Pour la première fois, une équipe vidéo s’est rendue dans le célèbre parc ravagé par le déluge du 3 octobre. Reportage sur une omerta.
« Marineland ? Tout le monde à Antibes connaît quelqu’un qui y travaille. »
Dans ce département des Alpes-Maritimes, le plus grand parc marin d’Europe est un cheval de bataille. Si bien que sa seule évocation suffit à alerter la réceptionniste de l’hôtel.
« Vous êtes là pour voir les dégâts ? Personne n’acceptera de vous parler. »
Le ton est donné. 10 heures, mardi 13 octobre. L’immense parking désert et boueux du 306, avenue Mozart paraît figé dans temps. Le déluge qui a entraîné la mort de vingt personnes sur la Côte d’Azur dans la nuit du 3 au 4 octobre dernier a également ravagé le Marineland. L’entrée du parc, stores baissés, invite à rebrousser chemin. Seule la présence d’un véhicule de l’ERDF et de camions de pompiers indique que le site a été lui aussi le théâtre d’un sinistre sans précédent. Au loin, le cri des otaries peine à couvrir le vacarme des marteaux-piqueurs. Un raffut auquel s’est habitué le gardien, en poste depuis 5 heures, immobile devant les grilles. La veille, une orque de 19 ans [qui vit jusqu’à 50 ans en milieu sauvage] a été retrouvée morte, alourdissant un bilan jusqu’ici imprécis.
« Désorganisés »
Le parc déplore la perte de quatre tortues caouannes, de bancs entiers de loups de mer, de la totalité des raies et des roussettes [petits requins à la peau rugueuse] qu’abritaient les bassins tactiles, de poissons exotiques d’aquarium, de poules, lapins, moutons et chèvres de la ferme pédagogique de Kid’s Island et, désormais, d’un épaulard. Né à Marineland en 1996 et baptisé Valentin, l’animal aurait été retrouvé sans vie « à 12 heures », selon le communiqué envoyé par la direction de Marineland.
Mardi, Marineland recevait la visite de la Direction départementale de protection des populations (DDPP). Une équipe préfectorale d’experts vétérinaires indépendants chargée d’inspecter l’ensemble des installations classées ainsi que chaque espèce animale cinq à six fois par an. Concernant les dirigeants du parc, Sophie Béranger-Chervet, la directrice de la DDPP, témoigne :
« Ils sont désorganisés. On a demandé les listings de tous les animaux de la petite ferme pour découvrir qu’ils étaient rangés dans un tiroir de bureau dans lequel il y avait autant d’eau que de papiers… À tel point qu’ils ont dû utiliser un sèche-cheveux pour les remettre en état. »
À Marineland, rien ne filtre
Hervé Lux, directeur de la communication, surgit suivi d’une jeune femme à la mine déconfite. Il joint ses mains d’un air désolé :
« Je suis confus, mais la situation a changé depuis vendredi. Comme vous le savez, nos équipes sont mobilisées. C’est un drame. Vous n’entrerez pas dans le parc aujourd’hui. »
Une mystérieuse volte-face justifiée à grand renfort de « c’est compliqué », « vous comprenez ». Et pour finir, s’agissant de la mort de l’orque :« Pour être honnête, nous ne connaissons pas encore les causes du décès. Une déclaration qui laisse sceptique la directrice de la DDPP :
« Le stress est un facteur qui peut être favorisant. Mon inquiétude, c’est qu’il soit décédé à cause de l’eau toxique qui a infiltré leur bassin. Ça représenterait un vrai danger pour les autres. »
Car si les dauphins sont sortis indemnes du « mini-tsunami sur 700 mètres de long » dont parle Hervé Lux, nageant en toute quiétude dans une eau limpide, les orques, elles, ne sont pas forcément logées à la même enseigne.
Contacté, Bernard Giampaolo, le directeur général du parc – dont le départ vient d’être annoncé –, autorise « très exceptionnellement » l’accès aux lieux. « Pour vous prouver que nous n’avons rien à cacher. » Une visite guidée est improvisée. « On se donne trente minutes, pas plus », avertit le directeur de la communication en regardant ses pieds.
