« Blackfish » lève le voile sur les conditions de vie des orques en captivité… Lorsque Dawn Brancheau est morte, le 24 février 2010, après avoir  été attaquée par l’orque vedette de Seaworld, parc aquatique animalier de référence aux Etats-Unis, la tragédie a enflammé les chaînes d’information en continu. Près de quatre ans plus tard, la sortie de Blackfish, un documentaire qui en quête sur la mort de la soigneuse, déclenche à son tour un torrent de réactions, aussi bien dans les médias que du côté du public.



Seaworld est une véritable institution. Le groupe est propriétaire de onze parcs aux Etats-Unis, dont deux principaux à San Diego (Californie) et à Orlando (Floride). Ils sont l’équivalent de notre Disneyland Paris: c’est l’endroit où tous les parents emmènent leurs enfants au moins une fois. L’entreprise, cotée en Boursedepuis le mois d’avril, enregistre plus de 10 millions d’entrées par an, à 60 euros le billet en moyenne.

Comme dans beaucoup de parcs aquatiques, à Seaworld, le clou du spectacle est le « show » des orques, les « baleines tueuses » en anglais (« killer whale »). Pendant une demi-heure, petits et grands s’émerveillent de voirle plus grand prédateur marin exécuterdes pirouettes à la manière d’un animal de compagnie. Les soigneurs glissent leur tête dans la gueule ouverte des épaulards pour leur embrasserla langue, surfent sur leur dos et plongent à leurs côtés dans les bassins d’eau de mer.

TILIKUM, UNE ICÔNE AUX ÉTATS-UNISL’Amérique est donc sous le choc au moment du drame de 2010 qui fait les gros titres de la presse nationale : comment cette attaque a-t-elle pu avoirlieu à Seaworld, où les animaux sont heureux et les soigneurs en sécurité, selon la pensée commune ? La victime, Dawn Brancheau, était la soigneuse la plus expérimentée du parc d’Orlando, et l’orque impliqué dans sa mort, Tilikum, le plus célèbre des cétacés : il entre en scène quelques minutes avant la fin des spectacles pour inonderles gradins lors du fameux « grand splash ». Gabriela Cowperthwaite, réalisatrice de Blackfish, n’est pas une activiste. C’est d’abord en tant que mère de familleayant emmené plusieurs fois ses enfants à Seaworld qu’elle se sent concernée par la tragédie, comme la plupart des Américains. « Je ne comprenais pas comment une soigneuse aussi expérimentée avait pu êtretuée par un orque, dans un lieu comme Seaworld. J’ai commencé à enquêteret ce que j’ai découvert m’a profondément choquée », confie-t-elle.

Lorsqu’elle commence à « tirer les fils » de son enquête, elle découvre que les origines de l’attaque du 24 février sont profondément ancrées dans l’histoire de Tilikum en particulier et des orques en captivité en général. « Je me suis rapidement rendu compte que pour traitercette histoire de la meilleure façon, je devais commencerpar le début »,explique-t-elle.

L’histoire de Blackfish, du nom donné aux orques par les indiens d’Amérique qui pêchaient aux côtés des épaulards, remonte aux années 1970 et aux premières battues dans les eaux territoriales de Washington. Avant cette date, des orques avaient déjà été capturés, mais c’est la première fois que les animaux sauvages étaient destinés aux piscines de béton des parcs d’attractions.

Dans le documentaire de Gabriela Cowperthwaite, un pêcheur présent lors de ces premières captures livre les détails glaçants de ce qu’il qualifie lui-même de « chasse ». Du « kidnapping » des petits (les seuls pêchés car moins chers à transporter), à l’éventrage des individus retrouvés morts dans les filets de pêche que l’on remplissait ensuite de pierres ou d’ancres et que l’on coulait pour s’en débarrasser.

Tilikum a été pêché de cette manière en 1983, en Islande. Après sa capture, il passe les premières années de sa vie dans un parc au Canada, raconte Blackfish, images d’archives et témoignages à l’appui. Les nuits, il est enfermé dans une « boîte en fer flottante »de six mètres de long et neuf mètres de profondeur, avec deux autres femelles. Durant cette période, il est régulièrement attaqué et blessé jusqu’au sang par ses deux congénères. A ce moment-là, l’orque a probablement pu développerune forme de psychose, note un expert interrogé dans le film. C’est dans ce parc que Tilikum fera sa première victime. Il tuera en tout trois fois pendant ses années de captivité.

VERSIONS DIVERGENTES

Seaworld a toujours refusé de reconnaîtreque manipulerdes orques en captivité représentait un danger. Le drame de février 2010 est à attribuer à l’imprudence de Dawn Brancheau et n’est en aucun cas lié à un acte d’agression de la part de l’animal de cinq tonnes et demie, assure le parc.

Malgré les versions contradictoires apportées par la direction de Seaworld (qui explique au départ que la dresseuse a glissé dans l’eau, avant de se rétracteren racontant qu’elle s’est fait emporter dans le bassin par la queue de cheval), la polémique finit par s’atténueret disparaît des écrans de télévision. Seule conséquence de l’accident de février 2010, le géant des parcs aquatiques doit désormais mettreune barrière physiqueentre ses orques et ses soigneurs pendant les spectacles pour des raisons de sécurité. Seaworld conteste cette interdiction et pour l’heure, Tilikum continue d' »exercer ».

« Après plusieurs jours de débat, tout le monde était convaincu que Dawn était morte à la suite d’un jeu qui avait mal tourné avec Tilikum. Le public pensait que l’histoire se résumait à cela »,se rappelle Gabriela Cowperthwaite, qui livre une tout autre version dans son documentaire.

