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On pourrait sauver les océans en 30 ans seulement, voici comment

L’étude scientifique publiée le 1er avril dans la revue Nature a de quoi interpeller : elle démontre qu’il serait possible de sauver les océans en 30 ans. Un point de vue novateur, qui pourrait s’affirmer à la faveur du confinement. Explications avec l’un des auteurs de l’étude, Jean-Pierre Gattuso, chercheur du CNRS au Laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes).

D’abord, quel est le constat que vous avez posé sur l’état des océans ?

Globalement, les océans sont en mauvais état. Depuis la révolution industrielle, leur dégradation est allée crescendo. Mais nous avons retrouvé des traces de destruction de l’habitat marin dès le XVIe siècle, lorsque les Espagnols sont arrivés en Amérique. Le problème ne date pas d’hier…

Aujourd’hui, 50 % des récifs coralliens sont dégradés. De nombreuses espèces de poissons migrent vers les pôles. Et la surpêche touche un tiers des stocks de poisson dans le monde.

Mais il y a tout de même des motifs d’espoir d’après votre étude.

Effectivement, nous montrons qu’il y a des motifs d’espoir. Cela concerne, par exemple, les mammifères marins. De nombreuses espèces protégées ont vu leur population augmenter. Les baleines à bosse, qui n’étaient que quelques centaines en 1968, comptent 40 000 individus. Idem pour les éléphants de mer. Ils sont passés d’une vingtaine en 1880 à 200 000 aujourd’hui. Ce sont de vraies réussites.

Je pense aussi à la restauration d’un environnement comme la forêt de mangroves dans le delta du Mékong. Alors qu’elle a été complètement détruite par le napalm au cours de la guerre du Vietnam, les 1 500 km2 ont été restaurés.

Et alors, que faudrait-il faire de plus pour réussir à sauver les océans en trente ans ?

Nous préconisons cinq mesures. L’une d’elles est de protéger 50 % de l’océan, nous en sommes à moins de 10 % aujourd’hui.

Les aires marines protégées (AMP) permettent de créer des zones où les espèces marines ne sont plus soumises à la pression humaine. Elles peuvent ainsi se reconstituer et essaimer vers des régions adjacentes. Une autre mesure absolument essentielle est de contenir l’ampleur du changement climatique, sans quoi toutes les autres mesures sont vouées à l’échec.

D’ailleurs, cette période de confinement va-t-elle être bénéfique pour la biodiversité marine ?

On a pu vérifier que les deux guerres mondiales avaient eu un effet positif sur l’océan. L’absence de pêche pendant plusieurs années a permis un véritable rebond des populations de poissons. Évidemment, cette période de confinement n’est pas comparable. Mais oui, elle va être une bonne chose pour les poissons.

Pour réussir ce sauvetage, il faut donc des actions fortes. Comment faire évoluer les mentalités sur ce point ?

Oui, le coût du développement des aires marines protégées et de la restauration est d’environ 10 à 20 milliards de dollars par an. Certes, ce n’est pas négligeable. Mais la période actuelle montre que d’énormes ressources financières peuvent être mobilisées pour les actions jugées prioritaires. Il faut seulement choisir où on l’investit.

Aujourd’hui, on fait face à une crise sanitaire. Il faut une réponse immédiate. Mais avec le confinement, les gens voient la nature revenir à leur fenêtre. La qualité de l’air s’améliorer. Je pense que cela peut aider à penser le monde autrement. Et aussi à changer de modèle sociétal et économique.

Dans l’étude, vous rappelez d’ailleurs que la sauvegarde des océans est rentable. Comment l’expliquez-vous ?

Plus que rentable. Il s’agit d’un des investissements les plus astucieux au monde. Quand on met un dollar dans la préservation des océans, on récolte environ 10 dollars. Cela s’explique par l’augmentation de tous les services rendus par l’océan : écotourisme, possibilités de pêche accrues. Si on atteint les 50 % d’AMP, on devrait créer plus d’un million de nouveaux emplois. Sans compter que les herbiers, les récifs coralliens et les mangroves protègent aussi le littoral. On parle d’une économie de 52 milliards de dollars pour les assurances confrontées au risque de tempêtes et de submersion côtière.

Mais alors, quelles sont les limites d’un projet comme celui-ci ?

Il y a deux freins. D’abord, il faut une politique globale. Par exemple, sur la question du plastique, on sait ce qu’il faudrait faire. Mais on n’arrive pas à le mettre en place. En Méditerranée, les pays européens ont interdit les sacs en plastique. Ce n’est pas le cas en Afrique du Nord. Et donc, on n’arrive pas à endiguer le problème. Il faudrait surtout investir dans les pays émergents en réalité.

L’autre problème, il est lié, c’est le réchauffement climatique. Même si toutes les solutions que l’on préconise sont mises en place, il faut faire baisser la température des océans. Depuis 2016, la Grande Barrière de Corail a subi trois épisodes de blanchissement et de mortalité massive en raison du réchauffement. C’est une catastrophe environnementale.

Depuis la COP21, l’Europe a de très bons objectifs. Mais plusieurs pays, dont la France, ne sont pas sur la bonne trajectoire de réduction des rejets de gaz à effet de serre. Sauver la vie marine est réalisable d’ici 30 ans, mais il faut s’en donner les moyens.

Source : ouest-france.fr, le 08.08.2020
Photo : Gustavo Gerdel — BAB-Buceo ~ commons.wikimedia.org

 

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