N’en déplaise aux multinationales des énergies fossiles, le gouvernement Charest a annoncé hier qu’il fermait définitivement la porte à toute exploration ou exploitation d’hydrocarbures dans l’estuaire du Saint-Laurent. Une zone maritime tout aussi fragile et quatre fois plus importante est toutefois toujours en évaluation, tandis que plusieurs se demandent pourquoi les libéraux ne procèdent pas avec autant de prudence en ce qui a trait aux gaz de schiste.

De l’aveu même de la ministre Nathalie Normandeau, les conclusions de la première évaluation environnementale stratégique «sur la mise en valeur des hydrocarbures en milieu marin» ne laissaient aucune place à l’interprétation. «Nous pouvons d’ores et déjà confirmer que le bassin qui comprend l’estuaire et la zone nord-ouest du golfe du Saint-Laurent est un milieu complexe et fragile, a soutenu la ministre des Ressources naturelles. De l’île d’Orléans jusqu’à l’île d’Anticosti, nombreuses sont les communautés qui dépendent des activités liées au tourisme ou à la pêche commerciale, et il est hors de question pour notre gouvernement de développer une nouvelle filière au détriment d’autres déjà existantes.»

La zone frappée d’un interdit se situe entre les rives nord et sud du Saint-Laurent et couvre le territoire marin situé à l’est du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent jusqu’à la pointe ouest de l’île d’Anticosti. Elle représente une superficie de près de 29 000 km2.

«Par souci de cohérence», la ministre Normandeau a aussi indiqué qu’«aucune activité de forage ne sera autorisée» sur les îles de l’estuaire. Comme le révélait hier Le Devoir, l’île aux Oies, l’île aux Grues, l’île aux Coudres, l’île Verte, l’île du Bic et l’île Saint-Barnabé sont toutes visées par des permis d’exploration. Or, les entreprises actives dans la recherche d’hydrocarbures pourraient utiliser ces îles pour procéder à des forages horizontaux permettant de déterminer la présence de pétrole et de gaz sous le lit du Saint-Laurent.

Mais Mme Normandeau a assuré que la chose ne serait pas permise. Cela veut-il dire que Québec devra racheter les permis aux entreprises qui les détiennent ou alors leur verser de généreuses compensations? Après tout, les permis ont été acquis en respectant les règles fixées par le ministère des Ressources naturelles. La ministre n’a pas voulu s’avancer davantage. «On va évaluer ce qui peut être fait sur le plan juridique», a-t-elle dit.

L’interdiction de forage sur les magnifiques îles du Saint-Laurent devrait en outre toucher l’île d’Orléans, selon ce qu’a précisé la ministre. Les permis d’exploration pour celle-ci appartiennent en ce moment à Junex, une entreprise dont André Caillé est administrateur. L’île d’Anticosti n’est toutefois pas visée par l’annonce d’hier, même si celle-ci attise la convoitise de deux entreprises actives dans la recherche de pétrole.

Il n’a par ailleurs pas été possible de savoir si le holà sur l’exploration viserait les permis situés sur la rive. En entrevue au Devoir il y a quelques mois, André Caillé avait indiqué que Junex, qui possède toute une série de permis sur la rive nord de la Gaspésie, pourrait procéder à des forages sous le Saint-Laurent à partir de la rive. «On pourrait forer et ensuite aller à l’horizontale, sous le fleuve, où on pense qu’il y a du pétrole», avait-il dit. Churchill (C)fveronesi1_Flickr.jpgInquiétudes pour le golfe

Le programme d’évaluations environnementales stratégiques (EES), annoncé en juillet 2009 dans un document intitulé «Le Saint-Laurent, source de richesses», prévoit en outre une deuxième phase qui touche une zone de plus de 110 000 km2. Elle comprend le bassin de la baie des Chaleurs, le bassin d’Anticosti (nord du golfe du Saint-Laurent) et le bassin de Madeleine (sud du golfe).

Un secteur tout aussi fragile que l’estuaire, a expliqué hier Robert Michaud, spécialiste du Saint-Laurent et fondateur du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins. «Le golfe est une petite mer dont toutes les composantes sont étroitement liées. En fait, la richesse de l’estuaire provient de la productivité du golfe. Toute la base de la chaîne alimentaire dont dépendent tous les grands mammifères marins qui remontent l’estuaire est en quelque sorte « produite » dans le golfe et amenée dans l’estuaire. Si on affecte la productivité du golfe, c’est donc la source de l’alimentation de l’estuaire qui est affectée.» Qui plus est, plusieurs espèces menacées d’extinction pourraient selon lui souffrir de travaux d’exploration dans le golfe, dont le rorqual bleu et le béluga, sans oublier les poissons qui font l’objet d’une pêche commerciale.

La ministre Normandeau n’a pas voulu s’avancer sur une éventuelle protection permanente du golfe avant la fin de la deuxième EES, prévue en 2012. Mais, chose certaine, le potentiel pétrolier attise déjà la convoitise. Quoi qu’en pense Québec, des travaux d’exploration sont prévus sous peu sur la structure Old Harry, située près des îles de la Madeleine. Mais pas question pour le gouvernement de demander à Terre-Neuve de mettre un frein temporaire au projet, même si celui-ci est situé à cheval sur la frontière maritime des deux provinces.

Les groupes environnementaux n’ont par ailleurs pas manqué de souligner que les libéraux n’agissaient pas avec autant de prudence dans le dossier controversé des gaz de schiste. «Alors que le gouvernement s’est intéressé aux risques environnementaux de l’exploration pétrolière et gazière de l’estuaire du Saint-Laurent avant d’entreprendre toute activité, pourquoi n’a-t-il pas appliqué la même stratégie pour l’industrie des gaz de schiste?», a déploré Steven Guilbeault, coordonnateur général adjoint d’Équiterre.

Source : ledevoir.com  (28.09.10) 

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