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J’observe les orques depuis 16 ans. Les enfermer dans des parcs ne les sauvera pas…

Une orque sur le point de mettre bas a été retrouvée morte, échouée sur une plage près de Courtenay en Colombie-Britannique (Canada). Les jours du mammifère marin si populaire sont-ils menacés ? Chaque année depuis 1998, Pierre Robert de la Tour se rend en Norvège pour observer l’animal dans son environnement naturel. Il témoigne.


Chaque hiver depuis 1998, je me rends dans le nord de la Norvège pour observer les orques dans leur milieu naturel. J’ai toujours été fasciné par l’intelligence de cet animal et par son extrême cohésion sociale.

Je n’ai jamais cherché à étudier une autre population que celle-ci car ce qui m’intéressait c’était aussi de voir son évolution, et celle de son environnement.

C’est aussi l’un des rares endroits où il est possible de plonger avec les orques. Et contrairement aux accidents survenus dans des parcs aquatiques, il y a jamais eu d’attaque en milieu naturel. Pour autant, nager avec eux doit être réservé à des apnéistes entraînés, encadrés par de vrais spécialistes. L’homme a sa part de responsabilité

D’une manière générale, les échouages de cétacés, et en particulier d’orques, se multiplient. En Colombie-Britannique comme ailleurs. Difficile d’en déterminer les raisons, une autopsie permet de déterminer avec exactitude les causes de la mort.

Au fil des années, mes observations m’ont permis de constater que la population des orques de Norvège n’est pas directement menacée d’extinction. Mais il est avéré que certains périls se font plus présents et pour grand nombre d’entre eux sont imputables aux activités humaines.

Sans nourriture, pas de bébé

Dans les années 1980, les scientifiques avaient estimé à environ 350 individus vivant près des côtes de la Colombie-Britannique, avant que les captures ne fassent chuter ce nombre dans les années 1970. Aujourd’hui, la population s’est considérablement réduite pour atteindre seulement 70 à 80 spécimens.

Nous savons qu’actuellement cette population de Colombie-Britannique souffre d’un manque de nourriture. Dans cette zone, la surpêche détruit la faune marine (saumon) et prive les orques de ressources alimentaires. Évoluant dans un milieu pauvre, l’animal a plus de difficultés pour procréer. En effet, après avoir mis bas, une femelle orque a besoin d’atteindre un certain seuil énergétique pour pouvoir être à nouveau gestante. Confrontée à une privation de nourriture, elle peut mettre jusqu’à 8 voire 10 ans pour pouvoir être à nouveau en gestation. Pesticides et réchauffement climatique

Les orques, comme les autres cétacés, sont également touchés par les pesticides organochlorés et PCBs.

Les contaminants physico-chimiques peuvent avoir des effets mutagènes, tératogènes, immunodépresseurs. Ce sont également des perturbateurs endocriniens.

Le réchauffement climatique, dont nous sommes aussi responsables, a lui aussi des conséquences sur l’espèce. Il repousse chaque années les harengs (principale nourriture de l’orque) plus au nord pour leur période cruciale d’hivernage. Des nuisances sonores éloignées de 500 km

Les mammifères marins sont aussi très sensibles aux nuisances sonores. Les secousses sismiques utilisées pour la prospection pétrolière peuvent être perceptible à très grande distance.

Heike Vester, scientifique qui travaille depuis 10 ans sur l’acoustique des orques en Norvège, m’avait fait écouter des enregistrements sonores. On y entendait le chant des orques, et en arrière-fond, toutes les 7 secondes, les impacts sourds clairement audibles des secousses sismiques. Pourtant, la prospection en cours était située à plus de 500 km de là !

Un tel bruit peut avoir un effet dévastateur sur le système acoustique des orques. Voir générer de graves lésions du tympan.

Les parcs ne vont pas les sauver

L’orque, à l’instar du requin blanc, a toujours fasciné. Nous serions probablement fascinés aussi si nous avions la possibilité d’observer un T-Rex. Mais l’animal a subi les foudres de sa notoriété au point de pousser les parcs animaliers à le pourchasser. Les captures d’orques sont heureusement interdites depuis la convention de Washington depuis 1973. Mais on sait que des pays ne respectent pas cette interdiction (Russie, Chine, etc.).

Cloisonné dans un bassin, faute d’espace suffisant, l’orque ne peut pas vivre convenablement . Il a besoin d’une zone de confort suffisante notamment vis-à-vis de ses congénères.

Cet animal est avant tout un prédateur des mers dont la priorité est de chasser. Une fois trouvée, il mange sa proie et s’amuse ensuite avec ses congénères. La phase de socialisation vient après la chasse. Dans un bassin, son cycle est totalement inversé : on lui demande de jouer… pour manger.

Il est illusoire de croire que ces animaux bien que menacés soient davantage en sécurité dans des parcs animaliers. Les scientifiques ont aujourd’hui les moyens nécessaires pour les observer dans leur milieu naturel, tout comme il n’est pas indispensable de conserver quelques spécimens parqués pour la reproduction sous prétexte de craindre leur extinction. Je vois des dizaines de petits tous les ans

Pour avoir observé les orques de Norvège pendant plus de 15 ans, je peux vous assurer que je ne vois aucune raison valable de garder des spécimens enfermés. Alors que faire ? Les remettre dans la nature. Oui, en mettant en œuvre un programme de réhabilitation à la vie sauvage. J’affirme que c’est possible et serais heureux de participer à un tel programme. Parfois, les parcs se félicitent d’une naissance occasionnelle, mais moi, j’en vois chaque année plusieurs dizaines. En 1998, quand j’ai réalisé ma première expédition en Norvège, il y avait environ 600 individus photo-identifiés. Aujourd’hui, ils sont 1.500, peut-être plus !

Cela me conduit à être optimiste, pas catastrophiste. J’espère juste qu’un jour nous réaliserons que nous sommes les seuls responsables des dangers qui les entourent. Il ne tient qu’à nous d’agir pour éviter ces échouages encore bien trop nombreux. Propos recueillis par Louise Auvitu
Source :  leplus.nouvelobs.com (11.12.14)
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