Après avoir étudié le cerveau d’une orque, un savant découvre que c’est l’un des animaux les plus intelligents.
Les orques font-elles parties des animaux les plus intelligents de la planète ? Lori Marino et son équipe de chercheurs de l’Université Emory, à Atlanta, le pensent. « Le cerveau de ce mammifère marin est aussi développé que celui d’un chimpanzé, considéré comme l’animal ayant le plus de capacité cognitive après l’homme », écrit le neurologue américain. Après avoir étudié le cerveau d’une orque en captivité avec une IRM, l’expert a découvert que « les connections existantes sont extrêmement élevées, ce qui permet à ces animaux une analyse incroyable de leur environnement ». La biologiste suisse Annabelle Cuttelod, une spécialiste des orques, est d’accord. « Dans un cerveau, ce n’est pas que la masse globale qui compte, mais le nombre de circonvolutions, les replis de l’écorce du cerveau, qui indiquent la quantité de cellules et de connexions qui permettent d’avoir un pouvoir cognitif important », précise-t-elle au téléphone. L’étude du cerveau de ces animaux n’est toutefois pas terminée, convient Christophe Guinet, spécialiste des mammifères marins au Centre d’études biologiques de Chizé, en France. La comparaison avec un cerveau humain est très difficile. «Les hommes vivent dans un monde plat, où la vision devient le principal outil d’analyse de votre environnement, explique la spécialiste suisse. Dans l’eau, l’audition devient plus importante que la vue pour évaluer les risques et les opportunités qui vous entourent sur trois dimensions. Il nous est par conséquent très difficile d’évaluer avec précision comment les cétacés utilisent leur cerveau.»
Capable d’anticiper
L’étude de l’orque a été lancée après qu’une de ces bêtes, appelée aussi épaulard, a tué une dresseuse d’un parc marin à Orlando, en Floride, le 25 février dernier. La question que s’est posée Lori Marino est de savoir si l’animal peut tuer en étant conscient de son acte. « Sans essayer d’imaginer ce qui se passe précisément dans la tête d’une orque, explique-t-il, je crois qu’elle a la capacité de se souvenir d’avoir été retenue en captivité, d’être fâchée, d’anticiper une action et finalement d’attaquer.» « Ces animaux ont des émotions, ils connaissent la peur, la colère et peuvent se montrer rancuniers, ajoute Annabelle Cuttelod. Ils se souviennent, comme les éléphants, des individus qui leur ont fait du mal, et sont capables de se venger.» .« Les nécessités liées à la chasse en groupe ont favorisé le développement de l’intelligence, poursuit la Suissesse. Les orques ont démontré leurs extraordinaires capacités dans ce domaine. Contrairement à d’autres animaux, elles varient leurs méthodes de chasse, elles élaborent carrément de nouvelles stratégies, ce qui demande un pouvoir d’anticipation peu commun dans le monde animal. ». C’est la technicité qui surprend le plus les spécialistes. Ces cétacés qui chassent en groupe se « parlent » en émettant des sifflements qui permettent d’exprimer des phrases pour coordonner l’approche des proies par les différents membres de la meute. Ils savent aussi tirer un maximum d’avantages de leur environnement. Par exemple en s’échouant volontairement sur des plages en pente afin de saisir les jeunes phoques ou tout autre animal vivant sur les rivages, dont les orques sont friandes, pour les entraîner dans l’eau. Ce n’est pas sans risque, car l’orque peut rester bloquée. Les jeunes s’exercent donc avec leurs mères, qui leur montrent les techniques et les guident.
Éviter la consanguinité
L’autre aspect de leur développement cognitif est le niveau des échanges à l’intérieur d’un clan. Ces animaux transmettent leur savoir, surtout aux plus jeunes, ce qui demande des possibilités de communication et d’apprentissage très importantes, d’une part par leur langage de sifflement, mais aussi par des mimiques. Annabelle Cuttelod parle de « culture de clan », comme chez les chimpanzés, pour expliquer que les enseignements se perpétuent de génération en génération. Les langues, notamment, se transmettent et forment finalement une sorte de dialecte propre au groupe, déclare Lori Marino. Cette intelligence n’est enfin pas utilisée exclusivement pour la chasse. Les stratégies amoureuses sont également importantes pour trouver des partenaires sexuels. L’une des difficultés pour un clan, formé obligatoirement autour d’une mère, est d’éviter la consanguinité. Les jeunes doivent pour ce faire aller chercher l’amour en dehors de leur groupe d’origine. Ils vont donc courtiser les membres d’un clan dont le dialecte est le plus différent possible du leur, précise Mme Cuttelod. C’est le meilleur moyen pour être certains qu’il ne s’agit pas d’individus apparentés. Le fait qu’il n’y ait pas d’« expressions » connues sera justement la preuve que les deux groupes n’ont jamais été en contact. La Suissesse raconte également un autre aspect de l’adaptabilité des épaulards. Dans les anciennes stations baleinières, les orques coopéraient avec les humains. Les mammifères marins rabattaient les cétacés et s’accrochaient aux câbles des harpons pour ralentir et fatiguer la baleine. Les humains laissaient ensuite les orques manger certaines parties des cétacés.
Source : lematin.ch (18.03.10)