LY SON (Vietnam) (AFP) – Avant de s’embarquer pour un mois de pêche en haute mer, Nguyen Hoang Loi vient faire quelques donations dans un temple coloré, planté sur le sable à côté d’une mer bleue turquoise. Comme à chaque fois, il s’en remet à « Ca Ong », Madame Baleine. Charlotte Bueb concours photo 2011 (1) pour site.jpg

« Prier pour la baleine nous aidera si l’on a des difficultés en mer », explique ce pêcheur de 45 ans de Ly Son, une île de 21.500 habitants au large des côtes du centre du Vietnam. Tout au long des 3.200 kilomètres de côtes du pays, des villages vouent ainsi un culte religieux au géant des océans. « Si les pêcheurs sont pris dans un orage en pleine pêche et ne savent où aller s’abriter, alors ils prient Madame Baleine pour qu’elle les aide », explique Tran Ngo Xuong, le gardien du temple de Ly Son. « La baleine apparaîtra à côté de leur bateau et les aidera dans les moments dangereux », assure cet ancien pêcheur de 79 ans, désormais en charge des rituels et que les villageois appellent le « prêtre ». Après une prière destinée à apaiser les esprits, il ouvre deux pièces mal éclairées derrière l’autel des ancêtres où sont conservées les squelettes de deux baleines. Pesant chacune entre 50 et 70 tonnes et mesurant plus de 20 mètres, elles se sont échouées sur l’île il y a plus de cent ans et y ont rendu l’âme, affirme-t-il. Alors que des centaines de personnes ne seraient pas parvenues à les déplacer, une dizaine y sont parvenus avec des prières et une marée favorable. Toutes les autres baleines qui s’échouent ainsi sont enterrées pendant cinq à dix ans, avant que leurs ossements ne soient exhumés. L’huile issue de la décomposition est stockée dans d’immenses conteneurs en céramique pour être utilisée lors du nettoyage des os, au cours des célébrations d’anniversaire. La presse officielle du pays communiste évoque régulièrement des histoires de sauvetages miraculeux, dont la dernière est parue récemment dans le Suc Khoe Doi Song, un journal du ministère de la Santé. Selon lui, un pêcheur nommé Dang Chau a été pris par une tempête alors qu’il rentrait chez lui, les caisses pleines d’une pêche abondante, menaçant à chaque instant de chavirer. « Une baleine géante est alors apparue, en nageant devant le bateau et en bloquant la tempête pour que l’équipage puisse revenir sur la berge », a affirmé l’article. « La baleine n’est repartie vers le large qu’une fois les pêcheurs sauvés (…). Ils se sont inclinés devant elle en guise de prière alors qu’elle s’éloignait ». Le Vietnam n’est pas le seul pays à vénérer les baleines, mais il est le seul où le culte s’appuie sur des moments précis, quand le mammifère marin est venu à la rencontre des pêcheurs, selon Sandra Lantz, historienne des religions, auteure d’une étude parue en 2009 sur le phénomène. Le rite s’appuie sur « des faits historiques plutôt que des croyances mythologiques », explique-t-elle, précisant que la vie des villageois est rythmée par cette croyance. « Ce culte (…) est un chemin, une façon de regarder ou de décrire la vie ». Les autorités, qui se sont longtemps méfiées des rites religieux, se montrent plus indulgentes depuis quelques années. Les festivals, qui célèbrent la baleine et l’implorent de continuer à protéger les générations de pêcheurs, reçoivent désormais le sceau officiel du pouvoir. Mais à Ly Son, les îliens espèrent que le culte permettra aussi d’attirer quelques touristes, qui sont quelque 3.000 à venir chaque année. Les autorités prévoient de rassembler tous les squelettes et de construire un nouveau temple pour les exposer. Un gagne-pain qui pourrait leur permettre de moins dépendre de la pêche. Et de la protection de la baleine les jours de tempête…
Source : tempsreel.nouvelobs.com (23.11.12)

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