Alors que la France annonce l’implantation de 600 éoliennes au large des côtes françaises d’ici à 2020 en promettant d’y investir 15 milliards d’euros, que sait-on de leur impact sur l’environnement ? Enquête.
Du bruit dans les pales
Quel est l’impact des éoliennes sur les mammifères marins ?
Depuis la toute première éolienne offshore implantée au Danemark en 1991, 950 éoliennes marines réparties sur 32 parcs, ont poussé comme des champignons depuis, en Europe. Leurs cousines terrestres sont accusées de faire du bruit ou de gâcher le paysage. Mais que sait-on exactement de l’impact des éoliennes construites au large de nos côtes ? Aucune n’a vu le jour encore en France. Mais l’expérience des voisins européens fournit quand même quelques enseignements.
Entre la phase de la construction, celle de l’exploitation et enfin de démantèlement, c’est la première qui semble poser le plus de problème pour l’environnement. Les prospections géophysiques, les activités de forage, les va-et-vient des bateaux perturbent le milieu naturel mais aussi les tranchées creusées lors du chantier pour passer les câbles électriques. Tous ces travaux génèrent de la turbidité selon des spécialistes comme Paul Neau, directeur du bureau d’études Abies, et qui confie : « Après les travaux, il faut plusieurs années pour que le milieu retrouve son équilibre ».
Rideau de bulles
Pour Michel André, directeur du Laboratoire d’application bioacoustique (LAB) à l’Université Polytechnique de Catalogne, « les sons diffusés lors du forage peuvent endommager l’oreille interne de certains mammifères et l’augmentation du trafic des bateaux perturbe le comportement de certaines espèces ». C’est le cas du marsouin ou du phoque gris, des mammifères marins particulièrement sensibles aux sons. L’Allemagne considère, par exemple, que le niveau sonore émis dans l’eau lors de la phase de construction, excède les limites fixées par le ministère de l’Environnement. Et les constructeurs sont obligés, dans ce pays, d’utiliser des techniques de réduction des sons comme des rideaux de bulles. Pendant la période de production, puisque la machine est relativement autonome, la maintenance est réduite. Le niveau de nuisance de l’éolienne est donc limité, du coup, les impacts également. Paul Neau considère que « la partie immergée ne génère que peu ou pas d’impact. Une éolienne, en soi, n’est pas un équipement bruyant ».
Quelle phase de la vie de l’éolienne possède le plus fort impact ?
Mais Michel André est moins formel : « Pendant la phase de fonctionnement, si les sons émis par les pales et les turbines ne sont pas mortels pour les mammifères marins, les sons qui se propagent dans l’eau et à travers le sol peuvent masquer les signaux que les animaux émettent pour naviguer, s’orienter, communiquer entre eux. Les fréquences les plus dangereuses sont les basses fréquences qui se propagent loin. Elles peuvent avoir des effets chroniques sur la santé des animaux et cela dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres autour de l’éolienne. » Comment mesurer l’impact d’une éolienne ?
La première étape d’une étude d’impact correspond à un état des lieux. Il faut caractériser l’état initial de l’environnement en définissant les espèces présentes dans la zone étudiée et leur sensibilité. « L’expertise doit se dérouler sur un cycle annuel complet, un cycle biologique. Pour les oiseaux, par exemple, il s’agit de les observer tous les quinze jours ou tous les mois sur un an », complète le directeur d’Abies. L’étude des oiseaux s’attache à évaluer les risques de mortalité par collision, l’éventuel « effet barrière » des éoliennes qui modifient alors les trajets des oiseaux. Les migrations nocturnes sont en effet des périodes particulièrement sensibles car ils sont attirés par les lumières de signalisation des éoliennes. Le quadrillage par avion et l’utilisation du radar servent à repérer les vols de nuit des oiseaux ou prennent le relais par temps brumeux, lorsque la vidéo ne sert plus à rien.
La deuxième phase de l’étude d’impact consiste à aider la société qui souhaite implanter des éoliennes à concevoir un projet respectueux de l’environnement, en évitant les zones sensibles. « Nous apportons une aide à la définition du projet », précise Paul Neau. Lorsque le lieu d’implantation a été choisi, la troisième phase consiste en une évaluation des impacts bruts du projet. Il faut alors évaluer l’impact réel et non l’impact potentiel du projet. Enfin, la quatrième phase permet de proposer des mesures d’atténuation de ces éventuels impacts, lesdites propositions étant réalisées par le bureau d’études. L’Allemagne à la pointe de la recherche scientifique
En Allemagne, le programme de recherche RAVE (Research at Alpha Ventus), initié par le ministère de l’Environnement, a pour but d’étudier l’impact écologique des éoliennes au niveau du site Alpha Ventus : 12 éoliennes construites en 2009 qui alimentent environ 50 000 foyers.
