Les touristes de passage sur la Côte-Nord en été aiment scruter le Saint-Laurent à la recherche de leurs dos blancs. Mais les bélugas québécois, déjà menacés, risquent de se faire encore plus rares. Les chercheurs constatent en effet que les dernières années ont été particulièrement meurtrières pour l’espèce. Et les moyens leur manquent pour tenter de comprendre la situation, en raison des compressions imposées en recherche par le gouvernement Harper.
« Nous avons constaté une augmentation spectaculaire de la mortalité des “veaux”, c’est-à-dire des jeunes bélugas de l’année, et ce, depuis 2008. Cette mortalité est un obstacle au rétablissement de la population », fait valoir Robert Michaud, président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM).
Les données recueillies par les spécialistes de cette petite baleine blanche parlent d’elles-mêmes. Entre le début des années 1980 et 2007, explique M. Michaud, de zéro à trois carcasses de veaux étaient repêchées chaque année. Ce chiffre a bondi à 10 en 2008. Il faut dire que, cette année-là, une marée d’algues toxiques a frappé le Saint-Laurent. Mais les chercheurs ont aussi recueilli 10 jeunes bélugas morts en 2010. L’an dernier, la situation a pris une tournure encore plus préoccupante, avec 17 décès constatés. Cette année, trois ont été confirmés, dont un lundi. Et la saison n’est pas terminée.
Ces chiffres peuvent sembler peu élevés, mais il faut savoir que la population de bélugas qui habite uniquement dans le Saint-Laurent avoisine les 1000 individus. Elle n’a d’ailleurs pas augmenté malgré plus de 30 ans de protection. « Normalement, elle aurait dû doubler », souligne le fondateur du GREMM. Les pertes répétées de quelques jeunes chaque année deviennent donc significatives. Qui plus est, Robert Michaud explique que de plus en plus de femelles semblent mourir au moment de l’accouchement. Jusqu’en 2007, environ 10 % des femelles retrouvées mortes chaque année succombaient ainsi. Ce taux est passé à 60 % depuis deux ans.
Quel coupable ?
Le problème, c’est que les chercheurs ne comprennent pas pourquoi tant de bélugas meurent. « Nous sommes dans une période critique et nous n’avons pas d’explication pour la hausse marquée de la mortalité. C’est ce qui nous inquiète particulièrement », dit M. Michaud, pionnier dans la recherche sur les bélugas du Saint-Laurent.
Parmi les principaux suspects, on retrouve les contaminants, toujours bien présents dans les eaux de l’estuaire. Certains provoqueraient des complications au moment de l’accouchement. Comme ce sont des animaux qui vivent plusieurs décennies et qu’ils se trouvent au sommet de la chaîne alimentaire, ils peuvent donc accumuler une importante charge toxique. Robert Michaud explique que les bouleversements observés dans la température des eaux du Saint-Laurent pourraient aussi influer sur le régime alimentaire des animaux. On se demande enfin dans quelle mesure le dérangement accru provoqué par l’activité humaine nuit à la reproduction des bélugas.
Recherche amputée
Si les questions ne manquent pas, les moyens pour la recherche font de plus en plus défaut, selon le président du GREMM. « Avec les compressions à Pêches et Océans Canada, la réalité, c’est que nous n’avons plus de suivis des contaminants dans le Saint-Laurent. Dans un avenir rapproché, les données nous manqueront en écotoxicologie. »
Le gouvernement Harper a en effet éliminé l’an dernier huit des onze de postes de chercheurs spécialisés en écotoxicologie à l’Institut Maurice-Lamontagne, situé à Mont-Joli. Parmi les postes supprimés, on compte un spécialiste qui était à la tête d’un important programme de recherche sur les bélugas. Ces compressions surviennent alors que de nouveaux risques environnementaux se profilent à l’horizon, dont l’exploitation pétrolière dans le Saint-Laurent.
Non seulement les chercheurs pourront désormais difficilement savoir ce qui affecte concrètement ces animaux, mais, en plus, ils manquent de données sur leur nombre réel. Robert Michaud rappelle ainsi que selon le programme fédéral de « rétablissement » de l’espèce, un inventaire de la population devrait être réalisé tous les trois ans. Or, les données les plus récentes datent de 2005. Celles recueillies lors du dernier inventaire, en 2009, ne sont toujours pas disponibles.
« Nous sommes dans l’obscurité, laisse tomber M. Michaud. Est-ce que les mortalités importantes qu’on a connues depuis 2008 ont hypothéqué la population ? On ne sait pas. L’avenir de cette petite population est incertain et nous n’avons pas les données nécessaires pour comprendre la trajectoire. »
En vertu du plan de rétablissement de l’espèce, il était par ailleurs prévu de mieux protéger l’habitat critique du béluga, dont les secteurs fréquentés par les femelles avec des jeunes. Mais rien n’a encore été fait. Lorsqu’il était au pouvoir, le gouvernement Charest avait même prévu de construire un port méthanier dans le secteur de Gros-Cacouna, une zone considérée comme une véritable pouponnière pour ces mammifères marins.
Source : ledevoir.com (20.08.13)
Source photo : wikimedia.org
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