Comment les baleines grises ont-elles survécu aux changements climatiques passés ? Deux chercheurs californiens ont confronté le nombre d’individus, estimé génétiquement, avec la population maximale théorique qu’a pu nourrir le milieu au cours des derniers 120.000 ans. Résultat : ces grands cétacés ont pu maintenir des populations fortes grâce à un changement de leurs habitudes alimentaires. Avec ses émissions de gaz à effet de serre, l’homme est sans doute en train de modifier brusquement les éléments garantissant un climat stable et doux depuis plusieurs milliers d’années. Le dérèglement climatique qui s’en suit commence à modifier les habitats de nombreuses espèces – notamment en montagne – qui doivent s’adapter pour survivre. Mais qu’en a-t-il été au cours des fortes variations climatiques passées ?Pour le mammouth et de nombreux grands mammifères terrestres, la sortie de la glaciation s’est soldée par une disparition. Nicholas Pyenson et David Lindberg, chercheurs à l’université de Berkeley, ont étudié le cas intéressant d’un mammifère marin, la baleine grise Eschrichtius robustus. Ce cétacé vit dans les eaux peu profondes du plateau continental, le long des côtes du Pacifique nord, et se nourrit des petits organismes vivant sur le fond, le benthos. Très chassée du XVIIIe au XXe, les efforts de protection entrepris à partir des années 1930 ont payé : la population a retrouvé les niveaux d’avant la période de chasse intensive – le maximum naturel que peut accueillir leur habitat –, soit environ 20.000 individus.
La baleine grise est un cétacé de taille moyenne (11 à 14 mètres) des côtes du Pacifique nord. C’est le seul représentant actuel du genre Eschrichtius.
Une taille maximale pour les populationsCette valeur, appelée capacité de charge, est un concept relativement complexe qui dépend de plusieurs facteurs, dont l’extension de cet habitat et sa capacité à fournir de la nourriture. Une disponibilité de la nourriture qui peut varier au cours des temps géologiques à cause de changements à grande échelle. Dans le cas le cas des espèces marines vivant en eaux peu profondes, les variations du niveau marin et l’extension de la banquise remodèlent complètement les zones d’habitat et d’alimentation. Depuis les plus anciennes preuves fossiles attestant la présence de baleines grises il y a 200.000 ans, le climat, et donc le niveau des mers, a énormément fluctué. Les traits de côtes et donc les zones fréquentées et utilisées par cette espèce ont été plusieurs fois redessinés. Comment les baleines ont-elles pu survivre à ces bouleversements ? Question jusqu’alors sans réponse mais particulièrement intéressante en ces temps de changement climatique menaçant nombre d’espèces… dont la nôtre.Géographie versus génétiqueEn calculant l’étendue de la zone côtière entre 0 et 75 m propice à l’alimentation des cétacés, les chercheurs sont parvenus à estimer la population maximale qu’a pu supporter le pacifique nord au cours des derniers 120.000 ans. Et selon ce paramètre, la population de baleines grises aurait chuté drastiquement durant les épisodes glaciaires, en particulier au cours du dernier maximum glaciaire ou LGM. Au point que ces réductions d’effectifs auraient dû être inscrites dans le patrimoine génétique de l’espèce.
En période de glaciation, la baisse du niveau des mers fait disparaître une grande partie de ces zones peu profondes, notamment le détroit de Behring, réduisant les lieux habituels d’alimentation du cétacé.
En effet, la diversité génétique d’une espèce est liée à la taille de sa population : plus il y a d’individus, plus il peut y avoir de variantes des gènes et de brassage génétique. A l’inverse, un effectif faible augmente la consanguinité et donc l’homogénéité génétique. En étudiant l’ADN d’individus actuels, on peut retrouver les traces laissées par les variations successives de tailles des populations dans l’histoire de cette espèce. Mis à mal durant la période de chasse, le nombre de baleines grises estimé par cette méthode montre un maximum il y a quelques milliers d’années et une stabilisation ces derniers siècles autour de 20.000 individus. Mais on ne trouve pas de trace d’effondrements dramatiques des stocks avant la période de chasse intensive.
Changement de crèmerie !Il semble ainsi qu’il y a eu, en période glaciaire, une population supérieure à ce que la zone d’alimentation habituelle – la zone côtière peu profonde – a pu nourrir. Or c’est l’histoire géologique de la Terre qui définit sans négociations l’extension de ce territoire. Pour Nicholas Pyenson et David Lindberg, si des populations nombreuses de baleines grises ont pu se nourrir malgré la réduction de l’étendue de leur supermarché benthique, c’est qu’elles n’ont pas rechigné à aller voir ailleurs, au large ! Elles auraient changé de comportement alimentaire, ne se limitant plus à la seule prédation d’organismes benthiques mais adoptant des modes d’alimentation par filtration d’espèces pélagiques plus diverses. L’observation actuelle de comportements alimentaires variés chez une population de baleines grises présentes sur la côte nord-ouest américaine et autour de l’île de Vancouver accrédite cette hypothèse.
Un indice supplémentaire de la capacité d’adaptation de la vie à de grands changements de leur milieu, à condition que ceux-ci ne soient pas trop rapides.
Source : futura-sciences.com (16.07.11) Actualité récente en rapport :La dangereuse migration du plancton et des baleines… Plus d’infos sur l’espèce & fiche pédagogique téléchargeable :La baleine grise