Direction le bassin des otaries, où l’eau a retrouvé sa transparence après la coulée de boue.
« Depuis dimanche, on a œuvré jour et nuit pour que nos infrastructures soient rétablies et que nos animaux retrouvent une situation saine », se félicite-t-il, désignant l’enclos.
Le pompage en mer et un système efficace de filtration semblent en effet avoir eu raison de la pollution. Derrière les vitres, les résidents paressent sur un rocher entre deux rugissements. Les pluies diluviennes n’ont fait aucune victime chez ces pinnipèdes. En face, une tribu de manchots de Humboldt guette sa ration de poisson tandis qu’une poignée de soigneurs fait l’inventaire des distributions. On leur demanderait bien s’ils sont perturbés. On croit comprendre qu’ils ne sont pas autorisés à nous parler. Quant au bassin des orques, nous n’y aurons pas accès.
Une eau verdâtre et contaminée
« On va rester là », prévient notre cicérone du haut des innombrables marches surplombant le bassin. Un poste d’observation qui nous tient à distance des vedettes de Marineland et de leurs soigneurs, qui se dérobent à chacun de nos passages, tout comme les sapeurs-pompiers. Dans l’eau, une douzaine de plongeurs en combinaison rouge et jaune s’affairent à la recherche de sédiments. En arrière-plan, on aperçoit trois ailerons noirs affaissés dépasser du flot. Isolée dans un bassin attenant, une orque est tenue à l’écart, façon quarantaine, comme si elle était malade, ou blessée. Il faut attendre les remontées sporadiques des animaux à la surface pour observer leurs taches blanches distinctives et vérifier qu’ils respirent. Les 40 millions de litres d’océan dans lesquels ils baignent ont été contaminés par une eau sale, passée entre les gradins avant de finir sa course dans leur bassin. Résultat : les quatre cétacés évoluent dans un liquide glauque, recouvert çà et là d’une inquiétante mousse stagnante.
Dans le rapport adressé à la préfecture des Alpes-Maritimes par la DDPP au lendemain de sa visite de contrôle, il est spécifié que l’ensemble des bassins touchés par la vague ont été « totalement nettoyés » à l’exception de celui des orques. La filtration n’ayant pu reprendre que le mercredi 7 octobre, les opérations de nettoyage sont toujours « en cours ». Ce que confirme Hervé Lux :
« On va dire que le système fonctionne pour l’instant à 50 %. Mais l’eau est traitée de manière à éloigner le risque bactérien. »
Mais Hervé Lux semble ignorer beaucoup de choses. Par exemple, combien d’animaux recense Marineland. « Je préfère que vous demandiez à Jon… » Comprendre : Jon Kershaw, l’injoignable directeur animalier. Même scénario lorsqu’on l’interroge sur le manque à gagner de la société, dix jours après le désastre :
« Ce n’est pas le moment, il faut du temps pour tirer un bilan comme celui-ci. »
« Si tu parles, on te vire »
Du temps, Marineland n’en a plus à perdre. Le site touristique aux 1,2 million de visiteurs par an devra débourser plusieurs millions d’euros pour retrouver son aspect d’avant les inondations et rehausser ses installations par mesure de précaution. En attendant, ses allées souillées sentent les égouts. Et l’omerta règne.
« Les employés ont peur de parler, confie une source proche du dossier. La politique de la direction se résume à : Si tu parles, on te vire. »
Notre demi-heure écoulée, nous regagnons la sortie avec un étrange sentiment d’inachevé. Plongée dans l’obscurité, la boutique de souvenirs a perdu de sa superbe. Exit l’univers féérique qui fait rêver les enfants. Ours polaires en peluche et dauphins gonflables se morfondent en silence dans des sacs-poubelle.
Source : Le Point – Publié le 16 Octobre 2015
Vidéo : Dailymotion
Voir également : Enquête sanitaire au Marineland, le 14.10.15