Rencontre avec Melisa Sevim, une ex-dresseuse de dauphins, lors de la préparation de sa vidéo sur les delphinariums “The Other Side of the Medal ; Marine Parks” (« Le revers de la médaille ; les parc aquatiques »). Elle nous a parlé de ses nouveaux projets pour les mammifères marins et a répondu à nos questions avec honnêteté sur son passé de dresseuse de dauphins.
Bonjour, j’étudie à la Faculté des Sciences piscicoles. J’ai été dresseuse de dauphins ; soigneuse de dauphins comme on nous appelle également.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste un entrainement de dauphin ? Comment se déroule ce type d’entrainement ?
La plupart du temps, le contact d’un dauphin avec son dresseur a lieu dès leur capture ; en effet les dresseurs aident à capturer les dauphins. Ensuite, les dauphins capturés sont transportés vers les delphinariums où on les habitue d’abord à manger du poisson mort et ensuite à communiquer avec les humains. Les dresseurs soignent et entrainent les dauphins à plein temps. Ils viennent en majorité du Mexique, de Russie, d’Ukraine et d’Espagne.
Comment devient-on dresseur de dauphins ? Doit-on aller dans une école spécialisée ou suivre une formation spéciale ?
Le Moorpark College en Californie organise un programme de formation de deux ans qui s’appelle Gestion et formation en animaux exotiques (« Exotic Animal Training and Management « (EATM)) mais cette formation ne donne pas les bases pour devenir dresseur de dauphins. A Mexico, on peut suivre une formation de dresseur d’animaux appelée « ABC Animal Training » : ce sont des cours d’une semaine ou d’un mois. En réalité, ce métier s’apprend sur le tas et les références de précédents employeurs sont plus importantes qu’un diplôme.
Pour quelles raisons avez-vous choisi d’exercer ce métier ? Quelle expérience en retirez-vous ?
Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours rêvé de pouvoir travailler avec des mammifères marins. Même s’il n’existait pas de profession à part entière, j’en rêvais. Lorsque j’étais dresseuse de dauphins, je n’ai jamais exercé mon métier de façon routinière. Je passais mon temps à observer les dauphins très tôt le matin jusqu’aux plus belles heures du soir pour m’assurer qu’ils allaient bien. Mais un jour, je n’ai plus supporté de voir ce qui se passait et j’ai décidé d’en prendre soin d’une autre façon.
Qu’est-ce qui vous a poussé à démissionner ?
Plusieurs dauphins sont morts et je me sentais de plus en plus désespérée. Je ne pouvais pas supporter de rester impuissante et de ne pouvoir les sauver ! C’est à ce moment-là que j’ai réfléchi au choix qui s’offrait à moi de m’investir beaucoup plus. J’ai donc décidé de me battre pour les protéger.
On dirait que ce que vous avez enduré vous a fait changer d’avis complètement ? Que faites-vous maintenant ?
Oui, en effet. Je suis bénévole à la Underwater Research Society – Marine Mammals Research Group (SAD – DEMAG). Nous venons de publier le rapport intitulé « Les Dauphins, prisonniers des bassins ».
Revenons aux entraînements : combien de temps faut-il pour conditionner un dauphin à manger du poisson mort, être dressé et faire des spectacles ?
Je n’ai jamais entraîné un dauphin qui venait d’être capturé mais je puis vous dire que cela ne prend habituellement que deux mois environ. Un spectacle assez simple requiert une préparation d’environ 6 mois. Ces périodes dépendent également des dresseurs : s’ils ne sont pas assez expérimentés, cela peut durer plus longtemps. Cependant, la période d’adaptation des dauphins capturés à Taiji (Japon) est beaucoup plus longue en raison des traumatismes psychologiques et physiques qu’ils y ont subi lors de leur capture.
DAUPHINS SOUMIS A DES VIOLENCES PHYSIQUES
Si les dauphins ne sont pas réceptifs au dressage, les affame-t-on ou sont-ils punis sévèrement ? Comment cela se passe-t-il ?
Cela dépend entièrement du dresseur. Lorsque j’entrainais les dauphins, j’ai ressenti un attachement très fort et un contact très étroit avec un dauphin âgé de 17 ans, un peu plus âgé que les autres dauphins. Il s’ennuyait rapidement dans la piscine d’entrainement et s’éloignait de l’autre côté, il ne se préoccupait ni de la nourriture ni des instructions. Un autre dresseur expérimenté s’entendait bien avec lui mais il travaillait dans un autre bassin. Ce dauphin m’obéissait parce que nous avions un bon contact : j’étais patiente et j’éprouvais de la compassion pour lui. J’ai été témoin de la violence d’un dresseur à l’égard d’un dauphin. Il y a bien deux types de dresseurs : ceux qui font ce travail pour l’argent et ceux qui torturent les dauphins. Les dresseurs russes sont les plus cruels.
