SUKKUR (Pakistan) –

Nazir Mirani, un ancien pêcheur, mène une vie des plus modestes mais il la consacre exclusivement à choyer les dauphins aveugles du fleuve Indus, au coeur du Sind dans le sud du Pakistan, une espèce menacée d’extinction dont il est l’un des très rares à s’occuper.

Depuis la grande ville de Sukkur, baignée par ce grand fleuve qui s’étire sur quelques 3.180 km depuis le plateau tibétain jusqu’à la mer d’Oman, il parcourt inlassablement les bras multiples de l’Indus qui a été, depuis l’ère coloniale britannique, littéralement lacéré par l’homme aux fins d’irrigation. C’est là la première cause de décès de ces cétacés : le dauphin aveugle (Platanista gangetica minor) passe les multiples barrages et écluses qui partagent ses eaux en nombreux canaux d’irrigation et, en été lorsque les eaux baissent en raison de la sécheresse, il est pris au piège. Même s’ils se sont adaptés à cet environnement –pas de nageoire dorsale mais des ailerons puissants qui lui permettent de nager sur le côté dans à peine 30 cm d’eau– une cinquantaine de « bulhan », leur nom en sindi, meurent desséchés chaque année, prisonniers des milliers de km de canaux artificiels.

L’habitat naturel du dauphin aveugle, qui s’étendait autrefois sur toute la longueur du fleuve, s’est aujourd’hui réduit à un sanctuaire de 900 km, en amont et en aval de Sukkur, explique Hussain Bux Bhagat, un responsable du service de la protection de la faune. En outre, les innombrables égouts sauvages qui se jettent dans le fleuve dans cette région déshéritée, les quantités impressionnantes de pesticides déversées dans les champs alentour, la pêche intensive qui tarit ses réserves alimentaires –poissons chat et crevettes– aggravent le risque pour ce mammifère qui figure sur la liste des espèces menacées d’extinction de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Ainsi, en 2006, le WWF a estimé leur nombre à 1.200 à peine dans l’Indus. Dans sa frêle barque en bois, Nazir, accompagné de quelques rares employés du service de la protection de la faune, sans équipement adéquat, arpente les canaux pour enrayer la tendance. Mais les maigres équipes de la protection de la faune sont très mal équipées : une seule camionnette transportant une baignoire de fortune pour tout le sanctuaire autour de Sukkur. « Nous avons sauvé 50 dauphins cette saison mais on pourrait faire beaucoup mieux si on avait un hélicoptère », se prend à rêver M. Bhagat. « Je les traite comme mes propres enfants », soupire le frêle Nazir, 47 ans, en admirant un de ses protégés.

Le Bulhan arbore une peau beige-rose, un long rostre qui finit par s’arrondir et d’où dépassent les dents des mâchoires inférieures et supérieures même quand elles se referment, et des yeux à peine perceptibles. Ce dauphin d’eau douce ne voit pas et se déplace, communique et chasse grâce aux ultrasons qu’il émet. « Personne ne les connaît mieux que moi », poursuit Nazir, qui dit « être né sur un bateau et vivre depuis parmi les poissons ». Il représente la troisième génération de sa famille à s’occuper des dauphins aveugles. Son père a aidé le scientifique suisse Giorgio Pilleri à mener la première étude sur cette espèce. « Mon fils Nadir Ali est prêt à m’assister et lui et ses six jeunes frères à prendre la relève pour protéger les dauphins », lance-t-il. (©AFP / 01 mai 2009).

Loading...