Poumons des océans, les récifs coralliens sont vulnérables et subissent les conséquences de l’activité humaine. Pour aider les chercheurs à les étudier et à les protéger, les membres du Catlin Seaview Survey constituent une extraordinaire banque d’images et de données. Elle prend notamment la forme d’un Google Street View des océans. Il permet à tous de prendre conscience de la beauté des récifs coralliens et de l’importance de leur sauvegarde, comme l’explique à Futura-Sciences le Français Christophe Bailhache, directeur des opérations.




C’est au philosophe et sociologue des médias canadien Marshall McLuhan que l’on doit l’expression « village global ». Il avait prévu dans les années 1960 que les progrès des télécommunications et de l’informatique allaient aider l’humanité à développer une conscience et une culture planétaires. On peut trouver des idées similaires dans les œuvres d’Arthur Clarke. Passionné de plongée sous-marine, l’inventeur du concept de satellite de télécommunications en orbite géostationnaire aurait certainement apprécié à sa juste valeur le Catlin Seaview Survey.

On le présente parfois comme un équivalent de Google Street View pour les océans, en particulier les récifs coralliens. Mais sa signification est bien plus vaste dans l’esprit de ceux qui ont entrepris de le réaliser en devenant partenaires de Google.

Au cours des cinquante dernières années, la Terre a perdu de 40 % à 50 % de ces récifs coralliens. Or, véritables « poumons des océans », ces vastes structures sont aussi vitales pour la planète que les forêts vierges. Malheureusement, la majorité de l’humanité n’a et n’aura jamais l’occasion de plonger avec masque et tuba sur ces récifs pour en constater la beauté, mais aussi la dégradation du fait du réchauffement climatique et de l’activité des Hommes. Avec des images panoramiques couvrant 360°, à la façon de Google Street View, il est possible de s’immerger dans ce monde des coraux.

Diversité biologique des récifs coralliens et structure 3D à la loupe

Dès lors, des centaines de millions de personnes, y compris des écoliers, peuvent à tout moment via n’importe quel outil connecté à Internet se transformer en plongeurs et biologistes marins et pénétrer dans ce monde sans même se mouiller. Ils peuvent se rassembler dans une prise de conscience commune de la crise que traverse actuellement la biosphère marine et influencer les décideurs politiques pour tenter de la résoudre.

Le Catlin Seaview Survey, qui doit couvrir à terme tous les récifs coralliens importants sur la planète, c’est aussi une formidable base de données pour les scientifiques. En comparant dans le temps l’évolution de la structure en 3D et de la diversité biologique des récifs coralliens avec les images prises à des dates différentes mais en des lieux identiques, les chercheurs disposent d’un remarquable outil pour mieux comprendre ces écosystèmes fragiles. Ils peuvent surveiller des dégradations, comme le blanchissement corallien (en anglais coral bleaching) qui est un processus de décoloration des colonies coralliennes et qui peut conduire au dépérissement des récifs sur de vastes surfaces.

L’une des personnes à l’origine du Catlin Seaview Surveyest le Français Christophe Bailhache qui en est le directeur des opérations. C’est aussi l’un des concepteurs de l’appareil de prise de vue que son équipe et lui utilisent pour photographier à 360° les récifs coralliens. Il a bien voulu répondre aux questions de Futura-Sciences depuis Sydney, en Australie. Une preuve de plus que nous sommes bel et bien dans le village global de McLuhan…

Futura-Sciences : Comme son nom l’indique, Catlin Group Limited est le sponsor principal du Catlin Seaview Survey. Ce groupe d’assurance présent au niveau mondial est-il à l’origine de ce projet ?

Christophe Bailhache :L’impulsion initiale est venue de la société Underwater Eathque nous avons fondée il y a trois ans avec Richard Vevers, actuel directeur du Catlin Seaview Survey. Nous sommes une équipe de passionnés de plongée très concernés par la dégradation des récifs coralliens et plus généralement par l’impact négatif de l’Homme sur les océans. La plupart d’entre nous ont travaillé auparavant dans le domaine des médias et de la publicité. Nous nous sommes dit que la meilleure façon de protéger ces récifs était d’utiliser les moyens de communication modernes pour susciter une prise de conscience globale aussi bien de leur beauté que de leur importance pour la vie sur Terre.

Les récifs coralliens représentent seulement 0,1 % de la surface des océans, mais ils hébergent 25 % de toute la vie marine existante et permettent à plus de 500 millions de personnes de vivre. Les océans produisent 50 % de l’oxygène que nous respirons.
Entre 2009 et 2011, Catlina sponsorisé des études sur l’Arctiqueavec le Catlin Arctic Survey. En tant qu’assureur, le groupe est bien sûr préoccupé par les risques liés au changement climatique. Il a donc tout intérêt à les évaluer et à tenter de les prévenir. Nous avons pensé qu’il pouvait être intéressé par notre projet. Ce fut le cas, comme vous pouvez le constater.

