l’une des plus grosses densités et variétés de mammifères marins dans le monde », plus importantes encore que d’autres secteurs comme les Bahamas ou Hawaii.

De plus, « les dauphins tropicaux sont assez peu connus à l’échelle mondiale », précise M. Kyszka. En tout, 36 espèces de delphinidés ont été recensées dans le monde : 23 d’entre elles sont répertoriées dans les eaux tropicales, dont 17 sont endémiques, c’est-à-dire qu’on ne les retrouve qu’à un seul endroit. Mayotte accueille à elle seule 13 espèces sur 2.500 km²…

Le chercheur s’est notamment intéressé à la manière dont les différentes espèces de dauphins présentes à Mayotte se partagent leur habitat et les ressources, mais aussi sur le fonctionnement social intra et inter-espèces. Quand plusieurs espèces de prédateurs, voire plusieurs groupes au sein d’une même espèce, se disputent les ressources au sein de niches écologiques qui se chevauchent, leur stratégie peut d’abord consister à chercher à détruire l’autre, comme par exemple les dauphins tuant des marsouins en Europe, « mais la plus commune est l’exclusion compétitive : une seule espèce se développe au détriment de l’autre ».

Un phénomène qui explique comment s’est façonnée la biodiversité et qui peut aussi se comprendre pour la répartition des territoires des différents groupes au sein d’une même espèce. « Ces communautés interagissent entre elles comme une société », constate le chercheur.

Le grand dauphin fréquente essentiellement le lagon et les récifs peu profonds

Pour collecter les données, M. Kiszka a effectué des centaines d’observations géo-référencées mises en relation avec la physiographie, c’est-à-dire la profondeur et la pente des fonds marins, et a également effectué des biopsies de peau et de lard, qui ont permis de faire une analyse des ressources exploitées par les différentes espèces, grâce à la technique des « isotopes stables » du carbone et de l’azote, qui donne des indications sur les habitats, le type d’alimentation et le niveau trophique de l’organisme, c’est-à-dire son rang dans la chaîne alimentaire.

Les résultats montrent qu’il y a des disparités géographiques et comportementales en fonction des espèces : le grand dauphin est un prédateur diurne, côtier et fréquentant essentiellement le lagon et les récifs peu profonds, alors que le dauphin à long bec se repose et socialise le jour, le long du récif barrière, et est un prédateur nocturne.

Le dauphin tacheté est quant à lui légèrement plus océanique, mais a un habitat très proche de celui du dauphin à long bec, et est au moins prédateur diurne. Enfin, le péponocéphale a des habitats proches du dauphin tacheté, mais ces deux espèces ont des niches alimentaires distinctes.

Les longs becs utilisent les tachetés pour se protéger des prédateurs

Dans la seconde partie de son exposé, le chercheur s’est appesanti sur les associations plurispécifiques, et plus particulièrement sur les « espèces jumelles » que sont les dauphins longs becs et tachetés, qui s’associent très fréquemment dans les eaux de Mayotte, les « groupes mixtes » représentant 21% des groupes de ces deux espèces qu’il a observés.

Il a remarqué une différence significative entre les activités des groupes poly et mono-spécifiques, et le fait que les longs becs, qui changent leur habitat quand ils s’associent avec les tachetés, ne s’alimentent alors jamais, contrairement au tachetés. Il a également constaté une augmentation de la fréquence de leur déplacement, lorsqu’ils étaient en association. Les longs becs utilisent alors les tachetés comme « véhicules », car ils sont plus alertes qu’eux le jour. Ces deux espèces ne s’associeraient donc ni pour des raisons alimentaires, ni pour les avantages sociaux, les longs becs profitant seulement des tachetés pour transiter entre leurs sites de repos et se protéger des prédateurs.

Une espèce hybride, mélangeant 25% du dauphin à bosse et 75% du grand dauphin

« Aux Bahamas, les grands dauphins s’associent aux tachetés pour pratiquer des interactions sociales, et parfois même des relations sexuelles, avec une espèce plus petite pour les jeunes adultes », révèle M. Kiszka. A Mayotte, une espèce hybride, mélangeant 25% de caractéristiques génétiques du dauphin à bosse, et 75% de celles du grand dauphin, a pu être observée. Cet hybride de 2ème génération, alors que les croisements entre espèces animales sont généralement stériles (voir encadré), « peut avoir des implications dans la théorie de l’évolution » chère à Darwin, n’hésite pas à affirmer le chercheur, face à cette découverte scientifique unique au monde. Selon lui, « le dauphin à bosse peut capturer un jeune grand dauphin et l’adopter de force pour compenser son isolement géographique et la faible densité de sa population ».

« Les mycoses de peau chez les grands dauphins doivent être suivies de près, car elles sont probablement liées à la qualité de l’eau », a par ailleurs indiqué M. Kiszka en conclusion, ajoutant que « l’intérêt de Mayotte est de faire un suivi à long terme : le conseil général doit en assurer la coordination et soutenir les étudiants mahorais », notamment pour poursuivre le travail de photo-identification et définir les espèces prioritaires pour la conservation.

 Source : mayottehebdo.com  (03.06.11)  

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