Lettre ouverte à M. BORLOO, Ministre de l’Ecologie et du Développement Durable
Montrouge, le 16 mars 2010
Monsieur le Ministre,
Depuis plus de 20 ans, notre association est dédiée à la protection des cétacés. A ce titre, nous nous préoccupons, avec beaucoup d’intérêt, de la population captive de cétacés et de l’impact de la demande des delphinariums sur les populations sauvages. En effet, un cétacé prélevé dans son environnement, à des fins lucratives, de recherche et d’exhibition, n’est plus disponible pour contribuer au renouvellement des populations ; la capture constitue par conséquent une menace directe sur la biodiversité marine et est équivalente à tuer délibérément ou accidentellement un individu (IUCN/SCC).
Le processus de capture et de transport, l’adaptation difficile aux conditions de captivité, la dépendance de l’homme pour obtenir la nourriture, les groupes sociaux artificiels, et l’espace vital réduit sont des facteurs de stress et de souffrance, qui génèrent l’immunodépression, la contraction de maladies et une mortalité élevée chez les cétacés captifs. Outre la portée éthique du maintien de ces espèces dans un environnement confiné, plusieurs accidents récents ayant impliqué des orques et leurs dresseurs relancent le débat sur la captivité ; en effet, ces dernières semaines, deux dresseurs travaillant avec des orques captives ont trouvé la mort :
Le 1er accident s’est produit en décembre dernier, au sein du delphinarium Loro Parque, aux Iles Canaries ; Alexis Martinez, âgé de 29 ans, a été tué durant une session de dressage avec les orques du parc. Il aurait été frappé par l’une des orques, Keto, et maintenu sous l’eau durant plusieurs minutes, avant d’avoir pu être secouru. Malgré les tentatives de réanimation et son transfert par ambulance vers une clinique, il a succombé à un arrêt cardiaque. Keto, né en captivité et vendu par SeaWorld en 2005, avait déjà été impliqué dans un accident sérieux en 2007. Le 24 février dernier, c’est Dawn Brancheau – dresseuse du SeaWorld en Floride – âgée de 40 ans, qui a trouvé la mort en pleine représentation avec une orque captive. Elle a été saisie par Tilikum, une orque mâle adulte, qui l’aurait entraînée au fond du bassin. La dresseuse a succombé à de multiples blessures traumatiques et à une noyade. Il s’agit de la troisième personne tuée par Tilikum depuis sa capture en 1983.
AGRESSIVITÉ DES ORQUES EN MILIEU NATUREL Vs. CAPTIF
Alors qu’aucune attaque d’orque sauvage envers un être humain n’a jamais été reportée en milieu naturel, la captivité altère le comportement « normal » du cétacé ; l’agressivité non contrôlée, notamment chez les orques adolescentes ou dominantes, même nées en captivité, peut les amener à adopter des comportements violents envers les dresseurs. Voir l’historique des attaques d’orques captives envers l’homme en annexe I. A contrario, les cas d’agression d’orques sauvages au sein d’une unité familiale sont rares.
ACTIVITÉ DE CHASSE EN MILIEU NATUREL Vs. CAPTIF
L’orque, l’un des plus grands prédateurs marins, s’attaque naturellement à d’autres espèces de grands mammifères et poissons comme les baleines et les requins blancs. Les orques ont développé des stratégies de chasse définies comme « culturelles » par les scientifiques car elles sont adaptées aux sources alimentaires disponibles et transmises de génération en génération au sein des groupes familiaux. En captivité, certaines orques, comme Shouka au Six Flags, USA, sont parfois maintenues avec des espèces de cétacés qu’elles pourraient chasser dans leur milieu naturel. Les cétacés captifs privés de l’activité de chasse ont même développé des stratégies pour obtenir de la nourriture en bassin. Une jeune orque du Marineland Niagara Falls au Canada apprit à attirer des mouettes en régurgitant des poissons à la surface de l’eau. La mouette s’approchant pour s’alimenter était alors capturée par l’orque et devenait ainsi un en-cas extra pour le cétacé captif. Les autres orques du bassin adoptèrent et affinèrent cette stratégie afin de profiter elles aussi de cette source de nourriture (Milius, 2005). En février 2009, une orque attaqua, tua et mangea un pélican qui s’était posé à la surface de son bassin au cours d’un spectacle.
STRUCTURE SOCIALE EN MILIEU NATUREL Vs. CAPTIF
Les delphinariums ne respectent pas la structure sociale naturelle des orques. En captivité, des cétacés provenant de groupes et parfois de régions différentes sont maintenus dans des bassins clos, sans espace de fuite. Ces structures sociales artificielles peuvent générer des tensions parmi les orques occupant un même bassin. C’est ainsi qu’en 1989, Kandu, la femelle dominante du SeaWorld Californie attaqua Corky, une autre orque femelle, lors d’un spectacle. Kandu se fractura la mâchoire, se lacéra une artère et mourut 45 minutes plus tard. Kandu aurait montré de la jalousie car Corky essayait de l’aider à prendre soin de son petit (WDCS). En liberté, les orques vivent toute leur vie au sein d’un même groupe, mené par la femelle dominante. En captivité, par souci de prévenir la consanguinité et afin d’optimiser les chances de reproduction, les groupes sociaux sont brisés ; les orques sont vendues et échangées entre les parcs. En 2002, le Marineland d’Antibes vendit Shouka, une jeune femelle née au parc, au Six Flags USA. Depuis huit ans, Shouka mène une vie solitaire car l’importation d’un mâle d’Argentine, de source sauvage, avec qui elle devait partager son bassin, n’a pas été autorisée.
Au vu de ces éléments nous souhaitons attirer l’attention de votre Ministère sur le réel danger de cohabitation orques captives/humains et vous demandons en conséquence :
– de ne plus autoriser les importations et exportations d’orques de souche sauvage ou nées en captivité sur le territoire français ; – de sommer le Marineland d’Antibes, unique delphinarium à détenir des orques en France, à revoir ses protocoles d’interaction avec les orques et à interrompre les spectacles ; – d’exiger la suspension définitive du programme de reproduction d’orques captives au Marineland d’Antibes par l’administration de contraceptifs aux deux femelles ; – la mise en retraite des orques et la réunification de Shouka avec son groupe familial d’origine.
A titre d’information, nous joignons au présent envoi le dossier « Orques Captives – bilan 2009 » rédigé par notre Conseillère Scientifique.
Dans l’attente de vos réactions et restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre considération la plus distinguée.
Sandra Guyomard Chloé Yzoard
Présidente Conseillère Scientifique
PJ : Annexe 1 : Historique des attaques d’orques captives contre l’homme
Annexe 2 : Population actuelle et mortalité des orques captives en France