Que voulez-vous dire par « violence » ?
Il battait le dauphin ! C’est quelque chose qui arrive très souvent : ils les battent, les frappent et certains dresseurs ne les nourrissent pas. Ce sont de mauvais dresseurs car ceux qui réussissent les entrainements choisissent de commencer par le début, d’amuser les dauphins avec de petits jeux pendant les entrainements. Comme vous l’aurez compris, les dauphins s’ennuient au cours des entrainements.
La violence fait donc partie intégrante de la vie des dauphins en captivité ?
Tout à fait ! Malheureusement, ce sont les dauphins entrainés par des dresseurs intéressés par l’aspect lucratif qui risquent fort d’être battus et de subir des actes cruels.
Affame-t-on les dauphins ?
Cela dépend aussi du dresseur. Un bon dresseur donnera une récompense à un dauphin, même lorsqu’il réalise des tours basiques, pour ne pas le laisser sans nourriture et même si le dauphin ne s’exécute pas comme on le lui a demandé.
Que pensez-vous de la delphinothérapie ? Avez-vous déjà assisté à des séances ?
Oui, j’ai travaillé dans un bassin dédié à la delphinothérapie. J’ai vu beaucoup d’enfants et de familles dont l’état ne s’améliorait pas et qui abandonnaient après deux ou trois séances mais j’ai aussi rencontré des personnes qui faisaient quelque progrès. Je ne connais pas l’explication scientifique mais en général on pense que ce sont les effets calmants de l’eau qui permettent d’expliquer cette réussite.
CERTAINS DAUPHINS SONT AGRESSIFS ET NE « SUPPORTENT » PAS LES ENFANTS : DE RAGE, ILS S’ATTAQUENT ENTRE EUX
Comment vivent les dauphins en captivité ?
Ils se battent jour après jour pour vivre avec des espèces différentes dans le même environnement. Ce surtout les dauphins mâles, lors de la saison des amours, qui deviennent très nerveux parce qu’ils sont isolés des bassins où vivent les femelles. Ils sont confinés dans des espaces réduits et leur système d’écholocation dans ce confinement les fait souffrir. La captivité rend les dauphins dépendants des hommes et les dénature complètement. Malgré tout cela, ils essaient parfois de s’amuser et de tromper leur ennui avec des jouets. Il leur arrive également de s’attaquer cruellement. J’ai vu un dauphin écraser l’aileron d’un congénère. C’est cela la face cachée des delphinariums : la vie d’un dauphin en captivité est à l’opposé des spectacles auxquels les gens assistent.
J’AI FAILLI MOURIR !
Par le passé, des dauphins et des baleines en captivité ont agressé leurs dresseurs. Avez-vous été témoin de cela ?
Oui, j’ai moi-même failli perdre la vie. Je travaillais avec un dauphin qui ne supportait pas les enfants. Lors d’une séance avec 4 enfants, il s’est subitement ennuyé au contact des enfants et a sauté au dessus-de moi avec tant de violence qu’il a failli m’écraser. C’est un animal qui peut peser 200 à 520 kgs ! Heureusement, il est retombé à côté de moi. Je me souviens avoir détourné l’attention des enfants pour ne pas les effrayer et avoir le temps de les éloigner. Ce dauphin s’est comporté de cette manière alors que cela ne faisait pas partie du programme de nage et qu’il n’avait reçu aucun ordre. C’est une réaction dangereuse qu’il ne faut en rien sous-estimer et je suggère aux fans des delphinariums de faire un peu de recherche et de regarder les vidéos sur Internet. Ce type de réactions peut être induite entre autres par la captivité, la colère, la faim, etc. Il vaut mieux ne pas mettre un dauphin en colère !
Que font-ils lorsqu’ils sont en colère ?
J’ai nagé pour la première fois avec des dauphins qui étaient malheureux et en colère. Ils détestaient ce qu’ils faisaient ! A la fin de la séance, le dresseur leur a donné leur récompense. Ne sachant pas que l’entrainement était terminé, j’ai tenté de nager avec eux et j’ai plongé avec l’un des dauphins qui m’a d’un seul coup fait tomber de son dos et repoussée avec force. Il m’a rossée à sa manière. Je veux dire qu’il m’a fait comprendre « J’ai fait ce que j’avais à faire, pourquoi continues-tu à m’ennuyer ? »
LEUR NAGEOIRE DORSALE SE COURBE SOUS LE POIDS DES HUMAINS
Qu’endurent les dauphins lorsque vous nagez avec eux ?
