Denise Herzing travaille depuis 25 ans sur la mise au point d’un ordinateur capable de traduire les sifflements des dauphins en sons humains. Bien qu’il reste encore très basique, il aurait repéré le mot dauphin pour « sargasse » au détour d’une conversation.

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Caraïbes, fin août 2013. La biologiste états-unienne Denise Herzing a retrouvé le groupe de dauphins qu’elle suit tous les étés depuis 25 ans. Avec elle, Chat (pour Cetacean hearing and telemetry), un ordinateur spécialement conçu pour tenter de décrypter le langage de ces cétacés. En plein jeu, le traducteur s’active pour la première fois et reconnaît un son que la scientifique avait tenté d’enseigner à ses camarades à nageoires. En réponse, il transmet aux oreilles de la chercheuse la signification de ce qu’il a tout juste capté : elle entend alors sa propre voix enregistrée prononcer le mot « sargasse ». Un frisson la parcourt. Elle n’en croit pas ses oreilles et reste fascinée. Toutes ces années de travail enfin récompensées ?

À force de jouer avec cette troupe de mammifères marins, une relation particulière est née, et elle a pu s’essayer à leur apprendre un nouveau vocabulaire. Ainsi, le sifflement équivalent à « sargasse », une algue commune dans ces eaux, se distingue très nettement des sonorités habituellement usitées par les dauphins. Commenceraient-ils à s’approprier ce nouveau langage ?

La nouvelle semble exceptionnelle. Mais il est opportun de la tempérer malgré tout. D’abord parce qu’il n’y a eu qu’une seule occurrence, et que la répétition d’un phénomène constitue un paramètre indispensable en science pour affirmer qu’une observation n’est pas due au hasard. D’autre part car le sifflement émis diffère malgré tout de l’original : une structure identique, mais une fréquence plus élevée. Et malheureusement, la petite troupe ayant plié bagage plus tôt que les années précédentes, les recherches ont été écourtées l’an passé. Mais l’équipe du Wild Dolphin Project prépare déjà l’été prochain…

Un traducteur inspiré des Google Glass

En attendant, Denise Herzing présentera ses résultats lors d’un congrès qui se déroulera à Florence, en Italie, en mai prochain. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à travailler sur ce type de projet : d’autres se sont inspirés de ses travaux pour élaborer des algorithmes afin de percer les mystères de la communication orale de différentes espèces de primates.

Chat a été conçu pour la biologiste par Thad Starner, ingénieur au Georgia Institute of Technologyet l’un des principaux inventeurs des fameuses Google Glass. Il repose sur l’utilisation d’algorithmes particuliers, capables d’analyser les sifflements émis par les dauphins et y extraire des phrasés dotés d’un sens que l’oreille humaine peut manquer. Non seulement il repère les indices sonores, mais il compte aussi leur fréquence d’apparition au sein des discussions.

En effet, la répétition de certaines structures constitue un élément clé du langage : un son émis aléatoirement sans intention de communiquer ne sera pas répété à l’identique, tandis qu’une unité d’information se retrouvera plus ou moins souvent, selon son importance. De la même façon que nous ne nous raclons pas la gorge aussi souvent que nous prononçons le verbe « être » ou que nous employons l’article « je ». De cette façon, les scientifiques espèrent progressivement discerner les éléments les plus importants du langage animal et ainsi tenter de le percer progressivement.

Percer le mystère de la langue des dauphins

Certains spécialistes pensent malgré tout que ces dispositifs ne fourniront pas les informations attendues par la communauté scientifique. Pourquoi ? Parce que selon eux, la communication intraspécifique passe principalement par des actions de pointage ou des éléments de langage très basique, comme ils existent également chez l’Homme. N’y a-t-il pas quelques espèces capables d’aller au-delà ? Les cétacés ont acquis la réputation d’échanger à travers un vaste panel de sons, cachant potentiellement un langage complexe, qui coïnciderait bien avec leurs performances cognitives. Lors de l’été dernier, les algorithmes de Chat ont semble-t-il décelé 8 différents composants structuraux du discours des dauphins à partir d’un échantillon de 73 sifflements. Une collection qu’ils espèrent compléter dans les prochains mois, lors de leurs prochaines plongées avec les dauphins. Bien que le travail soit encore très préliminaire, ils ont associé certaines de ces unités langagières à l’interaction entre la mère et son petit.


Source : futura-sciences.com (28.03.14)

 


Denise Herzing a présenté son projet en juin 2013, lors de la conférence Ted, ici en image, et sous-titrée en français.
© Ted.com

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