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Échouage de cétacés : un scientifique explique ce phénomène « extrêmement important » au Maroc

Le Maroc compte entre 120 et 130 échouages par an, un nombre conséquent pour l’océanographe Mohamed Mennioui.

Dimanche dernier, sur la plage de Zénata, un cétacé appelé rorqual commun a été retrouvé sans vie. Alertés comme il se doit en pareilles circonstances, les chercheurs du réseau de suivi des échouages de l’Institut National de Recherche Halieutique (INRH) se sont déplacés sur place. Ils ont dressé leur constat et prélevé des échantillons de tissus pour des études écologiques.

Des échouages de cétacés, le Maroc en connait une centaine, environ entre 120 et 130, chaque année. Mais quelles sont les raisons qui expliquent ce phénomène et qu’en pensent les scientifiques marocains ? Le Pr. Mohamed Mennioui, océanographe, expert en biodiversité marine à l’Institut scientifique de Rabat (Université Mohammed V) répond au HuffPost Maroc.

HuffPost Maroc : Connaissons-nous les raisons exactes de l’échouage de cétacés ? 

Mohamed Mennioui : Il peut y avoir énormément de raisons, mais, pour en déterminer l’origine, il faut effectuer des analyses qui s’avèrent relativement difficiles. Souvent, cette origine est anthropique, c’est-à-dire, liée à une activité humaine, comme les moteurs des bateaux, des explosions (essais ou projets), la pollution chimique, la nuisance acoustique… Tous peuvent être des facteurs.
Les baleines, dauphins, globicéphales et autres cétacés ont un système d’écholocation comme les chauves-souris. Ils émettent un son qui percute un obstacle et revient vers l’animal qui l’analyse et peut connaître exactement sa forme. Mais face, par exemple, à la nuisance sonore émise par les bateaux ou des expériences menées au large, ce système est brouillé. Les animaux déboussolés prennent alors des directions qu’ils ne cherchaient pas forcément. Cependant, l’écholocation ne fonctionne pas non plus lorsque l’animal est malade. C’est pour cela qu’il est difficile de déterminer la raison. L’animal mort est ensuite charrié par des courants superficiels vers les côtes.

Qu’est-ce qui explique que des échouages concernent parfois un groupe de cétacés ?

Il y a quelques jours, justement, sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, 600 globicéphales se sont échoués. Cette espèce est grégaire, elle se déplace en groupe. Lorsque quelques individus s’échouent, ces derniers, agonisant, émettent une sorte de signal. Les autres viennent les sauver et se dirigent vers la plage, mais sont pris au piège. C’est pour cela que l’on constate un échouage en masse de ce genre.

Ce n’est pas le cas des baleines, par exemple. Elles sont soit solitaires ou se déplacent en petits groupes. Les solitaires sont généralement les mâles, les femelles, elles, se déplacent avec 3 ou 4 individus. Le risque d’échouage en masse est moindre.

Ces échouages ont-ils un impact sur l’écosystème ?

Chaque espèce a un rôle dans l’équilibre de la nature. Chaque individu qui disparaît laisse indiscutablement sa place. Il n’y a pas d’espèce en trop dans l’écosystème. C’est un équilibre parfait et chaque individu/espèce qui disparaît se répercute sur l’ensemble de l’écosystème, malheureusement.

Pour les scientifiques comme vous, ces échouages n’offrent-ils pas l’opportunité de mener des recherches ?

En effet, tout individu qui s’échoue présente une occasion pour les scientifiques, en particulier ceux qui s’intéressent à la pollution marine. Ils peuvent notamment chercher l’origine de l’accident, en faisant des analyses de métaux lourds et polluants permettant d’évaluer le taux de la pollution des eaux, entre autres, marocaines, car il se peut que l’individu échoué provienne d’ailleurs.

Mais, c’est quasiment impossible de remonter la provenance de l’animal si ce dernier n’est pas marqué (portant un marquage) comme le cas, par exemple, des tortues et des requins. Ce marquage permet de suivre la migration et l’évolution des déplacements d’un individu. Pour les autres, qui sont “anonymes”, il est difficile de les suivre. Pour la majorité des mammifères marins, ils sont migrateurs et se déplacent beaucoup. Très rares sont cantonnés dans des zones limitées.

Quel constat faites-vous des échouages qui surviennent au Maroc et dont le nombre avoisinerait les 120 à 130 par an ?

Pour moi, ce nombre est extrêmement important. Sur les plages marocaines, se sont échouées plusieurs espèces, surtout des petits dauphins, des cachalots, des baleines, des orques et pseudorques (fausses orques). Il y a eu aussi, une ou deux fois, l’échouage d’un dauphin gris, une espèce qui n’est pas commune. Et sur les côtes de Dakhla, il y a toujours le squelette d’un cétacé rare qui est le cachalot nain, à l’Institut National de Recherche Halieutique de la région.

Après la découverte de ces cétacés échoués, à quoi servent leurs carcasses ?

Enfouies ou incinérées, ces carcasses, on n’en profite malheureusement pas. Il y a des espèces comme celui de ce cachalot nain de Dakhla, extrêmement rare, mais son squelette est en train de dépérir. On aurait pu, au moins, le mettre dans un musée, mais on n’en a pas non plus. Le seul que nous ayons est le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) basé à l’Institut scientifique de Rabat. Créé en 1920, il est aujourd’hui trop petit pour contenir des espèces aussi grandes que des baleines.

Il n’y a pas d’associations opérant dans ce genre de spécialité et les scientifiques au Maroc n’ont pas les moyens d’assurer des suivis dans le domaine. À l’INRH, ils font des recherches sur les cétacés, mais cela reste plutôt superficiel tant qu’il n’y a pas de moyens pour mener des études poussées. On attend alors que le cétacé échoue pour aller l’identifier et parfois, on ne fait pas d’analyses.

Comment remédier à cela ?

Il faut sensibiliser et constituer un groupe de scientifiques spécialisés. Sur l’ensemble de ceux qui travaillent sur la faune et la biodiversité au Maroc, il n’y a pas de spécialiste de mammifères. Il faut des formations sur les cétacés, les mammifères marins, pour pouvoir disposer d’une équipe de spécialistes.

Il existe des formations universitaires dans le cadre de coopérations avec des organismes internationaux. Et on peut former des spécialistes en mammifères marins et tortues marines également.

Actuellement, c’est un manque crucial que l’on constate dans l’océanographie et la biodiversité marine en général. On aurait pu profiter de la richesse des côtes marocaines en mammifères marins. On n’aurait plus à attendre que des animaux échouent pour aller les étudier. Il faut les étudier sur place, dans leur milieu naturel. Les échouages, qui sont des accidents, serviront, à ce moment-là de complément d’informations en permettant de comprendre ce phénomène.

Source : Huffpost – Publié le 12 avril 2018
Photo de une : Pixabay

 

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