Sur le podium des animaux marins carnassiers, la plus haute marche est le plus souvent occupée par le requin. La faute à une mauvaise réputation, aux Dents de la mer et aux quelques plongeurs et surfeurs qui, chaque année, ont la malchance d’être croqués par des squales (rappelons que, dans le même temps, l’homme tue plus de 100 millions de requins par an…). Pourtant, ces poissons ne devraient être classés que deuxièmes, derrière l’orque. Mais la série gentillette des Sauvez Willy a fait oublier le terrible Orca, tandis que les prestations spectaculaires de ces grands mammifères marins dans des parcs aquatiques leur confèrent une image pas très éloignée de celle des dauphins. A tort, car les orques sont de redoutables chasseuses, au point que certaines n’hésitent pas à attaquer des requins pour s’en faire des gros sushis, comme on peut le voir sur cette vidéo exceptionnelle : Dans une étude parue le 6 janvier dans la revue Aquatic Biology, une équipe américano-canadienne a montré qu’une lignée d’orques vivant dans le nord-est du Pacifique mettait fréquemment du requin à son menu. A la différence des orques dits “résidants” qui se nourrissent de poisson, ou des épaulards “de passage” qui mangent plutôt des mammifères marins comme des lions de mer, les orques “du large”, qui constituent la troisième famille identifiée dans la région, s’attaquent volontiers au requin dormeur du Pacifique (Somniosus pacificus). Malgré son nom qui peut le faire passer pour un mollasson, ce grand squale est lui-même un formidable prédateur.
Pour faire cette découverte, les biologistes ont dû s’armer de patience. Leur réseau de collègues ont observé les orques 98 fois entre 1988 et 2009. Mais comme ces cétacés prennent en général leur repas à quelques centaines de mètres de profondeur, il était à chaque fois impossible de suivre leur chasse. Heureusement, en deux occasions, des morceaux de chair, reliefs du festin sous-marin, sont remontés à la surface. Leur analyse génétique a montré que ces “miettes” appartenaient à seize individus de l’espèce requin dormeur du Pacifique. On pourrait s’étonner que les orques s’en prennent à des animaux aussi dangereux que des squales mais, comme l’explique un spécialiste américain des orques, Robin Baird, cité sur le site Internet de Nature, les lions de mers de Steller que dévorent d’autres épaulards ont “des crânes semblables à ceux des grizzlys. Attaquer l’un d’entre eux est probablement plus dangereux que d’attaquer un requin dormeur de 2 mètres.”
Ceci dit, manger du requin tout cru présente tout de même quelques désavantages. L’étude en question montre que les orques friandes de squales y laissaient… leurs dents. L’examen de cadavres échoués d’orques ou de spécimens conservés dans des muséums a mis en évidence que les dents de ces épaulards étaient limées parfois jusqu’à la racine (voir photo, lien ci-dessous), un phénomène que l’on ne retrouve pas chez les autres lignées d’orques.
La faute en incombe à… la peau des requins. Celle-ci est en effet particulièrement abrasive, au point qu’on l’a même utilisée pour poncer, comme du vulgaire papier de verre. Cette peau est en effet recouverte de denticules (voir photo, lien ci-dessous), sortes de minuscules écailles anguleuses et dures, qui constituent une carapace souple et dont le dessin très particulier confèrerait au requin une partie de son hydrodynamisme.
Quand Steven Spielberg tournait les Dents de la mer, il n’imaginait sans doute pas que son grand requin blanc avait des dents jusque sur la peau…
Pierre Barthélémy
Post-scriptum : loin de moi l’idée de vouloir m’acharner sur les orques, mais ces animaux qu’outre-Atlantique on appelle “killer whales” (baleines tueuses), semblent bien porter leur nom anglais. Un article paru dans Science du 21 janvier montre que les chercheurs sont en train de s’inquiéter de l’impact de ces cétacés sur les populations d’animaux marins, en particulier sur celles qui sont en danger du fait de l’homme…
Source & photos : blog.slate.fr (21.01.11)