L’enquête deBlackfishrévèle que Tilikum a tiré la soigneuse par le bras alors que celle-ci se trouvait dans un endroit du bassin où elle avait pied. L’orque l’a ensuite entraînée au fond de l’eau. Lorsque le corps sans vie de la jeune femme de 40 ans a finalement été récupéré, il apparaissait qu’elle avait souffert de nombreuses fractures et contusions. Tilikum l’a littéralement« mutilée », réagit un ancien collègue de Dawn Brancheau.

EN CAPTIVITÉ, LES ORQUES MEURENT JEUNES

Le principal argument des parcs aquatiques pour justifierla captivité des animaux est d’assurerqu’ils ont une vie meilleure dans leurs bassins, car ils bénéficient de très bons soins médicaux. Dans un communiqué rédigé en réaction à Blackfishet publié par CNN, Seaworld qualifie le documentaire d’« inexact »et de « trompeur », rappelant que le parc« est l’une des institutions zoologiques les plus respectées au monde »et« alloue des millions de dollars chaque année pour la conservation et la recherche scientifique ».

Or, en captivité, les communautés d’épaulards sont séparées et les individus mélangés. A l’état sauvage, les orques vivent en « familles » de vingt ou cinquante individus et parcourent des dizaines de kilomètres par jour. Chaque famille possède ses propres codes, son propre langage. Dans les bassins, les orques sont en proie aux agressions et ne peuvent nagernulle part. Les experts interrogés dans le documentaire sont unanimes : la captivité fabrique des animaux frustrés, qui s’ennuient et meurent jeunes. L’institution zoologique « la plus respectée au monde »n’est pas comparable à la liberté.

Au fur et à mesure qu’avance l’enquête, le documentaire semble hésiterentre deux arguments pour sensibiliserle public : d’un côté, la cruauté de l’homme, responsable conscient de souffrances atroces sur des animaux très intelligents, de l’autre, les risques élevés qui découlent de la captivité des orques. Depuis 1988, plus de cent attaques, dont quatre mortelles, ont été attribuées à des orques en captivité, selon les chiffres de Seaworld. Tilikum est impliqué dans trois d’entre elles. « C’est mauvais pour les orques et c’est mauvais pour les dresseurs aussi, je les considère tous deux comme des victimes d’un même système »,explique la réalisatrice. Si rien de bon ne découle de ces pratiques, pourquoi continuerà éleverdes orques en captivité ? Car l’industrie  de l’orque pèse lourd.

Tim Zimmermann a coécrit Blackfishet est l’auteur de « The killer in the pool », un article publié par le magazine Outsidequi a servi de base au documentaire. Selon lui, Shamu (le nom générique donné à tous les orques du parc), est responsable de plus de 70 % du profit de Seaworld. « Si l’on ne connaît pas le chiffre exact, il est tout à fait juste de direque Shamu est le cœur de métier de Seaworld »,affirme Tim Zimmermann. Ce qui explique pourquoi le groupe se bat pour ne pas l’abandonner, selon Blackfish.

Au-delà des épaulards, le film veut remettreen question l’industrie du divertissement animalier dans son ensemble. « Il ne s’agit pas que des baleines tueuses. Si nous sommes capables d’utiliser des animaux aussi intelligents pour l’industrie du divertissement, qui n’est régulée que par le profit, ça nous en apprend beaucoup sur la façon dont nous considérons les animaux et sur ce que nous sommes capables de fairepar intérêt »,affirme Tim Zimmermann.

De nombreux articles ont été publiés dans les journaux américains et en Europe à propos de l’attaque de 2010. De nombreuses personnes ont enquêté, mais jamais aucune production, pas même « The killer in the pool »,n’a eu l’écho que rencontre en ce moment Blackfish.

L’équipe du film se réjouit que de nouveaux mouvements voient le jour pour tenter de faireplier l’industrie de l’orque en captivité : certains activistes s’adressent directement aux partenaires économiques de Seaworld et leur demandent de les remettreen question. Le film a également permis à des initiatives plus anciennes de gagneren exposition. Lolita, une orque qui a passé plus de quarante ans de sa vie au Seaquarium de Miami, en Floride, est ainsi devenue le porte-étendard de la cause, alors que la campagne en faveur de sa libération s’intensifie.

Blackfish,sélectionné par plusieurs festivals, dont celui de Sundance, est sorti en salles cet été aux Etats-Unis. Le documentaire a depuis été distribué en Europe (Belgique, Allemagne, Suisse, Pays-Bas et Espagne). Il sera diffusé en France l’été prochain, en 2014, sur Arte.

Source & liens complémentaires : lemonde.fr (21.11.13)
Dossier complet sur Tilikum: En pleine représentation, une orque tue sa dresseuse…  Tilikum ne sera pas isolé…  Réactions suite à la mort de la dresseuse tuée par l’orque Tilikum…  Le décès de Dawn Brancheau relance le débat sur la captivité des orques…  Tilikum : la vidéo de l’accident pourrait être rendue publique et Sea World s’interroge sur le maintien des shows…  Eli Roth (Inglourious Basterds) : « Les parcs aquatiques, c’est Auschwitz pour les orques » ! L’orque tueuse de Floride reprend du service…

Lettre ouverte à M. BORLOO… 

Nouveau spectacle “One Ocean” de Sea World et grève de Tilikum…

Envie de voir Blackfish en France ?
Rejoignez l’événement Facebook en rapport :

Blackfish sur les écrans français !

Loading...