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Québec – La «série noire» de décès de bélugas se poursuit…

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Le déclin de la population de bélugas du Saint-Laurent continue d’inquiéter chercheurs et écologistes. Observée depuis 2010, l’augmentation des décès des nouveau-nés ou de leurs mères se maintient, et l’été 2016 ne fait pas exception à cette triste tendance.

«On semble parti vers une autre année inquiétante et nous n’avons pas encore d’explications satisfaisantes», a admis samedi Robert Michaud, président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).

Depuis le début de la période des naissances, dans les premiers jours de juillet, deux carcasses de nouveau-nés ont été trouvées et une troisième a été observée. «On est à deux cas confirmés et documentés. Avant-hier, on a vu une autre carcasse. C’était une mère qui transportait son veau mort sur sa tête.»

Ce qui est désormais appelé «la série noire» des bélugas du Saint-Laurent dure maintenant depuis sept étés consécutifs. «Depuis 2010, ça se poursuit. Avec chaque année qui s’ajoute, l’inquiétude augmente. Déjà on a enregistré ce qu’on voyait avant 2010», s’est désolé M. Michaud. Aux nouveau-nés déjà trouvés s’ajoutent deux femelles mortes. «Ce sont deux femelles qui venaient de donner naissance.»

En 2015, 14 carcasses de bélugas ont été observées par le GREMM, dont la majorité appartenaient à des bébés ou à des femelles. Des mâles sont aussi du nombre.

Déclin «énorme»

Selon les «meilleurs estimés» établis par les groupes de recherche sur le béluga, le déclin de la population du Saint-Laurent se fait à un rythme de 1 à 1,5 % par année. «C’est énorme», selon M. Michaud.

D’après un recensement de Pêches et Océans Canada datant de 2012 – il s’agit du plus fiable disponible -, il y aurait environ 889 bélugas dans le fleuve et son estuaire. Un nouveau rapport du ministère fédéral est attendu cet automne. L’étude commandée par le gouvernement canadien viendra donner un sérieux coup de pouce aux chercheurs. Robert Michaud précise que les données recueillies par le GREMM et ses partenaires, notamment sur les carcasses, ne sont pas toujours faciles à mettre en perspective sans données exactes sur la population. «Ce qu’on peut quantifier, c’est le nombre de carcasses. On ne les retrouve pas toutes et on ne sait pas quelle proportion on retrouve», a-t-il expliqué. Le nombre de naissances réussies n’est pas non plus comptabilisé.

Mais même sans avoir ces chiffres, M. Michaud confirme un problème. «La valeur de ces séries [noires], c’est qu’on les a retrouvées sur plusieurs années.»

Difficile à suivre

Ce qui est d’autant plus difficile à comprendre, c’est que plusieurs indicateurs démontrent que la qualité de l’eau du fleuve Saint-Laurent s’est améliorée. «C’est vrai qu’il y a des indices d’amélioration», a affirmé M. Michaud. Ce dernier constate que les bélugas ne meurent plus de cancers du système digestif depuis de nombreuses années, ce qui laisse croire à une diminution de la contamination de l’espèce et de toute la chaîne alimentaire.

D’autres facteurs sont cependant entrés en ligne de compte et continuent de faire l’objet de recherches. L’augmentation de la température de l’eau, la diminution des stocks de poisson et l’augmentation du trafic maritime sont trois champs d’action prioritaires. «La glace a disparu l’hiver, la bouffe a peut-être changé. C’est peut-être un malheureux mélange de causes.»

Encore cet été, le GREMM passera plus de 100 jours en mer afin d’aller à la rencontre des cétacés avec différents chercheurs. D’ici à ce que les réponses se précisent, le béluga du Saint-Laurent demeure une population en voie de disparition. «Techniquement, si on ne fait rien, la population va disparaître.»

Deux bélugas confiés aux premiers ministres Couillard et Trudeau

Les premiers ministres Philippe Couillard et Justin Trudeau se sont vu confier chacun un béluga cette semaine. Sous la plume de son président, le GREMM a ainsi interpellé les deux paliers de gouvernement dans une lettre ouverte publiée par Le Devoir.

Invité à résumer son intention samedi, Robert Michaud a expliqué qu’il souhaitait rappeler aux décideurs que les projets de développement économique ne doivent pas se faire aux dépens de la protection des bélugas. Il les invite plutôt à travailler en amont avec les groupes environnementaux.

«On a confié symboliquement deux bélugas nés autour de l’an 2000. On prétend que si on s’en occupe bien, si on partage bien le Saint-Laurent, ce sont des animaux qui pourraient vivre jusqu’en 2080. On pense que nos activités de développement économique ont des impacts à long terme, alors ça prend donc des stratégies de protection à long terme», a plaidé M. Michaud.

La Stratégie maritime du Québec vient au premier plan des préoccupations. En juin dernier, on apprenait notamment que des sommes étaient investies afin d’évaluer le potentiel d’une zone industrialo-portuaire à Gros-Cacouna.

Inquiétudes

La nouvelle détonnait, un peu plus d’un mois après qu’Ottawa eut déposé un décret ministériel visant à protéger l’habitat du béluga, dont Cacouna fait partie. De nombreux groupes écologistes, dont le GREMM, ont fait part de leurs inquiétudes, entre autres concernant le bruit des navires, auquel les cétacés sont particulièrement sensibles.

«Parallèlement à la Stratégie maritime, on devrait aussi déterminer quels secteurs on va préserver, pas faire ça après coup. […] On a peur que nos stratégies nous prennent de vitesse, qu’on déploie plus rapidement les projets de développement que nos projets de protection.»

Le GREMM propose notamment de protéger la rivière Saguenay et tout le chenal sud de l’estuaire moyen du fleuve, de Trois-Pistoles et l’Île aux Basques, en passant par Cacouna, jusqu’à Kamouraska. «On ne pourra pas mettre une cloche de verre sur le Saint-Laurent, mais il faut partager l’habitat.»

Source et capture d’écran : lapresse.ca, le 30/07/2016

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