Le Soleil
L’automne de la baie de Fundy dissimule pudiquement ses couleurs dans les vapeurs de ses brouillards. Ses marées impétueuses charrient la mer au rivage puis la repoussent loin au large. Elles draguent du fond des effluves d’algues et de poissons en livrant au passant la démonstration ultime de la force calme mais redoutable des océans.
Les Indiens micmacs croyaient que ces marées hors du commun, les plus hautes du monde, étaient provoquées par des baleines malicieuses qui s’employaient à agiter la mer. Aujourd’hui, on comprend que la configuration en entonnoir de cette baie, qui s’étire sur 270 km entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, de même que la régularité des marées provoquent ces amplitudes records qui vont de 12 à 16 mètres et dépassent parfois 20 mètres. Ce phénomène spectaculaire soumet l’environnement costal à une érosion créatrice, engendre des conditions d’existence idéales pour la faune marine et aviaire, et dresse un décor sans cesse renouvelé aux yeux des villégiateurs et des touristes qui l’apprécient depuis le XIXe siècle.
S’ajoute à ces points d’intérêt une histoire exceptionnellement riche, marquée par l’installation de la première colonie européenne sur le continent, en 1604, alors que le sieur Pierre Dugua de Mons, cofondateur de Québec, hiverne sur l’île Sainte-Croix en compagnie de Samuel de Champlain, Gravé-Dupont et d’autres compagnons.
À partir de 1783, l’installation de milliers de loyalistes scelle le destin de cette région en marquant sa culture, son architecture et son économie.
À la fin du XIXe siècle, William Van Horne, le constructeur du chemin de fer transcanadien, érige sa maison d’été près de Saint Andrews by-the-Sea et attire l’attention de quelques grandes fortunes canadiennes qui établiront la réputation du village touristique par excellence de la baie de Fundy, là où commence le périple qui nous conduira jusqu’à Moncton. Saint Andrews
Situé à un jet de pierre du Maine, ce village de carte postale rappelle Tadoussac sous maints aspects, et son grand hôtel Fairmont Algonquin n’en est pas des moindres. Construit en 1889 dans le style Tudor, il domine tout le village et on l’aperçoit du quai ou de la mer, à moins que le brouillard d’automne ne s’abaisse sur sa façade et ses décorations d’Halloween.
Au départ d’une excursion aux baleines sur la baie de Passamaquody, dans l’embouchure de la baie de Fundy, la fine brume court encore aux abords des nombreuses îles du secteur. Grand Manan, plus au large, ou Dear Island et Campobello sont les grandes vedettes de ce chapelet insulaire où il faut absolument prévoir débarquer en empruntant les traversiers ou les bacs qui les desservent. Le pneumatique de Fundy Tide Runners frôle leurs rives, les quais, les villages et les phares que l’écran laiteux enveloppe de mystère. La vie exulte dans ce milieu marin remué par la rencontre des eaux de la rivière Sainte-Croix qui afflue non loin et le puissant reflux de la marée. Les oiseaux de mer se comptent par milliers. Les phoques sortent la tête. Les pygargues surveillent la scène. Petits rorquals et marsouins pointent le dos subrepticement. Mais la baleine la plus convoitée des 12 espèces qui croisent dans le secteur, la franche, ne se montre pas.
Nous serons largement consolés de cette déception par la visite du magnifique Jardin Kingsbrae et la rencontre de son âme dirigeante, Andreas Haun.
Arbres rares
Avec toute la passion qui caractérise les horticulteurs, il nous fait parcourir les 27 acres de cet univers coloré et odorant où, en cette fin de saison, les roses gonflent leurs fruits au milieu des rudbeckies qui pavanent encore. Les conifères de collection et arbres rares suscitent l’intérêt des connaisseurs à coup sûr. Quelque peu inspirées des Jardins de Métis, les terrasses du Kingsbrae sont parsemées d’oeuvres d’art éclectiques, présentées dans le cadre d’un concours annuel.
