Aussi loin qu’il remonte dans ses souvenirs, Andrew Armour, 45 ans, se rappelle avoir vu des baleines croiser au large de la maison familiale. À mi-chemin entre la Martinique et la Guadeloupe, l’île de la Dominique a la particularité d’avoir toujours attiré les cétacés. Les 1 400 mètres de montagne volcanique qui dominent les vagues plongent 450 mètres plus bas pour rejoindre la plaque tectonique des Caraïbes. L’île verdoyante, couverte de six sortes de forêts tropicales, riche d’une flore et d’une faune remarquables, déverse au pied des tombants les éléments nutritifs qui entretiennent une vie abondante : crevettes, crabes, hippocampes, nombreux poissons de récif, tortues, raies. Et des baleines. Parmi elles, la plus grande des baleines à dents, le plus gros carnassier du monde : le cachalot. Pas une sortie en mer, pour le loisir ou la pêche, sans apercevoir le geyser d’un souffle, l’arrondi d’un dos ou la majesté d’une nageoire caudale signant le ciel avant de sonder dans l’océan.  Sperm whale (C) Sotti_PicasaWeb.jpgLes cachalots mâles peuvent atteindre 18 mètres de long et peser jusqu’à 60 tonnes. Imaginez-vous nager à proximité de ces géants ! Ils sont là toute l’année à quelques encablures de la côte ouest de l’île. Les fonds relativement peu profonds ont sédentarisé des groupes de femelles qui peuvent y mettre bas en toute tranquillité. Elles plongent en apnée à 200 mètres, ou plus, pour se nourrir de calamars. Elles les localisent à travers l’eau sombre des abysses grâce à leur capacité d’écholocation. Comme l’orque et le dauphin, le cachalot émet des sons – en l’occurrence des séries de clics caractéristiques – qui sont réverbérés par tous les obstacles rencontrés. Ainsi, chaque proie est précisément localisée. Le fonctionnement de cette écholocation reste mystérieux, en particulier la réception des ondes. Les scientifiques pensent que la tonne de spermaceti contenue dans la tête du cachalot joue le rôle d’un sonar. Cette cire très fine, nommée ainsi car elle a longtemps été prise, à tort, comme la source du liquide séminal, a failli causer la perte des cachalots. Ils furent pourchassés jusqu’en 1982, date de l’interdiction de leur traque, à cause de cette substance qui servait à la fabrication de bougies, de produits cosmétiques ou d’excipient médicamenteux.

Fitzroy, le frère d’Andrew, est le premier à avoir compris l’intérêt de créer un tourisme d’observation des -baleines, en 1988, faisant de fait avancer leur protection. Andrew a suivi  l’exemple de son frère et des guides pour les touristes et les plongeurs qui veulent approcher les plus gros mammifères vivants de la planète. Les cachalots évoluent au sein de structures sociales complexes et peu connues. Les Açores et la Dominique sont les seuls endroits où l’on peut étudier à l’année leurs interactions sociales. « La première rencontre avec un cachalot est un mélange unique de joie et de peur », confie Andrew en évoquant le jour où, étant à bord d’un petit bateau, il vit soudain à la surface de la mer d’énormes taches brunes foncer vers lui. Andrew ajusta son masque de plongée et mit « la tête sous l’eau pour voir les 90 % du corps » du géant. Il reçut en pleine poitrine les vibrations du puissant sonar, ciblé sur lui, et les clics qu’il émettait. En -relevant la tête, il découvrit autour de lui sept autres cachalots, beaucoup plus gros, soufflant à pleins poumons par leur évent. Et une puissante odeur musquée envahit l’air. Il se demanda alors « pourquoi rester sur le bateau plutôt que de plonger ? ». Depuis, c’est dans leur élément naturel qu’Andrew va chuchoter à « l’oreille » des cachalots.En 2000, Rhona, la compagne d’Andrew, remarque un jeune cétacé blessé à la tête et à la nageoire dorsale se dirigeant vers leur bateau. « Tout ce que nous avons pu faire c’est le caresser. Depuis cet instant, dès qu’il aperçoit notre bateau, il vient vers nous avec une jeune femelle à ses côtés. » Comme il garde des cicatrices de sa mésaventure passée, le couple l’a baptisé Scar (« cicatrice », en anglais). Quand Andrew plonge, Scar le rejoint, se laisse caresser et gratouiller la couenne. Il y prend un plaisir manifeste, notamment quand Andrew ôte les parasites qui s’accrochent à lui et percent sa cuirasse : « On peut dire sans anthropomorphisme que Scar cherche l’interaction avec les humains, ce qui est rarissime chez les baleines. » Au bout de onze années de complicité, Andrew invite sans crainte des plongeurs à venir à la rencontre de Scar et sa bande. Tout en rappelant qu’ils sont en présence d’animaux sauvages. On n’est jamais trop prudent.
Par Gilles Luneau

Source & photos :  vsd.fr  (janvier 2012)  Plus d’infos sur l’espèce & fiche pédagogique téléchargeable : Le grand cachalot Actualité récente en rapport : Mayotte invite les plongeurs dans son Parc naturel marin…

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