Le monde est recouvert de milliards de routes migratoires invisibles. Sur terre, dans l’eau et dans les airs, les animaux migrateurs utilisent et dépendent de la disponibilité de sites critiques le long de leurs voyages migratoires annuels. Ces sites, plaques tournantes internationales de la faune sauvage, sont vitaux pour le ravitaillement et la reproduction des animaux : un chaînon manquant peut mettre toute une population en danger.  Mother calf-Baja California (C) nbonzey-flickr.jpgTout comme les systèmes de transport moderne avec leurs aéroports, leurs chemins de fer et leurs routes, les espèces migratrices ont des réseaux similaires dans le monde entier. Or, beaucoup de ces plaques tournantes subissent une pression considérable à cause du développement humain et de l’exploitation des ressources naturelles.

Les scientifiques prévoient que l’ « Abondance moyenne des espèces » au niveau mondial, une mesure visant à prévoir à la fois la diversité des espèces et leur nombre, passera de 0,70 en 2000 à environ 0,63 d’ici 2050.

Cette perte estimée d’abondance et des espèces de la faune sauvage revient à éradiquer toute faune et flore dans une zone de 9,1 millions de km2, environ la taille des États-Unis d’Amérique ou de la Chine, en moins de 40 ans.

Le 21 novembre, des représentants de près de 100 gouvernements se sont réunis lors d’une conférence sur la faune sauvage, organisée par la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE / CMS) de l’ONU à Bergen, en Norvège, afin de trouver des solutions pour sauvegarder les espèces migratrices de la faune sauvage.(C) UNEP.jpg Les plaques tournantes de la faune sauvage sont menacées dans le monde entier

Dans l’Extrême-Arctique canadien, les bélugas qui migrent dans d’étroits couloirs de glace à ciel ouvert pourraient voir leur migration bloquée par le trafic maritime d’une potentielle vaste mine de fer. Les baleines et les dauphins sont de plus en plus exposés à la pollution sonore des sonars et des bateaux, qui pourrait entraîner des modifications et une diminution jusqu’à 58 pour cent de la communication des mammifère marins.

Dans la mer Jaune en Asie orientale, la mise en valeur des terres est en train de détruire des « aéroports » critiques pour les oiseaux marins, tandis que les plaines découvertes d’Asie centrale, d’Afrique et d’Amérique du Sud sont découpées par les routes, les voies ferrées et les nouveaux projets de mines.

Le braconnage entraîne un déclin spectaculaire dans le monde entier parmi les rhinocéros, les éléphants, les tigres et les antilopes, avec très peu de ressources accordées à l’application des lois.

Pour les oiseaux migrateurs et les chauves-souris, les zones humides et les zones de repos ont diminué de plus 50 pour cent au cours du siècle dernier. Nombre d’entre elles sont critiques pour ces animaux qui voyagent sur de longues distances.

Le développement côtier augmente rapidement et l’on prévoit qu’il aura un impact sur 91 pour cent des côtes tempérées et tropicales d’ici 2050 et qu’il contribuera à plus de 80 pour cent de la pollution marine, avec de graves conséquences sur les oiseaux migrateurs.

Les guanacos et les vigognes ont perdu 40 à 75 pour cent de leurs aires de répartition en Amérique du Sud et leurs populations ont probablement chuté d’au moins 90 pour cent au cours des siècles derniers à cause de la perte des habitats due à l’augmentation du pacage et au braconnage.

Les baleines à bosse en Océanie sont menacées par la capture accessoire, la dégradation des habitats, la pollution, les maladies, le bruit, les collisions de navires, la diminution du nombre de proies et le changement climatique.

La minuscule Pipistrelle de Nathusius est une espèce de chauve-souris qui pèse entre 6 et 10 g seulement et qui voyage presque 2000 km par an. Elle est menacée par la perte des habitats et les collisions dues au nombre croissant de parcs éoliens. Le travail en projet de l’Accord EUROBATS de la CMS vise à protéger ses habitats et ses voies de migration.

La perte des écosystèmes de prairies et les activités agricoles sur les terres de reproduction et le long des voies de migration dans le sud de l’Amérique latine menace le bécasseau roussâtre et d’autres oiseaux des prairies. La CMS travaille avec les pays de la région afin d’identifier de nouvelles zones protégées situées à l’extérieur afin de créer un réseau d’habitats.

La capture accessoire constitue la principale menace de la plupart des mammifères marins, avec une perte annuelle de plus de 600 000 animaux.

La sous-population de baleines à bosse, qui migre entre l’Océanie et l’océan Austral, s’est effondrée de 70 pour cent depuis 1942. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’entre 3000 et 5000 animaux.

