Des dauphins aperçus nageant au large des côtes italiennes et slovènes dans la mer Adriatique. Le spectacle peut sembler anodin. Il n’en est rien car ces cétacés n’appartiennent pas à n’importe quelle espèce. Il s’agit de dauphins communs à bec court (Delphinus delphis), une espèce que l’on pensait disparue de cette étendue depuis près de cinquante ans.

Ces observations sont au cœur d’une nouvelle étude publiée dans la revue Aquatic Conservation : Marine and Freshwater Ecosystems par des chercheurs de l’université de St. Andrews en Ecosse. En compilant des données de différentes sources, ces derniers ont dressé un bilan des signalements passés et présents de dauphins communs réalisés dans le golfe de Trieste, à l’extrémité septentrionale de la mer Adriatique.

Leurs résultats indiquent qu’au cours des dix dernières années, ces cétacés ont été observés à plusieurs reprises dans la région. Un signe qu’ils pourraient bientôt y faire leur retour ? Il est encore trop tôt pour le dire.

Le déclin dramatique d’une espèce autrefois répandue

Étendue sur quelque 160.000 kilomètres carrés, la mer Adriatique est ce qu’on appelle une mer semi-fermée. Formant un bras de la Méditerranée, elle est enclavée entre la péninsule italienne et celle des Balkans. Cette situation particulière a permis le développement d’écosystèmes uniques qui abritent une faune et une flore très abondantes.

Selon les estimations, la mer Adriatique recèle plus de 7.000 espèces animales et végétales d’une grande diversité. On y observe des tortues de mer, des oiseaux marins, de nombreux poissons, des phoques ainsi que des cétacés comme des rorquals, des cachalots, des globicéphales, des baleines de Cuvier ou encore des dauphins.

Des suivis menés dans le golfe de Trieste entre 2002 et 2019 ont montré que le grand dauphin (Tursiops truncatus) est aujourd’hui la seule espèce de dauphin qui y est observée régulièrement. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Le dauphin commun à bec court était autrefois largement répandu dans la mer Adriatique et d’autres parties de la mer Méditerranée.

Au cours du XIXe siècle, l’espèce a toutefois connu un déclin dramatique, probablement causé par la dégradation de son habitat, la surpêche et surtout des campagnes d’abattage systématique. A cette époque, les dauphins étaient en effet considérés comme des nuisibles qui compromettaient la pêche. Des récompenses étaient ainsi attribuées à chaque spécimen tué en Italie et dans l’ancienne Yougoslavie.

Les derniers grands groupes de D. delphis ont été observés dans les années 1940. Trente ans plus tard, l’espèce « avait virtuellement disparu de la région », expliquent les auteurs dans leur rapport. Elle est aujourd’hui devenue tellement rare en Méditerranée que sa population est considérée « en danger » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Au moins quatre individus vivants repérés

C’est pourquoi les observations mises en évidence par les scientifiques revêtent tant d’importance. D’après leur étude, plusieurs signalements d’individus vivants ou échoués ont été réalisés en mer Adriatique entre 2009 et 2012. L’analyse des photos associées à certains et notamment des marques au niveau de la nageoire dorsale, a permis de déterminer qu’au moins quatre individus vivants distincts seraient impliqués.

Dans la plupart des cas, il s’agirait d’individus adultes seuls mais une mère accompagnée de son petit ont également été documentés. L’identification photographique suggère que la femelle pourrait avoir été repérée auparavant en mer Ionienne en Grèce, à quelque 1.000 kilomètres du golfe de Trieste. « Ce serait le déplacement le plus long documenté chez l’espèce à travers le monde », affirment les chercheurs.

Selon les observations, la mère aurait résidé durant plusieurs mois, entre juin 2010 et janvier 2011, avec son petit dans le port de Monfalcone en Italie. « Un comportement atypique pour cette espèce », soulignent-ils. Si les deux sont apparus en bonne santé dans un premier temps, le petit a commenté à montrer des signes d’amaigrissement et a fini par disparaître en février 2011.

Les trois autres cas ont été documentés dans une zone plus inattendue, en Slovénie, plus précisément au large de Piran et Izola, où aucun signalement de dauphin commun n’avait été officialisé jusqu’ici. « Notre étude fournit les premières observations confirmées de cette espèce dans les eaux slovènes, elle s’ajoute ainsi à la liste des cétacés recensés en Slovénie », précisent les chercheurs.

Des observations « relativement nombreuses »

Les raisons de la présence de ces dauphins dans cette région sont inconnues. Mais les observations demeurent significatives. « Il est intéressant de voir que nos nouvelles observations sont relativement nombreuses pour une période aussi courte », a relevé dans un communiqué Tilen Genov de l’Unité de recherche sur les mammifères marins de l’université de St. Andrews et premier auteur de l’étude.

« En particulier en considérant la rareté de l’espèce et le nombre total de cas documentés jusqu’ici dans toute la mer Adriatique », a-t-il poursuivi. D. delphis continue cependant de se faire rare dans la région. Et bien que positifs, les exemples mis en évidence ici sont insuffisants pour affirmer un retour prochain de l’espèce en mer Adriatique. « Les chances sont probablement minces », a regretté le biologiste marin.

« Il n’y a actuellement aucune preuve d’augmentation de l’abondance du dauphin commun ou des observations où que ce soit en mer Méditerranée », a-t-il justifié. Mais la perspective demeure « excitante » pour le spécialiste et ses collègues qui espèrent que leurs travaux servent de base de référence et encouragent à documenter de futurs cas dans la région.

Outre la Méditerranée, l’espèce D. delphis fréquente la majorité des mers et océans tempérés à tropicaux du globe. Elle est abondante dans l’Atlantique, le Pacifique, la mer Noire ou encore la mer Rouge.

Source : Geo.fr – Publié le 27.08.2020
Photo de une : Pikist

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