Vous avez aussi proposé à des chercheurs s’occupant de biologie marine et d’océanographie de vous rejoindre.

Christophe Bailhache :Absolument. L’un des buts du Catlin Seaview Surveyest de permettre de dresser un bilan de l’état des récifs coralliens dans le monde et de fournir aux chercheurs une base de données pour suivre leur évolution dans les années à venir et mieux comprendre les causes de leur dégradation en liaison avec les changements climatiques et l’activité humaine. Le professeur Ove Hoegh-Guldberg, directeur du Global Change Institute(GCI) de l’université du Queensland, est le directeur scientifique du Catlin Seaview Survey. Dès le premier jour, nous avons travaillé avec Ove et son équipe de biologistes marins qui ont embarqué avec nous dans cette aventure. Ils ont notamment sélectionné les sites que nous avons explorés en leur compagnie. Nous travaillons aussi avec d’autres institutions scientifiques parmi les meilleures du monde, comme la célèbre Scripps Institution of Oceanography ou la NOAA.

Quand et où a débuté votre travail ?

Christophe Bailhache : Notre travail a commencé en septembre 2012 sur le plus grand récif corallien au monde, la Grande barrière de Corail australienne. Pendant trois mois, nous avons pris plus de 100.000 images panoramiques avec des coordonnées GPS sur 32 sites considérés comme représentatifs de la Grande barrière. Celle-ci est longue de plus de 2.200 km, nous ne pouvions l’explorer en totalité, mais nous avons tout de même couvert environ 150 km sous l’eau, une distance jamais parcourue auparavant. Une partie des prises de vue s’est faite entre la surface et 15 m de profondeur, car c’est vers 10 à 12 m que se développe la majorité des récifs coralliens. Mais nous avons aussi pris des images et des échantillons à des profondeurs plus importantes, jusqu’à 150 m environ. Comme on ne doit pas rester longtemps à des profondeurs supérieures à 40 m, que des paliers de décompressions s’imposent et qu’il y a des risques de narcose à l’azote, nous avons utilisé des robotstéléguidés, des remotely operated vehicles (ROV), en anglais.

Pour les besoins du Catlin Seaview Surveyet la réalisation de l’équivalent d’un Google Street View des récifs coralliens, il vous a fallu mettre au point un nouvel appareil de prise de vue photographique unique au monde.

Christophe Bailhache : Oui. Je n’ai pas une formation d’ingénieur, mais comme je photographie  et filme les fonds sous-marins depuis des années, j’ai une certaine expérience qui m’a permis, avec Richard et notre équipe, de mettre au point un premier prototype de ce dispositif en trois mois. Le second, SVII, est plus léger et plus maniable. Il permet de réaliser des images panoramiques à 360° en prenant des clichés toutes les trois secondes, tout en se déplaçant à 4 km/h. On enregistre aussi la position de l’appareil avec un GPS, ainsi que son orientation. Cela permettra de réaliser les mêmes photographies des années plus tard, et donc d’établir des comparaisons précises sur l’évolution des récifs coralliens. Les données déjà collectées sont librement disponibles sur le site du Catlin Global Reef Record .

Le succès de la campagne dans la mer de Corail n’est qu’un début. Il vous reste à visiter d’autres sites sur la planète. Où en êtes-vous actuellement ?

Christophe Bailhache : Comme vous pouvez le voir sur le site du Catlin Seaview Survey (vous pouvez aussi nous suivre avec Facebook, Twitter et Google+) où nous donnons régulièrement des nouvelles de l’avancement de nos travaux, nous sommes actuellement aux Bahamas, mais nous sommes aussi allés dans les îles Galapagos et dans toute la zone des Caraïbes (Mexico, Belize , Aruba, Curaçao, Bonaire, etc.). Le Triangle du corail, la zone de l’océan Pacifique comprenant les eaux qui baignent la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines et les îles Salomon, fait aussi partie de nos objectifs pour 2014. Pour la zone de l’océan Indien, ce sera en 2015.
Tout dernièrement, nous avons plongé devant le musée océanographique de Monaco, dont le nom est inséparablement associé à celui de Jacques-Yves Cousteau. Nous sommes d’ailleurs en contact avec des membres de sa famille, comme Philippe Cousteau, qui a présenté notre travail sur CNN dans l’émission Going Green.

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