Voilà quelques uns des sites et espèces menacés identifiés dans le rapport intitulé « Living Planet : Connected Planet. Preventing the End of the World’s Wildlife Migrations through Ecological Network (Planète vivante : planète connectée. Prévenir la fin des migrations à travers les réseaux écologiques) ». Il a été lancé le 21 novembre à Bergen par la Convention sur la Conservation des Espèces Migratrices de la Faune Sauvage.

Elizabeth Maruma Mrema, Secrétaire exécutive de la CMS, a déclaré : « Pour tous les animaux qui migrent régulièrement, les réseaux écologiques sont essentiels à leur migration et leur survie. La coopération internationale est cruciale afin de gérer ces vastes réseaux transfrontières. L’engagement de tous les pays est nécessaire afin que les générations futures puissent toujours s’émerveiller de ces nomades qui connectent notre planète et en profiter pleinement. »

Le rapport met en avant la manière dont la collaboration internationale a donné lieu à de belles et uniques réussites en matière de protection des espèces migratrices, comme les exemples suivant le démontrent.

Quelques succès dans la protection des animaux

Les oiseaux voyageant le long de la voie de migration Est-Atlantique de l’Afrique à l’Arctique ont besoin de se poser sur terre et de se ravitailler. La coopération néerlandaise-allemande-danoise trilatérale a aidé à sauvegarder un « aéroport » clé dans la mer des Wadden pour les espèces voyageant dans le monde entier.

Dans le minuscule archipel du Pacifique des Palaos, les requins, qui parcourent les océans depuis plus de 400 millions d’années, commençaient à être menacés par la forte demande en nageoires pour les soupes. « Il y a deux ans, les Palaos sont devenus le premier pays à déclarer ses eaux côtières réserve naturelle pour les requins. À présent, les scientifiques estiment que les excursions de plongée au milieu des requins génèrent environ huit pour cent du PIB du pays et qu’un seul requin génère au cours de sa vie des revenus pour l’écotourisme équivalant à 1,9 millions euros », déclare Achim Steiner, Secrétaire général adjoint de l’ONU et Directeur exécutif du PNUE.

L’oie naine, en danger d’extinction dans le monde entier, se reproduit dans la forêt de la toundra de la Scandinavie au point le plus oriental de la Russie et a vu ses populations diminuer de manière spectaculaire depuis les années 1950. Cependant, le cadre de l’Accord sur la conservation des oiseaux d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie a réuni les gouvernements des vingt-deux pays clés situés le long de leurs voies de migration afin d’aider à sauver cette espèce de l’extinction.

Les gorilles de montagne, menacés d’extinction dans les Virunga, aux frontières de la République Démocratique du Congo, du Rwanda et de l’Ouganda, n’étaient plus que 250 en 1981, mais des mesures transfrontières répressives efficaces ont contribué à son rétablissement au coeur d’un des plus graves conflits du monde. En 2010, on en comptait 480.

Un programme de dix ans visant à restaurer et conserver sept millions d’hectares de zones humides en Chine, en Iran, au Kazakhstan et en Russie, a non seulement renforcé les chances de survie de la grue de Sibérie, en danger critique d’extinction, mais a également amélioré l’alimentation en eau potable, la pêche continentale et le stockage du carbone.

Le rapport appelle à une collaboration internationale afin de sauvegarder les réseaux écologiques reliant les nombreux corridors et plaques tournantes de la faune sauvage.

Toutefois, malgré les réussites grâce à la Convention et à la collaboration internationale, quelques-uns de plus grands pays du monde, qui possèdent presque 36 % de la surface terrestre mondiale, ne sont toujours pas parties de la Convention, ce qui pose des problèmes dans la protection des espèces migratrices au niveau international, malgré les quelque 150 pays qui collaborent.

Le braconnage de nouveau en recrudescence

Le braconnage est à nouveau en augmentation, en particulier dans les prairies et les savanes d’Afrique et d’Asie centrale. « Le braconnage organisé sur des animaux tels que les rhinocéros, les éléphants et les antilopes augmente rapidement en Asie et en Afrique et nous avons désespérément besoin de soutien pour traiter ce problème à l’échelle internationale », déclare Christian Nellemann, du centre GRID-Arendal du PNUE en Norvège.

Le nombre de gnous, de rhinocéros, d’antilopes Saïga et d’antilopes du Tibet, de gazelles à goitre et de gazelles du Tibet, de guanacos et de vigognes a diminué dans de nombreuses régions de 35 à 90 pour cent au cours des dernières décennies.

