Dans les années 70, on estimait que le troupeau de bélougas qui vit à l’embouchure du Saguenay (rivière du Québec prenant sa source dans le lac Saint-Jean et se jetant dans le Saint-Laurent) comprenait 650 individus et que leur longévité était de 35 ans. Aujourd’hui, le troupeau est évalué à 1100 têtes avec une espérance de vie de 70 ans !
Mais qu’on ne se réjouisse pas trop vite. « Ces nouvelles estimations relèvent d’une meilleure connaissance que nous avons de cet animal et non d’une amélioration de son état de santé », explique Daniel Martineau, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Depuis une trentaine d’années, le professeur dirige un projet de recherche sur la santé de cette petite baleine blanche financé par Pêches et Océans Canada. Le vétérinaire présentera une conférence sur le sujet le 26 octobre aux Belles Soirées.
Si le nombre estimé de bélougas du Saint-Laurent a doublé, c’est que le dénombrement était uniquement établi par observation aérienne et les chercheurs ont constaté que les animaux en plongée n’étaient pas repérables par ce procédé. Le troupeau serait donc stable depuis la fin de la chasse, en 1979, ce qui inquiète les spécialistes qui ont classé cet animal parmi les espèces menacées.
« À 1100 individus, le seuil minimal pour assurer le maintien d’une espèce est atteint », déplore le professeur.Ramoneurs et bélougas, même combatLa principale cause de la stagnation du troupeau serait la pollution de son environnement. « Un adulte sur cinq meurt d’un cancer », précise le vétérinaire, qui procède à la nécropsie d’une douzaine de carcasses par année. La bonne nouvelle, c’est que l’épidémie des cancers serait en train de reculer. Les cancers seraient notamment causés par les biphényles polychlorés (BPC) et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Les BPC perturbent le système endocrinien alors que les HAP, sous-produits de la combustion, altèrent l’ADN. Dans sa conférence, le professeur exposera plus en détail les chaines de réactions chimiques provoquées par ces produits émanant des alumineries.
C’est de cette triste réalité qu’est d’ailleurs tiré le titre de sa conférence, « Les bélougas, ramoneurs du Saint-Laurent ». On sait que le cancer du poumon a été découvert chez les ramoneurs d’Angleterre à la fin du 19e siècle et qu’il était lié aux HAP.
Dans le Saguenay, les HAP proviennent de la combustion du goudron qui entre dans la fabrication des électrodes dont se servent les alumineries. « Depuis le milieu des années 90, le procédé de fabrication des électrodes a changé et l’industrie libère moins d’HAP », affirme le professeur, qui y voit un lien avec la diminution des cas de cancer observés.
À son avis, ce n’est pas un hasard si les bélougas et les alumineries se retrouvent aujourd’hui dans la même région. Un évènement géologique survenu il y a 12 000 ans serait en cause, un autre fait dont il parlera au cours de sa conférence. Danger invisible : le bruitOutre les cancers, plus du tiers des nécropsies révèlent que les bélougas sont atteints de diverses maladies infectieuses dues à des virus ou à de la vermine.
Daniel Martineau croit par ailleurs que les répercussions du bruit des embarcations d’observation sont sous-estimées. « Comme les autres baleines, les bélougas communiquent entre eux par le son, que ce soit pour se reproduire, se déplacer ou se nourrir. En Nouvelle-Zélande, on s’est aperçu que la reproduction des dauphins était à la baisse parce que les femelles passaient moins de temps à se nourrir à cause des bateaux d’excursion de plus en plus nombreux. »
Lorsque des blessures sont observables sur les carcasses de bélougas, ce sont du reste des blessures faites par de petites embarcations tels les zodiaques.
Le professeur compare la situation prévalant à l’embouchure du Saguenay à une autoroute qui traverserait le Serengeti, l’un des plus grands parcs animaliers d’Afrique. « On aurait beau réduire la vitesse des jeeps pour éviter les collisions avec les lions, ceux-ci vont quand même déguerpir au passage des véhicules sans se nourrir », déclare-t-il.
Serait-il pensable d’accroitre le nombre de bélougas du Saint-Laurent et d’assurer la survie de ce troupeau en y transportant des bêtes capturées dans l’Arctique? « Certains y ont déjà pensé, mais cela ne donnerait rien si les conditions de vie demeurent les mêmes », répond le professeur.
Pour le vétérinaire, il est important d’étudier la santé de ces mammifères parce qu’ils partagent certaines caractéristiques avec l’humain: la longévité est comparable, ils sont au sommet de la chaine alimentaire, leurs corps gras accumulent les contaminants et la période de lactation est longue.
« Les bélougas sont nos sentinelles parce que nos déchets aboutissent dans l’eau. S’ils disparaissent, qui sera le prochain? » se demande-t-il.
Source : techno-science.net (20.10.11) Actualité récente en rapport : Canada : la rareté des bébés bélugas inquiète les scientifiques… Un 8e béluga s’échoue sur la côte gaspésienne… Plus d’infos sur l’espèce & fiche pédagogique téléchargeable : Le béluga