Il naviguait en solitaire vers la Martinique. Le 3 février, son voilier, éperonné par une baleine, a coulé à pic à 1 800 km des côtes.  Recueilli par un navire philippin, Philippe Gazeau-Rousseau est sain et sauf. « J’étais aux toilettes. Soudain, j’ai entendu un bruit sourd. Puis, j’ai senti le bateau se coucher dangereusement. » Il est 16 h, ce mardi 3 février. Parti des Canaries une quinzaine de jours plus tôt, Philippe Gazeau-Rousseau, un retraité nantais de 65 ans, navigue vers la Martinique. Il lui reste environ 1 800 km à parcourir à travers l’Atlantique : la routine pour ce loup de mer habitué à sillonner les océans à bord du Nacouda, un voilier d’une dizaine de mètres de long. « Cela fait quarante ans que je fais de la voile,  affirme-t-il. Cette transat était pour moi un vieux rêve de gosse… » Un rêve qui, ce mardi-là, tourne au cauchemar.

Le bateau redressé, Philippe se rend compte que la barre ne répond  plus. Pire, en descendant dans la cabine, il découvre que le voilier prend l’eau. « J’en avais jusqu’à mi-mollets, raconte-t-il. Elle arrivait avec un débit  incroyable. Les planchers commençaient à flotter… J’ai bien tenté de trouver  d’où venait la voie d’eau. Mais dans ce capharnaüm, impossible d’intervenir, il  était trop
tard. »
 798px-Sperm_Whale_about_to_Dive (C) Michelle Reback.jpg Baleine ou cachalot ?

Le navigateur ne panique pas. Il déclenche une balise de détresse. Lance par radio un appel au secours. Et commence à envisager un transfert sur  le canot de survie : « avec de l’eau presqu’à mi-cuisses », il récupère les  bouteilles d’eau potable, des boîtes de conserve, des vêtements secs et chauds qu’il  range dans deux bidons étanches. Il met également en sûreté des fusées de détresse, une radio portable et son ordinateur.

À 17 h, l’eau atteint un niveau critique. La mer se démonte un peu  plus avec des creux de 4 à 5 m. La nuit tombe. « À ce moment-là, poursuit  Philippe, plus aucun espoir n’était permis pour sauver le bateau. J’ai donc embarqué dans la survie gonflable, avec tout le matériel que j’avais préparé. Ce fut très  acrobatique à cause des vagues… J’ai eu vraiment peur et j’ai pensé à tous ceux  que j’aime. Ma femme. Mes enfants. Mes petits-enfants. Il reste tant de choses  sympathiques à réaliser à presque 65 ans. »

De son radeau de survie, le Nantais aperçoit le Nacouda sombrer. « Sous la coque, il n’y avait plus de safran, ni d’arbre d’hélice. Je comprends à ce moment-là que j’avais dû percuter un gros animal marin, genre baleine ou cachalot. »

Les heures passent. Dans l’« univers hostile, mouvant et humide » de son frêle esquif de survie ballotté sur les vagues, Philippe ressasse sa devise : « Le pire n’est jamais certain. »

Soudain, vers une heure du matin, un bruit de moteur. Miracle. Un  énorme bateau de commerce philippin croise à moins de 200 m. Une fusée de  détresse. Un appel radio. Le bateau répond. «Je lui demande dans mon anglais pourri s’il compte mettre une chaloupe à la mer pour me récupérer. Il me répond qu’il  va venir sur moi. C’est une horreur absolue de voir ce monstre d’acier de 43 900 tonnes foncer sur moi, dans ma survie de 30 kg, avec des creux de 5 mètres.»

Le sauvetage se passe au mieux. Philippe Gazeau-Rousseau grimpe tant bien que mal les 10 m d’échelle pour arriver à bord du « Severing express ».  À 2 h 30, il est définitivement sur le pont du bateau. Éreinté, mais sauvé. «  Plus tard, le capitaine me dira que les apprentis mettent environ une semaine pour apprendre à monter à l’échelle. Il faut croire que la trouille est un bon professeur. »

Joël BIGORGNE.

© 2011 Ouest-France. (02.03.11)

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