On se dirige ensuite vers Ministers Island et le domaine de Covenhoven. L’argent n’était pas un frein pour le premier président du Canadian Pacific Railways, Sir William Van Horne, qui a aménagé ici son château d’été ainsi qu’une ferme modèle et tous les équipements les plus modernes de l’époque lui permettant d’y vivre en autarcie. Malgré le fait que le cottage ait été dépouillé d’une bonne part de son luxueux mobilier et qu’il ne reste que 11 des 22 bâtiments initiaux, cette visite s’avère fascinante. On accède à l’île en voiture par l’estran qui se dégage à marée basse.
Points de vue saisissants
En remontant la côte néo-brunswickoise de la baie de Fundy, on croise plusieurs attraits naturels et des aménagements qui nous permettent d’en apprécier les beautés.
Le Sentier Fundy (Fundy Trail Parkway) est l’un de ceux-là. Il s’agit d’abord d’une section de route de 13 km longeant les escarpements côtiers et donnant accès à de nombreux belvédères, aires de pique-nique et points de vue saisissants. Plusieurs courts sentiers pédestres permettent d’accéder aux plages ou aux estuaires des rivières, alors que les cyclistes et marcheurs les plus aguerris peuvent s’offrir la route à vélo avec service de navette pour le retour, ou le sentier de longue randonnée (quatre à cinq jours) en autonomie, avec couchers en refuge. Chemin faisant, le centre d’interprétation de Big Salmon River évoque l’époque où la région était un important fournisseur de bois de pulpe pour l’industrie américaine.
À la porte d’entrée du Sentier Fundy, ne manquez surtout pas l’arrêt photo dans le village on ne peut plus pittoresque de Saint Martins, avec ses deux ponts couverts et son phare qui entrent dans la même image.
Hopewell Rocks
Le village suivant sur la route, Alma, mérite une pause afin d’y constater les effets dramatiques de la marée basse sur le paysage. Alors que les bateaux se déposent sur la vase au jusant, on peut marcher près d’un kilomètre au large sur le fond marin et on risque de revenir au pas de course si le montant nous poursuit.
Non loin, l’attrait incontournable de la baie de Fundy demeure le parc des rochers Hopewell Rocks, où l’on admire les fameux pots de fleurs, marque de commerce de la côte, et où l’on constate mieux que partout ailleurs l’amplitude et la force des marées. À partir de l’anse aux Escaliers, les visiteurs ont facilement accès à la plage avant et après l’étale. Ils peuvent littéralement marcher sur le fond de la mer et, surtout, s’approcher des monolithes coiffés de végétation que l’érosion a isolés des falaises rougeâtres.
Saint-Jean et Moncton
Deux villes se démarquent à la source et au coeur de la baie de Fundy : Moncton et Saint-Jean. Moncton se trouve aux abords de la rivière Petitcodiac, qu’on appelle aussi «Chocolate River» puisqu’elle déverse des quantités phénoménales de boue rouge dans la baie de Fundy.
Le choc des titans
Quant à Saint-Jean, sa filiation avec Fundy est plus étroite puisqu’elle est dotée d’un important port de mer. Cette charmante ville escarpée où domine l’architecture victorienne abrite aussi le Musée du Nouveau-Brunswick, qui présente d’excellentes expositions sur l’histoire de la baie ainsi que sur les mammifères marins qui la fréquentent. Saint-Jean compte également un parc urbain remarquable, Rockwood Park, qui dispose de kilomètres de sentiers pédestres et cyclistes et de nombreux lacs canotables. Mais son lien avec la baie de Fundy tient plus à son intégration au parc Stonehammer, premier membre canadien du réseau des géoparcs de l’UNESCO. Finalement, Saint-Jean offre le spectacle naturel du choc des Titans, alors que les eaux de la baie de Fundy repoussent celles du fleuve Saint-Jean loin dans les terres à chaque cycle de marée. Sur le site des chutes réversibles, l’expérience en bateau à tuyère (jet boat) vous fait littéralement sortir l’adrénaline par les oreilles. Une croisière d’interprétation plus tranquille est aussi proposée en français pour compléter cette grande virée.
Information :
Baie de Fundy : www.bayoffundy.com, en anglais
Parc national du Canada Fundy : www.pc.gc.ca/fra/pn-np/nb/fundy/index.aspx Tourisme Nouveau-Brunswick : www.tourismenouveaubrunswick.ca
Source : cyberpresse.ca (15.10.11)