Sur le site d’Alpha Ventus, les colonies de marsouins ont fait l’objet d’une surveillance avant, pendant et après la phase de chantier. Les sons ont été enregistrés jusqu’à une distance de 20 km. Avant la phase de forage, les mammifères ont été maintenus à distance de la zone de chantier pour limiter l’exposition aux bruits de forage. Le suivi des oiseaux s’est fait à l’aide d’une caméra vidéo, de cameras infrarouges pour les enregistrements de nuit et d’un système radar pour enregistrer les collisions des oiseaux avec les pales des éoliennes, collisions dépendantes de la direction des vents.
Une influence sur les courants marins et les sédiments ?
« L’aménagement d’un parc éolien n’est pas très dense. Généralement la distance entre deux éoliennes est de 600 à 700 mètres. Selon des modélisations réalisées sur certains parcs éoliens danois, l’impact de ces aménagements sur les courants est extrêmement localisé », explique le directeur du bureau d’études Abies. « Le creusement du fond de la mer pour implanter les fondations est source de turbidité, mais ces phénomènes restent localisés. »
En ce qui concerne le parc allemand, Alpha Ventus, les recherches menées sur les courants marins et la géologie continuent. Selon Kristin Blasche, coordinatrice de la recherche scientifique sur ce site, « en matière d’impact des éoliennes sur la sédimentologie. Nos mesures ont été réalisées l’été dernier. Il est donc trop tôt pour conclure. Nous avons simplement pu constater une érosion des fondations plus importante que prévue, due à l’action des courants ».
Le potentiel vent français…
La France, quant à elle, ne dispose d’aucune plateforme de recherche installée en mer. Pour Marion Lettry, déléguée général adjointe au Syndicat des énergies renouvelables, « ce serait très instructif d’avoir des plateformes d’expérimentation dans notre pays qui est très en retard dans ce domaine. Mais nous profitons du retour d’expérience des Danois et des Allemands. En ce qui concerne les oiseaux, nous savons, grâce aux études réalisées sur les éoliennes terrestres, qu’il ne faut pas installer de mats dans les couloirs de migration des oiseaux. Par contre, pour les poissons et les mammifères marins, nous souffrons cruellement d’un déficit d’études approfondies ».
Quelles ont été les expertises réalisés pour le parc des Deux-Côtes ?
Avec plus de 5 000 kilomètres de côtes, la France métropolitaine possède le deuxième potentiel éolien marin d’Europe après la Grande-Bretagne. Une dizaine de sites localisés en mer du Nord, en Manche, au large des Pays de la Loire et de la région Languedoc-Roussillon ont été pressentis pour accueillir des parcs offshore. Le projet de parc éolien des Deux-Côtes au large du Tréport – 140 éoliennes de 5 mégawatts (MW) réparties sur 75 km2 – est actuellement controversé, plus d’ailleurs pour son impact sur le paysage et les activités de pêche que pour son impact environnemental.
Hommes et éoliennes offshore font-ils bon ménage ?
En France, le projet du parc des Deux-Côtes a récemment fait l’objet d’un débat public. La cohabitation avec la pêche et la plaisance pose problème. L’impact paysager des éoliennes est également sujet à polémique. Il faut dire qu’en matière d’implantation d’éoliennes marines, la réglementation française ne fixe aucune distance minimale avec la côte. Pourtant, pour des raisons techniques et de rentabilité, les parcs éoliens ne peuvent s’implanter n’importe où.
Ces zones dépendent de la profondeur des eaux – si elle est trop importante, l’implantation est techniquement impossible – et de la nature des fonds marins qui doivent pouvoir supporter les fondations – le sol ne doit pas être trop meuble. Autre élément clé, la région doit être suffisamment ventée. Au sud de l’estuaire de la Gironde, par exemple, le potentiel éolien est trop faible. Autre condition et non des moindres, la proximité du réseau électrique joue un rôle primordial car il influe sur le coût de raccordement. Enfin, la zone où s’installe un parc doit être compatible avec les autres usages.
Malgré les craintes des pêcheurs et des riverains, les premières zones de développement éolien (ZDE) sont en cours de définition. Avant la fin de l’année 2010, le premier appel d’offres sera lancé. Il permettra de construire la moitié des 6000 MW d’éolien offshore prévus pour 2020. Nul doute, alors, que d’ici là, la côte française aura alors commencé sa métamorphose…
Source : cite-sciences.fr (23.11.10)