La Corse, le Var comme le Parc National de Port-Cros retiennent leur souffle. Dans un communiqué l’association insulaire de défense de l’environnement U Levante s’inquiète de l’ouverture prochaine de forages en méditerranée. En effet, le gouvernement français doit prochainement statuer sur le permis de forage de prospection d’hydrocarbures en Méditerranée, demandé par la société Melrose ; un forage en eaux très profondes (à 1500/2000m de profondeur) prévu en zone sismique. La zone dans laquelle le permis pourrait être accordé est tracée à 160 kilomètres au large des côtes corses et sardes, à quelques encablures du parc national de Port-Cros. Selon U Levante, la Corse et la Sardaigne sont sous le coup d’une exposition très importante à une pollution par une nappe hydrocarbures d’autant que la zone de prospection est une zone où la météorologie et les états de la mer présentent des risques élevés pour des installations de forages profonds et d’exploitation pétrolière, notamment liés à l’incertitude en termes de sismicité. Un collectif intitulé « Non aux hydrocarbures en Méditerranée », vient de se créer pour dénoncer ces forages.
Les faits remontent à 2002En octobre de cette année-là, le ministre de l’industrie, François Barouin, accorde à la société anglaise TGS-Nopec un permis « Rhône maritime » l’autorisant à chercher des hydrocarbures liquides ou gazeux sur une zone de 25 000 km2 située à 50 km de Marseille et à 25 km de Toulon. En 2006, le permis est prolongé jusque fin 2010 et transmis à la société écossaise Melrose.
Puis, il y a quelques mois en novembre 2011, la société Melrose demande l’autorisation de lancer de nouvelles études (même si plusieurs irrégularités, notamment juridiques, ont été constatées dans l’utilisation du premier permis). Réponse gouvernementale promise avant la présidentielle, en tout état de cause certainement fin février.
Mais l’affaire fait grand bruit car la campagne d’exploration nécessite des tests offshore ultra-profonds ainsi qu’une recherche sismique 3D, le tout à très hauts risques.
La méthode consiste à envoyer depuis un bateau de très fortes ondes (plus de 250 décibels) pour étudier les couches géologiques et déceler de possibles hydrocarbures.
Déjà plusieurs échouages de cétacés début 2011, sur la commune de Six-fours, avaient pu être attribués à l’usage de ces ondes acoustiques. Mais, en reportant sur la carte les données géologiques connues, les scientifiques ont également pu mettre en évidence une activité sismique intense dans la zone de forage envisagée : depuis 2005, l’épicentre de deux séismes a été localisé dans le périmètre du permis Rhône Maritime. « Forer dans une zone instable par 2 500 mètres de fond présente un risque que personne n’est aujourd’hui capable de maîtriser comme l’a encore montré la dernière marée noire provoquée par la plateforme de Shell dans le golfe de Guinée », confie Denis Lieppe, membre du conseil scientifique du parc national de Port-Cros et chercheur à l’Université Paris-Sorbonne, au journal les Échos en janvier dernier.
Celui-ci fait, par ailleurs, remarquer que le périmètre du permis est encadré d’une vingtaine d’aires marines et littorales protégées, déployées par l’État depuis cinquante ans et pour ne citer qu’elle, le sanctuaire Pélagos censé offrir une aire aux mammifères marins.
Melrose, elle, prévoit de forer un puits d’exploration dès 2013. Toute marée noire en Méditerranée, une mer fermée, serait une catastrophe.
Le conseil scientifique de la réserve naturelle de Scandola vient de voter, à l’unanimité, un avis négatif contre les prospections d’hydrocarbures concernant le permis Rhône Maritime :
• Les prospections se déroulent à « proximité de la Réserve naturelle marine du Parc naturel Régional de la Corse ainsi que de nombreux autres espaces protégés à très grande valeur patrimoniale (Parc national de Port-Cros, Réserve naturelle des Bouches de Bunifaziu, Sanctuaire international Pelagos pour la protection des mammifères marins…).
• Les forages profonds (1 500 m) sont loin d’être maîtrisés, et encore moins leur colmatage en cas d’accident, comme l’a montré l’accident de Deepwater Horizon, dans le golfe du Mexique, en avril 2010.
• La Méditerranée nord-occidentale, en particulier la zone de prospection, est une zone à forte activité sismique, comme en témoigne le séisme du 7/7/2011, au large d’Ajaccio, de magnitude 5,5. Des vents violents et irréguliers (mistral, tramontane) constituent également un facteur de risque.
• En cas d’accident et d’écoulement d’hydrocarbures, au fond ou en surface, la probabilité que les côtes continentales et de Corse soient atteintes en quelques heures ou en quelques jours est très élevée.
• Il n’est pas acceptable que, en cas d’accident, l’effort de protection du patrimoine naturel et culturel, étalé sur plusieurs décennies, soit anéanti.
La position du Conseil scientifique de la Réserve naturelle de Scandola va dans le même sens que les avis et motions formulés par les Conseils scientifiques de la Réserve des Bouches de Bunifaziu, du Parc national de Port-Cros, du projet de Parc national des Calanques et par l’IUCN. Cette position est conforme aux attendus de la Convention de Barcelone, signée et ratifiée par tous les pays riverains de la Méditerranée. »
Dans la droite ligne de cette opposition, une manifestation est également prévue à Marseille et Toulon le 13 février, avant que le ministre de l’Industrie ne prenne sa décision relative au permis de forage et dans l’espoir de sensibiliser les populations à la menace qui guette nos côtes.
