Trafic maritime, prospection pétrolière, traque de sous-marins, parcs éoliens offshore… N’en déplaise au commandant Cousteau et aux espèces qui y vivent, l’océan n’est pas le monde du silence. Bien au contraire, les fonds marins sont de plus en plus bruyants: du fait des activités humaines, l’intensité sonore y a augmenté de 20 décibels ces 50 dernières années. Avec des conséquences néfastes pour la faune.
« Le son est à la base des communications des cétacés, c’est ce qui leur permet de percevoir leur environnement. Entendre est aussi important pour eux que voir l’est pour nous », explique Mark Simmonds, responsable scientifique de la Société pour la conservation des dauphins et des baleines (WDCS).
« S’il y a trop de bruit environnant, ils peinent à communiquer », a-t-il dit à l’AFP, en marge d’une récente conférence internationale sur les espèces migratrices à Bergen (Norvège).
Un problème moins anodin qu’il n’y paraît car ce « brouillard » acoustique perturbe l’aptitude des cétacés –normalement souvent capables de communiquer à plusieurs dizaines de kilomètres de distance– à s’orienter, se nourrir ou encore se reproduire.
Un simple trafic de petits bateaux naviguant à faible allure en eaux peu profondes peut réduire de 26% la portée des sons émis par les grands dauphins –ou dauphins à gros nez– et même de 58% dans le cas des baleines pilotes, selon une étude.
Pour Nicolas Entrup, un représentant des ONG Ocean Care et NRDC, la mer est en passe de devenir pour les cétacés ce qu’une discothèque est à l’homme, « un endroit où on peut rester un instant mais où l’on ne pourrait pas vivre ».
« Imaginez une situation où, pour parler avec votre famille, vous êtes obligé de crier en permanence », dit-il.
Les océans étant vastes, les espèces importunées peuvent certes se déplacer mais encore leur faut-il trouver un nouvel habitat adapté.
Le problème est particulièrement aigu dans l’Arctique où, recul de la banquise aidant, l’homme laisse une empreinte sonore grandissante: nouvelles routes maritimes, prospection pétrolière…
« Prenez le narval par exemple », dit M. Simmonds. « Il a un habitat très limité sous les glaces marines. Il est très adapté à cet environnement froid. Quand ce sera vraiment trop bruyant, où ira-t-il? ».
Même problème dans le Grand Nord canadien pour le béluga, un mammifère marin migrateur extrêmement sensible au bruit.
Comment ces animaux capables de détecter des navires à une trentaine de km à la ronde pourront-ils continuer leurs migrations dans les eaux étroites entourant l’île de Baffin alors qu’un important projet minier risque d’y engendrer une forte augmentation du trafic maritime?
« Nous ne savons tout simplement pas comment certaines espèces vont s’adapter ni même si elles vont s’adapter tout court », souligne M. Simmonds.
Dans certains cas, le vacarme des hommes peut être fatal.
L’échouage en masse de baleines dans les zones où se tiennent des exercices militaires impliquant des sonars anti-sous-marins est bien connu: une quinzaine de baleines à bec l’avaient ainsi payé de leur vie aux Canaries en 2002 après des manoeuvres de l’Otan.
« Comme on est dans le domaine militaire, aucune information transparente n’est disponible et on en sait finalement très peu sur la vraie étendue du problème », déplore Nicolas Entrup.
Autre menace: les campagnes sismiques qui consistent, à l’aide de canons à air, à projeter des ondes contre les fonds sous-marins pour y déceler des hydrocarbures.
Une campagne conduite il y a quelques années sur la côte nord-est américaine a ainsi littéralement imposé le silence aux rorquals communs –une espèce menacée– pendant toute la durée des tirs dans une zone peut-être aussi grande que l’Alaska.
Le danger vient aussi d’où on ne l’attend pas comme, par exemple, de la construction de champs toujours plus vastes d’éoliennes toujours plus grosses.
Une technique courante d’installation consiste à enfoncer au fond de la mer, à l’aide d’un marteau hydraulique, un monopieu qui servira de support à la fondation de ces moulins à vent des temps modernes.
Un procédé susceptible de dégager quelque 250 décibels, une dose mortelle pour les mammifères marins se trouvant dans les parages.
A quoi viendra ensuite s’ajouter le bruit généré par les bateaux assurant la maintenance, la pose de câbles, l’élargissement des infrastructures portuaires…
« Le tableau est sombre mais maintenant, on a les connaissances et la méthodologie pour remédier à certains problèmes », relève Michel André, du Laboratoire d’applications bioacoustiques de l’université de Barcelone, qui coordonne le projet Lido visant à cartographier les sons des fonds marins.
« Il est par exemple assez facile de diminuer le bruit des bateaux », souligne-t-il. « La preuve, les militaires savent déjà le faire ».
Source : lavoixdunord.fr (03.12.11)