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Puget Sound, Colombie Britannique – Deux nouvelles orques – appartenant à une population en danger critique d’extinction – vont probablement mourir…

Traduction de David Delpouy & Laura Cavé pour #RéseauCétacés & #OrquesSansFrontières d’un article de Lynda V. Mapes publié le 2 janvier 2019 sur le site du Seattle Times.

D’après le démographe en chef expert de la population d’orques évoluant au détroit de Puget, deux résidentes du Sud sont souffrantes et vont probablement mourir.

Selon l’expert local chargé d’étudier la démographie des résidentes du Sud en danger d’extinction, deux nouvelles orques sont mal en point et vont probablement disparaître d’ici l’été.

Ken Balcomb, le directeur-fondateur du Center for Whale Research, a déclaré que les photos de J17 prises à la veille du Nouvel An montraient que cette femelle, âgée de 42 ans, avait, comme on l’exprime littéralement, une tête en forme de cacahuète, à savoir une malformation de la tête et du cou en raison de la famine. En outre, K25, un mâle âgé de 27 ans, est lui aussi en train de succomber, à cause du manque de nourriture. Il a perdu sa mère, K13, en 2017 et ne parvient pas à se nourrir seul.

Je suis persuadé que nous allons les perdre avant l’été,” estime Ken Balcomb.

Les photographies fournies par les drones l’été dernier ont montré que K25 était nettement plus mince, et les photos récentes de cet hiver n’ont montré aucune amélioration, explique Ken Balcomb.

Plusieurs femelles étaient enceintes en septembre, mais, jusqu’à présent, aucun bébé n’a été observé. Depuis trois ans, les résidentes du Sud n’ont mené aucune grossesse à terme.

Ces nouvelles inquiétantes surviennent après une année noire traversée en 2018 par les groupes J, K et L des résidentes du Sud, des orques piscivores évoluant dans la mer des Salish, comprenant Puget Sound, les eaux transfrontalières des États-Unis et du Canada, et la côte Ouest des États-Unis.

Après trois décès en quatre mois l’année dernière, la population des résidentes du Sud est à son plus bas niveau depuis 35 ans. Il n’en reste plus que 74. « À 70, j’arrête de compter, » a déclaré Ken Balcomb. « A quoi bon ? ».

Pour Deborah Giles, chercheuse au Center for Conservation Biology de l’Université de Washington et directrice de recherche à Wild Orca, une organisation à but non lucratif, la disparition de J17 serait un coup dur pour les résidentes du Sud, car cette femelle est encore en âge de procréer.

Deborah Giles a expliqué ne pas être surprise au sujet de K25. Selon elle, la dynamique sociale des résidentes du Sud, dans laquelle les femelles les plus âgées aident leur groupe, et en particulier leurs enfants, par le partage de la nourriture, est à la fois une bénédiction et une malédiction en cas de disparition de cette femelle.

Deborah Giles explique que « ces mâles adultes, corpulents et affamés, dépendent des femelles au sein de leur famille« . ‘Leur famille continuera probablement à leur chercher de la nourriture, mais pas comme du temps où leur mère vivait.’

En ce qui concerne J17, «ce qui est le plus préoccupant, c’est d’imaginer sa disparition, car il s’agit d’un membre très important pour la communauté des résidentes du Sud», confie Deborah Giles.

J17 est la mère de J35, nommée Tahlequah, qui avait ému le public aux quatre coins du monde. En 2018, sur une distance de plus de 1500 kilomètres parcourue en dix sept jours, elle avait porté sur sa tête son bébé qui avait rendu l’âme à peine une demi-heure après sa naissance.

La famille a déjà traversé beaucoup d’épreuves.

