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Un plaidoyer pour les requins

Dans l’indifférence la plus totale, l’humanité extermine chaque année des millions de requins, essentiellement pour satisfaire la demande d’ailerons utilisés dans des soupes très prisées en Asie. Un commerce aussi lucratif que destructeur mis en lumière dans le documentaire Sharkwater Extinction, qui est aussi le chant du cygne du réalisateur torontois Rob Stewart, décédé accidentellement durant le tournage.

L’histoire, dans son cas, a en effet pris une tournure tragique. Le jeune réalisateur, disparu à 37 ans lors d’un bête accident de plongée au large de la Floride, avait développé une véritable passion pour les requins avant même l’adolescence. Il avait aussi choisi de leur consacrer quatre années de sa vie, passées à documenter le massacre des diverses espèces de requins, qui peuplent les océans depuis plus de 100 millions d’années.

Le résultat de ce travail, présenté dans le documentaire Sharkwater, a d’ailleurs connu un grand succès il y a de cela dix ans, multipliant au passage les récompenses internationales. D’où l’idée de repartir à la rencontre des plus grands prédateurs des océans, toujours victimes d’une pêche habituellement illégale et systématiquement excessive.

Que ce soit au Panama, au Costa Rica ou en Afrique du Sud, le portrait est toujours le même. Des navires, habituellement affrétés par des entreprises qui vendent les précieux ailerons de requins en Chine, viennent prendre livraison de leurs cargaisons, en s’approvisionnant auprès de flottilles de pêche locales. Le plus souvent, le tout se déroule sous le regard d’autorités prêtes à fermer les yeux, pour autant que les pots-de-vin soient généreux. Ils cautionnent ainsi l’extermination de pans entiers de la biodiversité marine.

L’équipe de Rob Stewart filme aussi des pêcheurs « sportifs » qui, aux États-Unis, sont prêts à payer le gros prix pour pouvoir capturer un requin. Est-ce que ce sont des espèces menacées ? « Non, parce que nous en capturons souvent », lâche le capitaine du bateau, avant d’ajouter qu’il a « plus de 50 000 captures » à son actif.

Point de non-retour

Dans les faits, les populations de requins sont plus menacées que jamais. Environ 100 millions sont tués chaque année dans le monde, selon l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture, qui estime que 90 % des populations ont été annihilées en un siècle. Et comme plusieurs espèces mettent des années à atteindre la maturité sexuelle (25 ans dans le cas du requin blanc), la disparition de certaines d’entre elles apparaît de plus en plus inéluctable.

« Nous arrivons à un point de non-retour, et nous sommes très près de ce point où il sera trop tard », déplore Will Allen, ami et collaborateur de feu Rob Stewart. M. Allen, qui a travaillé à compléter Sharkwater Extinction au cours de la dernière année, à partir des notes laissées par son ami et des 450 heures de matériel filmé, estime d’ailleurs que les citoyens tardent à prendre conscience des conséquences de leurs habitudes de consommation sur l’état de santé des océans.

« Les gens ne réfléchissent pas aux impacts de la pêche industrielle. Ils continuent de manger du poisson sans se soucier des conséquences pour les océans, par exemple les impacts des chaluts ou des filets maillants. Mais chaque fois qu’on dépense un dollar, on vote, on prend position. On peut changer nos habitudes d’achat. Mais si on décide d’acheter du poisson ou des sushis tous les jours, on vote pour que la situation demeure la même. »

Cette situation, c’est celle de milieux marins qui ne pourront bientôt plus répondre à la demande alimentaire de l’humanité. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement a ainsi souligné dès 2010 que les océans auront été complètement vidés de leurs ressources halieutiques d’ici 2050.

Pourquoi avoir choisi de terminer le documentaire imaginé par Rob Stewart ?

« C’était simplement la bonne chose à faire, pour partager le message. C’est ce que Rob voulait. Les requins ont besoin d’aide, parce que les gens ont plutôt tendance à vouloir protéger les animaux qu’ils apprécient, comme les mammifères marins. Ils ne veulent pas aider les requins. Mais ces animaux sont une partie essentielle des écosystèmes. Ils sont vitaux pour l’équilibre des océans. »

Source : Le Devoir – Publié le 4 octobre 2018
Vidéo de une : Youtube

 

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