Le sonar des chauves-souris et des baleines à dents, deux groupes éloignés sur l’arbre de l’évolution, met en jeu une même protéine, la prestine, dont la composition est liée à la perception des hautes fréquences.

Les chauves-souris et les cétacés à dents, ou odontocètes (cachalot, orques, narvals, dauphins, marsouins, etc.), font partie des rares animaux capables d’écholocalisation (ou écholocation) : ils émettent des ultrasons qui se réfléchissent sur les objets de l’environnement et sont captés et analysés en retour, ce qui fournit des informations à l’animal pour s’orienter, capturer ses proies et communiquer. Ces dernières années, l’équipe de Jianzhi Zhang, de l’Université de Michigan, et celles de Stephen Rossiter et Shuyi Zhang, à Shanghai et à Londres, ont montré que le fonctionnement du sonar des deux groupes de mammifères repose sur des formes quasi identiques d’une protéine, la prestine, présente dans l’oreille interne. Aujourd’hui, ils précisent ce résultat en montrant que la perception des hautes fréquences propre à l’écholocalisation dépend de la composition en acides aminés de la prestine.

Cette protéine est située dans la membrane latérale des cellules ciliées externes de la cochlée, l’organe sensible de l’oreille interne des mammifères. Elle est liée au cytosquelette sous-jacent à la membrane. En réponse à des changements de champ électrique dus à l’entrée d’ions potassium dans la cellule, sous l’effet d’une stimulation sonore, la protéine change de conformation. Sa liaison avec le cytosquelette entraîne alors la contraction ou l’allongement des cellules ciliées externes, ce qui fournit de l’énergie amplifiant la vibration initiale, rendant ainsi la cochlée plus sensible à certaines fréquences. Pour ces raisons, les mutations de la prestine provoquent une surdité légère à modérée chez l’homme.

En 2009, les chercheurs avaient décrypté la suite de nucléotides composant le gène de la prestine chez cinq espèces d’odontocètes, le cachalot et quatre espèces de dauphin, ainsi que chez des baleines incapables d’écholocalisation. Puis ils avaient comparé les séquences obtenues à celles de 18 espèces de chauves-souris. Ils avaient alors mis en évidence une ressemblance quasi parfaite entre les séquences des odontocètes à sonar, le cachalot mis à part, et celles des chauves-souris. Dolphins (C) J_D_Ebberly_Flickr.jpg Cette convergence moléculaire, observée précédemment entre différents groupes de chauve-souris, signifie que la prestine joue un rôle fonctionnel primordial dans l’écholocalisation, que celle-ci ait été acquise dans l’eau ou dans l’air. Les mutations du gène de la prestine doivent avoir été suffisamment fréquentes pour que les individus dotés par hasard de la bonne séquence de la protéine, celle qui est associée à la meilleure sensibilité aux ultrasons, soient sélectionnés par leur environnement.

Allant plus loin, les groupes de Londres et de Shanghai montrent aujourd’hui que l’évolution de la séquence de la prestine — le nombre d’acides aminés changés et les sites de la protéine qui ont été la cible d’un changement — est liée à la perception des hautes fréquences chez les cétacés à dents. Il existe une association statistiquement significative entre le nombre de substitutions d’acides aminés et la hauteur de la fréquence sonore qui est la mieux perçue par les odontocètes à sonar. Ainsi, le nombre de remplacements le plus important est survenu dans la lignée menant au cachalot pygmée (Kogia breviceps), qui émet et reçoit à des fréquences plus hautes que son espèce sœur, le cachalot. De plus, les sites modifiés sont souvent les mêmes chez les différents groupes de chauves-souris capables d’écholocalisation, ce qui indique qu’il s’agit de sites clés, importants pour que la sensibilité aux hautes fréquences soit la plus fine possible.

La construction de l’arbre phylogénétique des odontocètes, réalisée d’après la séquence de la prestine, suggère que cette protéine a subi deux épisodes d’évolution rapide, durant chaque fois quelques millions d’années : d’abord chez l’ancêtre de toutes les baleines à dents il y a une trentaine de millions d’années — ce qui tend à faire penser que l’écholocalisation n’était pas un caractère de l’ancêtre de tous les cétacés et qu’elle n’a évolué qu’après la séparation de la branche des odontocètes de celle des baleines à fanons (mysticètes) ; puis au début de la lignée menant aux dauphins et aux baleines à becs actuels. Ces deux séries de modifications auraient conduit la protéine à des conformations produisant des contractions et des allongements des cellules ciliées externes adaptés à la perception des hautes fréquences sonores.

Source :  pourlascience.fr   (14.10.10)

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