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Ce poison sournois qui fait de la chasse aux globicéphales une patate chaude dans la politique des Îles Féroé

La viande et le lard de baleine-pilote constituent depuis longtemps la base de l’alimentation des féringiens mais avec la contamination croissante des globicéphales par des substances toxiques, cette source de nourriture traditionnelle empoisonne en silence la population locale.

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En Europe : Le Grind aux îles Féroé suscite la contestation

Tous les ans, et depuis plus de 1 000 ans, des centaines de globicéphales sont rabattus et massacrés à la main sur les plages des îles Féroé.

De nombreux habitants des îles continuent de considérer ces chasses non-commerciales comme une tradition. La viande est partagée entre toutes les familles et est ensuite congelée en attendant d’être consommée ultérieurement.

« La chasse à la baleine fait partie du mode de vie des îles Féroé », déclare Ingi Sorensen, un plongeur et photographe féringien dans une interview accordée au site Deutsche Welle (DW). « Cette chasse est pratiquée depuis plusieurs centaines d’années, et si cela n’avait été le cas dans le passé, je pense que les îles Féroé n’auraient jamais existé. »

Cette pratique, appelée Grind (Grindadráp), fait les gros titres de la presse internationale depuis plusieurs années en raison des méthodes d’abattage dénoncées par les défenseurs des droits des animaux. A la suite d’altercations fréquentes entre les activistes de Sea Shepherd et les chasseurs locaux, la présence de l’organisation est désormais interdite dans les eaux féringiennes.

Jens Mortan Rasmussen, un chasseur féringien participant au Grind, pense que la viande des globicéphales reste encore une source de nourriture importante et durable pour les îles.

« Presque tout ce que vous pouvez voir dans les supermarchés des îles Féroé provient de l’importation, » déclare-t-il à DW. « Pour moi, tuer un animal c’est tuer un animal. Ce n’est jamais une partie de plaisir.  Mais c’est nécessaire pour obtenir de la nourriture.  Si vous estimez que vous pouvez manger du poulet pour ensuite venir me dire que je ne peux pas tuer un globicéphale, alors vous n’êtes qu’un hypocrite. »

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Des risques sanitaires évidents

Cependant, la viande de globicéphale est tellement contaminée par le mercure et par d’autres métaux lourds présents dans l’océan que les autorités sanitaires des îles déconseillent fortement de la consommer.

Le Dr Pal Weihe est le Médecin Chef du département de Santé Publique et de Médecine du Travail au sein du Système Hospitalier Féringien. Depuis 1984, il conduit des recherches et teste les effets de la consommation de viande de globicéphale sur plus de 2 300 enfants féringiens et leurs mères.

Il explique au DW que des polluants comme le mercure, les PBC (biphénylespolychlorés) et les PFC (composés perfluorés) présents dans les océans de la planète finissent dans les mammifères marins qui sont consommés par des communautés aux îles Féroé, au Groenland et dans certaines parties du Canada et de la Sibérie.

« Cela signifie que la pollution silencieuse des océans finit un jour dans les repas de certaines communautés, et ce sont nos enfants qui payent le prix fort », résume Weihe.

Des investigations complémentaires ont permis à Weihe et ses collègues de découvrir que des contaminants présents dans la viande et le lard des globicéphales augmentent le risque de développer la maladie de Parkinson, l’hypertension, la sclérose en plaque et provoquent même des déficits cognitifs chez les enfants exposés au méthylmercure dans le ventre maternel.

« Le corps médical féringien recommande de bannir totalement la viande de globicéphale de son alimentation » dit-il.

En 2011, le gouvernement féringien a fait le choix de ne pas promouvoir une recommandation visant à interdire la consommation de viande et de lard de globicéphale. Il a préféré apporter son soutien à une recommandation plus légère émise par les Autorités Alimentaires et Vétérinaires des îles Féroé qui conseille aux adultes de ne pas manger de la viande et du lard de globicéphale plus d’une fois par mois.  Ce rapport recommande également aux femmes enceintes et allaitantes, ainsi qu’aux jeunes filles, d’éviter de consommer de la viande de baleine-pilote.

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Les recommandations des médecins « ne sont pas des lois »

Kate Sanderson dirige la Mission des Îles Féroé auprès de la Commission Européenne et a été conseillère au gouvernement sur la chasse à la baleine pendant plus de 25 ans. Elle affirme au DW que consommer de la viande de globicéphale est un choix qu’il n’appartient pas au gouvernement d’interdire.

« Les gens sont parfaitement au courant des risques associés à la consommation de viande et de lard de baleine-pilote et les recommandations autour de cette consommation sont uniquement axées autour de cela. Elles n’ont pas valeur de loi » déclare-t-elle. « Il n’appartient pas au gouvernement de se prononcer… Continuer à consommer ou non cette source de nourriture est une décision personnelle ».

Weihe déclare que si la décision du gouvernement de soutenir la recommandation des Autorités Alimentaires et Vétérinaires pouvait encore se justifier il y a 10 ou 15 ans, le cumul des preuves sur les effets néfastes de la consommation de viande des globicéphales est désormais conséquent.

« Beaucoup de personnes ont leur opinion, mais elle ne s’appuie absolument pas sur des faits scientifiques », dit-il. « Mon tout premier devoir est de donner aux gens des conseils sur leur santé, pas de préserver une culture ».

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Un débat tranché

L’écologiste féringien Runi Nielsen pense que les hommes politiques continueront à défendre la chasse à la baleine-pilote envers et contre tout, même en dépit des recommandations des autorités sanitaires.

« Le débat est de plus en plus tranché. Si un homme politique déclare que nous ne devrions pas tuer autant de globicéphales parce que cela est très mauvais pour la santé des consommateurs, il sera immédiatement accusé de soutenir Sea Shepherd », dit-il. « C’est pour cela que je ne pense pas qu’une interdiction sera mise en place. Cela doit venir des gens ».

Kate Sanderson pense que le monde devrait plutôt se concentrer sur le nettoyage des océans plutôt que de se demander si les habitants des îles Féroé devraient, ou non, consommer de la viande de globicéphale.

« C’est de la bonne nourriture », dit-elle. « Ce n’est pas de notre faute si nous devons maintenant faire attention à ce que nous mangeons. Ces polluants ne viennent pas d’ici ; ils sont la conséquence d’activités industrielles pratiquées partout dans le monde. C’est sur ce point que les gens devraient se concentrer.  Laissez les habitants des îles Féroé faire ce qu’ils veulent – et nettoyez les océans ».

Source et crédit photo : DW, le 13.10.16

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