Nous l’avons appris il y a quelques semaines, dans le cadre d’un partenariat tuniso-tchèque, la réalisation d’un complexe touristique, comprenant un delphinarium et un aqua-parc, a récemment débuté à Hammamet, en Tunisie. Parallèlement, un groupe tunisien prévoit également de construire un delphinarium à La Goulette (Tunisie également). A ce jour, il n’existe aucun delphinarium en Tunisie…

Nous suivons ce dossier de très près et nous opposons fermement à l’ouverture de ces deux delphinariums (voir le rapport ci-dessous qui a récemment été adressé aux autorités compétentes ) !

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Photo : Marie Dufay

Certains Tunisiens ont déjà formulé leur opposition face à l’implantation de ce type d’attraction sur leur territoire. L’établissement de delphinariums sur le territoire tunisien va à l’encontre de la tendance actuelle qui voit la fermeture progressive des attractions détenant des dauphins captifs, et l’émergence de législations visant à proscrire le futur développement des delphinariums. Ce divertissement repose sur la présentation de spectacles peu éducatifs, à caractère souvent anthropomorphique, réalisés par des dauphins dressés, nés à l’état sauvage ou en captivité.

Le grand dauphin (Tursiops truncatus) est le cétacé le plus commun dans les parcs internationaux. Sur la base de récentes données scientifiques sur cette espèce, la capture et le maintien de spécimens sauvages en captivité sont désormais discutés. Ce prédateur peut parcourir des dizaines de kilomètres quotidiennement et vit au sein de groupes sociaux à la structure complexe et mobile.

Les recherches scientifiques menées en milieux naturel et artificiel ont permis d’approfondir les connaissances sur la biologie, le comportement et les exigences écologiques du grand dauphin. L’incompatibilité de l’animal pour le confinement en bassin a été souligné par un nombre d’études scientifiques et par le recul des soixante années d’opération des parcs aquatiques. Elles ont mis en évidence un nombre de problèmes liés au maintien de l’espèce en captivité. Les spécimens captifs supportent difficilement les contraintes d’espace, l’eau traitée, l’alimentation à base de poissons morts enrichis en vitamines, les groupes sociaux artificiels et l’obligation de présenter les spectacles en échange de récompenses alimentaires. Sur la base de ces connaissances, l’usage du cétacé à des fins commerciales est devenu moralement contestable.

La prise de conscience de ces éléments a engendré plusieurs prises de positions internationales contre les delphinariums. Ces décisions s’appuient sur des travaux de commissions d’experts chargés d’étudier la problématique du dauphin en captivité. Les difficultés d’adaptation, jusqu’aux répercussions des captures sur les populations sauvages amènent aujourd’hui à croire que les justifications économiques, scientifiques, éducatives, ou de divertissement, ne sont plus suffisantes pour soutenir l’ouverture de nouveaux delphinariums, comme celui de Hammamet ou de Tunis.

Le rapport ci-dessous vise à fournir une synthèse sur la protection du grand dauphin et sur la problématique de l’espèce en captivité. L’ouverture de delphinariums à Hammamet et La Goulette implique l’usage non éthique de dauphins capturés en milieu sauvage. Ce rapport développe son  opposition au projet et propose l’alternative du dolphin-watching responsable. Cette branche de l’écotourisme permet d’assurer l’exploitation commerciale et durable des cétacés, comme ressources halieutiques, via l’observation des spécimens sauvages dans leur milieu. Le grand dauphin, espèce commune du littoral tunisien, fait l’objet de fréquentes observations par les touristes et les pêcheurs. Le dolphin-watching responsable représente une opportunité de développement économique, scientifique et éducatif à long terme pour les habitants de Hammamet, de Tunis et des autres villes du littoral.

Télécharger le rapport « Problématique des cétacés en captivité » fichier pdf

Implication de l’import de dauphins Cubains en Tunisie : L’expansion de l’industrie du delphinarium et l’import de dauphins cubains capturés à l’état sauvage en Tunisie vont à l’encontre de l’esprit de l’Accord pour la Conservation des Cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacent (ACCOBAMS), dont la Tunisie fait partie. La résolution 3.13 de l’ACCOBAMS, votée en 2007, notant « la prolifération continuelle des delphinariums », demande expressément aux parties de « ne pas autoriser l’importation de dauphins qui ont été capturés à l’état sauvage ».  En outre, l’article II de l’ACCOBAMS exige de ces membres qu’ils “interdisent et prennent toutes les mesures nécessaires afin d’éliminer, où cela n’est pas encore fait, le prélèvement délibéré de cétacés”. En Juillet 2009, une réglementation croate « interdisant le maintien de cétacés en captivité » fut votée pour être en accord avec la résolution 3.13.

Selon l’article IV de la Convention sur le Commerce International des Espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), dans laquelle le dauphin est listé dans l’appendice II, “l‘export de tout spécimen appartenant à une espèce inclue dans l’appendice II requiert une autorisation préalable et la présentation d’un permis d’exportation. Le permis d’exportation ne sera délivré que si, en plus d’autres conditions, l’autorité scientifique de l’état d’exportation émet l’avis que l’export ne sera pas préjudiciable à la survie de cette espèce. » La CITES  recommande que cet avis soit basé sur « une révision scientifique des informations disponibles sur le statut de la population, distribution, tendance de la population, l’exploitation et d’autres facteurs biologiques et écologiques, et sur l’information relative au commerce de l’espèce concernée. »

Un article présenté en 2006 au Comité scientifique de la Commission Baleinière Internationale (CBI) et publié dans le Latin American Journal of Aquatic Mammals, sur la capture de grands dauphins vivants prélevés dans les eaux cubaines, rapporte l’export de 238 dauphins entre 1986 et 2004, avec une augmentation observée durant ces dernières années. Les auteurs conclurent qu’“aucune donnée n’est à disposition de scientifiques indépendants pour évaluer la durabilité de l’exploitation actuelle du T. truncatus cubain. En conséquence, nous recommandons que le commerce international cesse jusqu’à ce que la preuve qu’aucun préjudice n’est authentifié”. En 2006, le comité scientifique de la CBI exprima son inquiétude concernant “l’absence totale de données sur l’abondance, nécessaires à l’évaluation de la durabilité des prélèvements de spécimens vivants” et reconnut “la menace potentielle des captures de spécimens vivants non régulées ni documentées sur les petites populations locales de grands dauphins.” Ainsi, en 2002, le Portugal refusa l’importation de six dauphins en provenance de Cuba. L’Institut de Conservation de la Nature (ICN) portugais expliqua « qu’à moins qu’une évaluation des populations de l’espèce à Cuba soit présentée et considérée satisfaisante, nous proposons que les importations de Tursiops truncatus en provenance de Cuba ou de tout autre pays dont les populations n’ont pas été évaluées soient suspendues.”

Dans le cadre du Plan d’Action International pour les Cétacés 2002-2020, le groupe d’experts de l’IUCN/SCC reconnaît en effet que « le prélèvement de dauphins sauvages dans leur milieu, dans un but de divertissement ou de recherche, a été reconnu comme équivalent à la mise à mort accidentelle ou volontaire, car les animaux maintenus en captivité (ou tués durant les opérations de capture) ne sont plus dans leur milieu pour maintenir les populations. Lorsqu’ils sont menés sans gestion et soumis à un programme rigoureux de recherche et de suivi, la capture de spécimens sauvages peut devenir une menace sérieuse pour les populations locales de cétacés. »

Télécharger la résolution 3.13 (ACCOBAMS) fichier pdf

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