La cause de la mort de la femelle béluga échouée sur le rivage de Saint-André-de-Kamouraska et autopsiée à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal à Saint-Hyacinthe le 30 septembre n’a pas encore été établie. Mais la présence de lait dans ses glandes laisse entendre qu’elle avait peut-être mis bas durant les derniers mois. Auquel cas une jeune baleine erre actuellement dans l’estuaire à la recherche de sa mère. «Il s’agissait d’une femelle adulte mature. L’âge exact pourra être déterminé par l’analyse des dents. Ce béluga ne présentait pas de signes macroscopiques de maladie ou de traumatisme. Les principaux organes ont été prélevés et seront étudiés au microscope», explique le Dr Stéphane Lair, médecin vétérinaire spécialisé dans la santé des animaux sauvages. C’est lui qui a dirigé l’autopsie, à laquelle ont pris part une dizaine d’étudiants, stagiaires et résidents en médecine vétérinaire.
Étrangement, la baleine blanche s’était alimentée dans les jours, sinon les heures précédents, puisque son estomac contenait des poissons partiellement digérés. L’animal est donc mort subitement et non après une longue maladie. La possibilité d’un cancer semble donc exclue. Le vétérinaire signale que les cas de cancers gastro-intestinaux, qu’on observait régulièrement dans les décennies 80 et 90, sont désormais exceptionnels; le dernier cas a été rapporté en 2006. Explication : les produits toxiques cancérogènes déversés par les alumineries dans les effluents du Saint-Laurent dans les années 50 et 60 sont aujourd’hui recouverts de sédiments moins contaminés; les bélugas, qui capturent souvent les proies enfouies dans ces sédiments, seraient donc moins exposés à ces contaminants.
D’autres substances toxiques menacent tout de même la santé des bélugas, comme certains produits ignifuges qui pourraient entraver sur le fonctionnement de la glande thyroïde. Or, cette glande joue un rôle dans le bon déroulement de la mise bas chez les animaux. «Ce n’est encore qu’une hypothèse, mais nous cherchons une cause aux problèmes de santé relevés au moment de la mise bas», indique le pathologiste, qui examine environ neuf carcasses par année dans le cadre du programme de suivi de la santé des bélugas du Saint-Laurent. Alors que l’échouement des veaux était auparavant rarissime, il est courant depuis quelques années. Dans la seule année 2012, on a récupéré 17 jeunes bélugas morts sur les rives du Saint-Laurent (voir Forum du 17 septembre 2012, «Mort suspecte de 15 jeunes bélougas du Saint-Laurent durant l’été»).
Animaux sauvages et pollution
Surnommé le «canari des mers», le béluga pourrait avoir un autre point de comparaison avec le volatile, une espèce sentinelle dont on se servait autrefois dans les milieux potentiellement contaminés afin de connaître la toxicité de l’air. Si l’oiseau revenait vivant, les travailleurs pouvaient s’y aventurer sans risque. Ainsi, la santé des bélugas du Saint-Laurent pourrait refléter la qualité de l’environnement que nous partageons avec les mammifères marins. Difficile de se prononcer, actuellement, sur l’évolution démographique du troupeau de l’estuaire. On dit généralement qu’il compte un millier de têtes, mais le chiffre pourrait varier de 800 à 2000. Chose certaine, l’examen systématique des carcasses de cétacés depuis plus de 30 ans – le programme a commencé en 1982 à l’initiative de Daniel Martineau, aujourd’hui professeur au Département de pathologie et microbiologie de la Faculté de médecine vétérinaire – a permis de documenter les causes les plus fréquentes de mort. Les résultats sont consignés par Pêches et Océans Canada, Parcs Canada et le Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins, qui financent les travaux.
Collisions et intoxications
Le Dr Lair a la responsabilité pour le Québec du volet enseignement et recherche du Réseau canadien de la santé de la faune. Ce réseau, auquel collaborent les différentes facultés de médecine vétérinaire du pays, offre un service d’expertise en pathologie de la faune. En 2012, au total 751 animaux ont été autopsiés aux laboratoires de pathologie de Saint-Hyacinthe. Du nombre, on a re-censé 470 oiseaux, 122 mammifères et 51 poissons. La pollution de l’air et de l’eau nuit à la santé des espèces sauvages, déclare le Dr Lair en entrevue. Sans compter l’hécatombe continue provoquée par les collisions avec les véhicules routiers, les immeubles et les pylônes électriques. On attribue, de plus, des dizaines de morts et d’états pathologiques d’oiseaux de proie aux activités de piégeage accidentel, même si la chasse de ces animaux est interdite depuis longtemps au Québec.
Mais ce sont encore les virus et parasites d’origine exotique qui causent le plus de mortalité chez les espèces indigènes. Par exemple, le virus du Nil occidental, absent de nos latitudes jusqu’en 1999, a fait des ravages chez les oiseaux d’ici pendant la décennie suivante. Le virus de Carré, qui provoque la mort chez certaines espèces comme le raton laveur, est endémique. Malgré tout, ces infections sont normales dans un écosystème, puisque, devant un envahisseur, les populations animales finissent par se stabiliser.
Le champignon responsable du syndrome du museau blanc chez la petite chauve-souris brune pourrait avoir un effet plus dramatique. Inexistant en Amérique jusqu’à son introduction il y a quelques années (possiblement par des adeptes de spéléologie qui ont transporté le champignon d’une grotte à l’autre), il pourrait décimer cette espèce, puisque jusqu’à 98 % de la population, dans certaines grottes, en est morte.
Là où l’être humain a encore une responsabilité à assumer, c’est dans la contamination de milieux naturels. Parfois, ce sont de minuscules détails qui amènent un dérèglement. Le Dr Lair mentionne que les plombs de chevrotine résiduels des chasseurs peuvent, après une longue période, intoxiquer des canards qui en avalent en se nourrissant dans la vase. Il a même déjà noté des niveaux de plomb vraisemblablement problématiques chez des pygargues à tête blanche qui se seraient nourris de chair d’ongulés dont les restes sont laissés en forêt après la chasse. Il recommande une modification des règlements en matière de munitions. La solution? Utiliser des balles d’alliage non toxique au lieu du plomb.
Mathieu-Robert Sauvé
Source : nouvelles.umontreal.ca (14.10.14)
Source photo : wikimedia.org
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Plus d’infos sur l’espèce & fiche pédagogique téléchargeable :Le béluga