 « Nous n’avons aucune idée de ce que cette grand-mère a dû endurer, en voyant sa fille porter son bébé sur une période aussi longue, », déclare Deborah Giles. « Qu’a-t-elle ressenti ? Regarder sa fille portant ce deuil sans rien pouvoir faire pour la soulager… »

En 2016, la même famille a également perdu J54, une orque âgée d’un an, et que tous les membres ont essayé d’épauler, notamment sa sœur J46, en le nourrissant et le soulevant à l’aide de ses dents à chaque fois qu’il était sur le point de sombrer. « Les autres orques tentaient de l’aider, » raconte Ken Balcomb. « Il avait les marques de leurs dents sur tout le corps, mais ce n’était pas malveillant, il était en train de couler. »

C’est difficile d’aborder une nouvelle année avec déjà deux orques sur le point de lâcher, déclare Deborah Giles. «C’est un chagrin avant l’heure. Je suis inquiète. Et j’ai peur.»

Les photographies prises à l’aide de drones en septembre dernier ont mis en évidence que les résidentes du Sud étaient plus minces en hiver qu’à leur arrivée dans les îles San Juan l’été dernier. Elles sont également plus minces que les résidentes du Nord, dont la population ne cesse de croître depuis 40 ans dans leurs eaux d’origine, principalement dans le nord de la Colombie-Britannique et le sud-est de l’Alaska, où elles ont accès à davantage de poissons et à des eaux plus propres et plus paisibles. L’année dernière, les résidentes du Nord ont donné naissance à dix nouveaux bébés.

Les résidentes du Sud apparaissent particulièrement maigres à côté des orques transientes mangeuses de phoques ou orques de Bigg.

« Elles ressemblent à des guimauves, »  confie Balcomb.

L’année qui arrive s’annonce mal pour les résidentes du Sud sur le plan alimentaire. Ces orques se nourrissent surtout du saumon royal.

Les conditions océaniques et la migration en eau douce insuffisante, causée par des eaux chaudes et des courants faibles, ont nui au retour du saumon royal au cours des dernières années. Même au sein du fleuve Columbia, un endroit pourtant florissant par rapport au reste de la région, le saumon royal est revenu en si petit nombre l’été dernier, qu’une rare mesure d’interdiction de la pêche (de l’embouchure du fleuve à la ville de Pasco) a été décrétée en urgence.

Seulement 186 862 saumons quinnat (NB : saumon royal) ont réussi à remonter jusqu’au barrage de Bonneville en 2018, soit 65% de moins que la moyenne des dix dernières années. Le nombre de carangues et de jeunes saumons quinnat étant remontés sur Bonneville (indicateur généralement fiable concernant le retour des poissons) a chuté de 61% par rapport à la moyenne des dix dernières années.

Le saumon royal du fleuve Columbia est important pour les orques, car il compte parmi les poissons les plus gros et gras. Les orques chassent également le saumon quinnat qui retourne dans les rivières de Puget Sound, et dans le fleuve Fraser en été. Ces migrations ont également diminué.

Le comportement des orques change à mesure que leurs sources de nourriture s’amenuisent. Elles arrivent de plus en plus tardivement dans les îles San Juan, car le saumon royal en migration dans le fleuve Fraser a fortement diminué dans ces eaux. Aussi, les résidentes du Sud sont aujourd’hui très rarement observées en grands groupes, en train de se nourrir, de socialiser, de se reposer avant de rejoindre un autre lieu.

« Elles n’ont pas assez de poissons pour se nourrir, elles sont éparpillées, on ne les observe plus comme trente ou quarante ans en arrière, où elles voyageaient et trouvaient du poisson, puis jouaient, se reposaient, avant de repartir, tout était normal, » déclare Ken Balcomb.

« On ne les voit plus se reposer, elles doivent s’activer à chaque instant, tous les jours. »

Ken Balcomb explique que les propositions présentées dans le budget du gouverneur de 1,1 milliard de dollars, visant au rétablissement des populations d’orques, comprenant une interdiction temporaire d’observation des résidentes du Sud, ne vont pas assez loin.

« Nous avons besoin d’actions audacieuses, » affirme Ken Balcomb. ‘Des rivières naturelles et davantage de saumon royal’.

 

Article original :
2 more Puget Sound orcas predicted to die in critically endangered population – Publié le 2 janvier 2019
Photo de une :  Pxhere

 

Pour mieux comprendre la problématique qui met à mal la population d’orques de Puget Sound :

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