En avril 2010, l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique provoqua l’une des plus grandes catastrophes écologiques de l’histoire. Les images de l’écoulement quotidien de millions de litres de pétrole dans la mer avec une nappe d’une taille comparable à celle de la Sardaigne et de l’immense marée noire qui s’ensuivit sur les côtes américaines firent le tour du monde. Pourtant, les perspectives d’une telle menace ne sont désormais plus à exclure près de nos côtes où les recherches de prospection pétrolière se multiplient.
Et, alors que le dessein des compagnies pétrolières suscite l’inquiétude, un autre projet retient également l’attention : un programme scientifique de forage sans précédent, actuellement à l’étude dans le golfe du Lion. Coordonné par une paléoclimatologue de l’université de Bretagne-Occidentale (Brest). le projet Gold envisage un forage de plus de 11 km sous la surface de la mer, au sud de la zone prospectée par Melrose et Noble Energy. Son but est d’effectuer le premier forage profond dans le golfe du Lion, au large de Toulon, afin « de retracer l’histoire de la Méditerranée depuis 30 millions d’années, souligne Marina Rabineau, chercheuse au CNRS et coordinatrice française du projet. « Et, comme c’est vierge, cela pose la question du potentiel en hydrocarbures pour les compagnies pétrolières, reconnaît-elle, d’autant que le sel est une très bonne couverture imperméable, une condition favorable au stockage de gaz ou de pétrole. » poursuit la chercheuse dans une dépêche AFP le 4 mai dernier.
La possibilité de trouver des hydrocarbures sous la couche de sel suscite l’intérêt des compagnies pétrolières qui sont prêtes à y injecter des fonds pour son financement. Plusieurs d’entre elles dont Total (France), Pétrobas (Brésil), Statoil (Norvège) et la Sonatrach (Algérie) ont participé, en octobre 2010, à un colloque à Banyuls-sur-mer (Pyrénées Atlantique) consacré au projet Gold. Comme le reconnaît François Roure, expert à l’Institut Français du Pétrole : « il y a un intérêt croisé. Ce type de forage qui a besoin de financement industriel, peut apporter des informations aux compagnies »(1).
Le projet sera présenté en avril à l’Integrated Ocean Drilling Program (IODP), un programme international de recherche sur l’histoire de la Terre à partir des études sur les fonds marins. Si le projet est accepté et son budget bouclé, le forage pourrait intervenir dans les deux ou trois prochaines années.
Rapport du Conseil scientifique du Parc National de Port Cros
Un rapport, rendu le 3 décembre 2010, pour le Conseil scientifique du Parc national de Port Cros, détaille les risques potentiels de pollution par hydrocarbures liés à une exploitation dans la zone couverte par la demande de permis de prospection Rhône maritime. Les conclusions sont sans appel : « Les risques d’une pollution par une nappe hydrocarbures provenant d’une exploitation dans la zone de prospection “Rhône maritime” sont réels. Ce risque existe à toutes les profondeurs. Il est néanmoins maximum pour la zone du sanctuaire marin Pélagos. En effet, celui-ci est situé à une quarantaine de kilomètre sous le vent dominant dont l’intensité et la fréquence sont plus intenses. Le parc national de Port-Cros est soumis à un risque du fait de sa faible distance (50 kilomètres). La Corse et la Sardaigne sont sous le coup d’une exposition très importante. À 160 kilomètres, ces deux îles sont situées sous le vent dominant (plus fréquent et plus intense). La zone de prospection est une zone où la météorologie et les états de la mer présentent des risques élevés pour des installations de forages profonds et d’exploitation pétrolière, notamment liés à l’incertitude en termes de sismicité ».
Collectif Non aux hydrocarbures en Méditerranée
Un collectif « Non aux hydrocarbures en Méditerranée », s’est créé ; il a d’ores et déjà pris plusieurs initiatives :
– les scientifiques lanceront un appel aux élus lors d’une « conférence alerte » le 19 mars
– les ministres de l’industrie et de l’écologie seront interpellés par lettre ouverte
Une grande manifestation devant le fort de Brégançon, résidence officielle du président de la République située à Bormes-les-Mimosas (Var), le 8 avril, intitulée « le Trafalgar des pétroliers ». Trois jours avant la date butoir de signature du permis d’exploitation de pétrole en offshore profond au large de Marseille, une double manifestation, sur terre et sur mer, est organisée :
– rassemblement maritime pour les marins avec départs décentralisés de tous les ports du littoral ;- rassemblement terrestre à quai pour tous les “sans bateaux”, à partir de 11 h, Parc de la Navale (5 ha dans un cadre superbe dans la rade de Toulon), accessible en voiture, ou bien en navettes en bateau depuis le centre ville.
Eva Joly, candidate pour Europe-Ecologie-Les-Verts, lors d’un déplacement à Marseille, a encouragé cette mobilisation citoyenne. « L’idée de faire du forage dans une mer fermée, entre 1 200 et 2 000 mètres, est pure folie », a-t-elle indiqué. « Les conséquences d’une fuite seraient irréparables sur la faune et la flore, il y a eu déjà, par l’effet des ondes acoustiques, de nombreux cétacés échoués de façon anormale l’année dernière ». « Nous devons développer les énergies renouvelables, et non pas nous acharner à trouver les dernières gouttes d’énergie fossile », a-t-elle ajouté.
On en reparle ici prochainement. En attendant vous pouvez consultez le site de l’association U Levante en cliquant ici.
Source, liens complémentaires & images d’illustration : cdurable.info (28.02.12)