La plus grosse erreur lorsque l’on nage avec les dauphins consiste à tenir leur nageoire dorsale car elle est faite de cartilage (les nageoires pectorales sont faites d’os). Le dauphin qui m’avait rejetée en 2005 est maintenant à Istanbul et sa nageoire dorsale est complètement courbée.
Les dauphines accouchent souvent de morts-nés dans les delphinariums. Quelle en est la cause ?
Tout simplement parce qu’elles doivent continuer les spectacles malgré leur état ! L’une des attractions consiste à faire se tenir un dauphin sur une plateforme près du bassin avec leur nageoire caudale en position verticale. Cela provoque la mort du fœtus instantanément. Dans leur milieu naturel, les dauphines donnent la vie en nageant mais en captivité, les bassins sont trop petits. Si la dauphine n’a pas une ouverture vaginale suffisante, le petit s’étouffe et meurt. Le manque de vétérinaire attaché aux delphinariums en est également une des causes car les vétérinaires spécialisés en mammifères marins doivent venir de l’étranger ce qui constitue un coût que les delphinariums préfèrent ne pas assumer.
Nous pensons éprouver de l’empathie à l’égard des dauphins mais qu’en est-il des personnes qui viennent pour nager avec eux ? Se rendent-ils compte des effets dévastateurs de la captivité sur les dauphins ?
Non, pas pendant les spectacles… Ils viennent y assister et puis s’en vont enchantés sans se soucier.
Vous suivez les pas de Ric O’Barry qui a réalisé le film « the Cove » et a comme vous abandonné le dressage des dauphins pour devenir un ardent défenseur de leur remise en liberté. Vos parcours sont assez semblables. Que pensez-vous de Ric O’Barry ?
J’ai beaucoup de respect pour lui. Je l’ai contacté pour avoir l’autorisation d’utiliser des images du film The Cove afin de sensibiliser la population en Turquie. Il m’a immédiatement donné l’autorisation d’utiliser les photos et je lui ai envoyé une copie de ma vidéo. Il a apprécié mon travail.
Ces dernières années, les langues se sont déliées sur les pratiques des delphinariums. Comment les dresseurs de dauphins ont-ils réagi ? Est-ce que beaucoup se rendent compte de la situation ou bien y sont-ils complètement indifférents ?
Certains dresseurs veulent changer d’emploi mais ils sont bloqués financièrement. Je suis persuadée qu’ils finiront par partir dans quelques années. Malheureusement, d’autres pensent différemment : ils clament haut et fort qu’ils ont un bon boulot car ils « travaillent avec les animaux. Les gens prennent de chouettes photos et ils séduisent les garçons et les filles qui viennent les voir. Ils se fichent éperdument du reste ! »
Comment voyez-vous votre avenir ?
Tout d’abord, je ne veux plus participer à des activités commerciales qui utilisent les dauphins. Je veux dire par là que je ne veux pas gagner ma vie de cette manière. Bien au contraire, je veux faire du bénévolat pour tous projets qui défendent les mammifères marins et vais donc changer mon orientation professionnelle.
Avez-vous quelque chose à dire à tous ceux qui rêvent « de passer du temps » avec les dauphins et envisagent de devenir dresseur ?
Je leur conseille de travailler dans des centres de revalidation de dauphins pour les soigner et leur rendre la liberté plutôt que de les dresser dans les delphinariums.
Melisa, pensez-vous que les dauphins nous “sourient”?
Je pense avoir abordé cette question très clairement dans ma vidéo. Les gens sont persuadés qu’ils sourient mais ils ont la même expression quand ils sont morts…
En conclusion ?
Les delphinariums doivent leur existence au public qui s’intéresse aux spectacles avec les dauphins. Quand les gens déserteront les delphinariums, cette industrie finira d’exister. Pour arriver à cela, il faut prendre conscience de la situation et informer un large public. Les gens doivent déserter les delphinariums et dire la vérité sur ce qui s’y passe.
Merci Melisa…
Merci à vous. Contente de vous avoir rencontré !
Sources : yunuslaraozgurluk.com (14.03.11) blog-les-dauphins.com Traduction : Easy pour La Dolphin Connection
Cliquez sur le lien pour voir la vidéo « Other Side of the Marine Parks » de Melisa Sevim : sad.org.tr Voir également :