La chasse abusive pour le commerce illégal de corne a entraîné un déclin spectaculaire de 95 pour cent des populations d’antilopes Saïga, qui sont passées d’un million d’animaux à seulement 50 000. Sous l’égide du Mémorandum d’Entente de la CMS sur l’antilope Saïga, le suivi, l’identification de zones protégées pour les troupeaux en période de vêlage, la surveillance transfrontière et la participation des communautés locales constituent les bases d’une stratégie de conservation efficace.

La protection des immenses réserves en Chine et en Asie centrale, ainsi que des mesures anti-braconnage renforcées, ont contribué à sauver l’antilope du Tibet ou chiru de l’extinction potentielle, car leur nombre est passé de plus d’un million à moins de 75 000 en une ou deux décennies. Les antilopes du Tibet étaient chassées pour leur laine, le shahtoosh, qui pouvait rapporter jusqu’à 5000 dollars pour un châle sur le marché noir. Mais les mesures anti-braconnage chinoises, combinées à la mise en place de quelques-unes des plus grandes réserves au monde par la République populaire de Chine, ont changé le destin de ces animaux migrateurs. Toutefois, le braconnage continue de poser des problèmes.

Les barrières à la migration

Les antilopes du Tibet, qui traversent toujours la ligne ferroviaire Qing-Zang et l’autoroute Golmud-Lhasa pour atteindre leurs terres de vêlage et en revenir, passent 20 à 40 jours à chercher des passages et à attendre.

La construction de routes dans le Serengeti, l’écosystème pâturé le plus varié sur Terre, pourrait entraîner de grandes pertes parmi les 1,5 millions de gnous migrateurs, distribués par populations de 300 000 à presque 1 million d’animaux, avec de graves conséquences sur tout le réseau de l’écosystème, y compris les autres animaux et les plantes. Des promesses récentes du gouvernement tanzanien de protéger contre les projets de routes le Serengeti, le dernier et le plus grand système pâturé intact d’ongulés sauvages au monde, existant depuis 250 000 ans, est applaudi par la communauté internationale.

Dans la réserve de Masai Mara, au Kenya, on observe un déclin de 81 pour cent de la population de gnous migrateurs entre la fin des années 1970 et les années 1990 à cause de clôtures empêchant la migration annuelle et du braconnage.

Les recommandations du rapport

Voici quelques-unes des recommandations visant à sécuriser les réseaux écologiques pour les espèces migratrices :

L’évaluation des projets nationaux de développement d’infrastructures, dont les routes, les lignes ferroviaires, les pipelines, les lignes électriques, les parcs éoliens et les barrages, qui entravent la migration transfrontière des ongulés, contribue à identifier des moyens afin d’atténuer les impacts et à déterminer la violation potentielle de la CMS.

La lutte contre les crimes écologiques, tels que le braconnage, nécessite des efforts internationaux plus concertés afin de contrer le commerce illégal de produits de la faune sauvage au niveau mondial. Une augmentation importante des financements et une collaboration entre INTERPOL, la Banque Mondiale, la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), l’OMD (Organisation mondiale des douanes) et l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) sont des préalables nécessaires pour réussir à lutter efficacement contre les crimes à l’encontre de la faune sauvage.

Il faut absolument un renforcement des formations anti-braconnage et de l’application des lois, y compris la formation de pisteurs et l’amélioration de la gestion des scènes de crime afin de sécuriser les preuves pour les poursuites judiciaires.

Il faut augmenter rapidement et de manière conséquente le nombre et la taille des aires marines protégées. Les zones de nage importantes des baleines et des dauphins, en particulier dans un rayon de 200 km autour des zones côtières, doivent, lorsque cela est possible, être incluses dans les aires marines protégées et certaines parties doivent être désignées zones de navigation limitées pour les navires destinés au transport de marchandises et l’activité navale.

La restauration des zones humides, des vasières et des zones côtières doit être renforcée le long des principales voies de migration des oiseaux sur tous les continents afin de garantir la survie des oiseaux migrateurs.

La Dixième réunion de la Conférence des Parties de la CMS, qui se tient du 20 au 25 novembre 2011 à Bergen, accorde une attention particulière à l’importance des réseaux écologiques en tant qu’instrument efficace pour protéger de nombreux animaux migrateurs.

Notes

La Convention sur la Conservation des Espèces Migratrices de la Faune Sauvage (PNUE/CMS) travaille pour la conservation d’un ensemble varié d’animaux migrateurs en danger d’extinction dans le monde entier au travers de la négociation et de la mise en place d’accords et de plans d’action. La CMS est une convention en pleine croissance avec une importance spéciale du fait de son expertise en matière d’espèces migratrices. Aujourd’hui, 116 pays font partie de la Convention.

Auteur
Programme des Nations Unies pour l’Environnement
Source :  notre-planete.info   (23.11.11)

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