La captivité impose aux dauphins une vie de frustration les conduisant à l’agressivité. Une maltraitance que le droit pourrait bientôt étendre.
L’association One Voice a déposé plainte le 4 juin contre Planète sauvage, un parc animalier à Port-Saint-Père, près de Nantes, afin de dénoncer les conditions de vie des dauphins détenus en captivité. Elle demande le transfert vers un autre centre de Galéo, dauphin né au Parc Astérix en 2009, et qui, depuis son arrivée à Planète sauvage, est battu tous les jours par les autres dauphins. Maigre, couvert de traces de morsures, de trous noirs et d’auréoles caractéristiques de la variole des bassins, une infection provoquée par le stress, Galéo est une victime de la captivité qui impose aux cétacés une vie de frustration les conduisant à l’agressivité.
Alors que les dauphins en liberté parcourent 150 kilomètres par jour et plongent au fond de l’océan, où ils s’accouplent et sondent les sables à l’aide de leur sonar à la recherche de petites proies, ils sont condamnés à tourner en rond dans ces prisons chlorées sans pouvoir s’abriter du soleil ni se soustraire aux bruits et à la vue du public. Cette situation sans issue qui explique qu’ils souffrent de stéréotypies, ces gestes dénués de sens que les animaux captifs répètent, est à l’origine de la tension permanente qui existe à l’intérieur du groupe et que le jeune Galéo risque de payer de sa vie.
Non seulement il est urgent d’autoriser One Voice à le transférer dans un centre où il sera soigné, en attendant que soit construit un bras de mer permettant de réhabiliter les dauphins nés en captivité, mais il est également nécessaire de comprendre que les delphinariums, qui n’ont rien à voir avec l’objectif de protection des animaux affiché par les zoos, illustrent un scandale majeur lié à un double mensonge.
Le premier mensonge tient au fait que les personnes qui achètent un billet pour voir un spectacle de dauphins ignorent à quel point ces animaux souffrent de la captivité. Ils ignorent aussi que, pour les dresser et les obliger à faire des pirouettes, ils sont affamés et parfois battus. L’anesthésie étant impossible chez les cétacés, toute intervention médicale se fait à vif. La reproduction n’est pas naturelle, mais elle est le résultat de l’insémination artificielle et les mâles qui ne sont pas stérilisés sont masturbés par les soigneurs, comme cela a été révélé récemment par les images prises à Harderwijk, en Hollande. Les spectacles montrent des animaux joueurs, mais la réalité est qu’ils sont désespérés.
Les personnes qui assistent à ces spectacles sont trompées, elles ne viennent pas pour se réjouir du spectacle d’un animal supplicié, comme c’est le cas avec la corrida, mais croient que les cétacés sont heureux et que le lien qui les unit au dresseur est fait d’empathie et de respect mutuel. On fait passer pour de l’amour ce qui est de la maltraitance.
L’autre mensonge qui doit être dénoncé renvoie à la manière dont le droit sert à nous piéger, en particulier quand il est question de bien-être animal. La députée écologiste Laurence Abeille avait soumis en mars 2015 deux amendements (994 et 1024) à la loi biodiversité, pour faire cesser la reproduction et le transport des dauphins, puis interdire les delphinariums, comme c’est le cas au Brésil, au Chili, à Chypre, en Croatie, au Costa Rica, en Hongrie, Inde, Suisse, Slovénie. Le ministère de l’Environnement, tout en rejetant ces amendements, avait affirmé qu’il débattrait de ce sujet. Or, un projet de loi autorisant les zoos à ouvrir des delphinariums va être soumis prochainement au vote. Daté du 8 janvier, ce projet de loi illustre la manière dont le droit est détourné de son sens.
A l’article I, on lit : «La détention en captivité de spécimens de cétacés est interdite, à l’exception : 1) de spécimens nés et élevés en captivité de l’espèce Tursiops truncatus (grand dauphin) ; 2) Des spécimens de l’espèce Orcinus orca (orque).» La lecture des 33 articles où sont énumérées les conditions auxquelles devront se plier «les établissements de présentation au public» qui demandent l’autorisation d’ouvrir un delphinarium laisse perplexe. Comment ces conditions, qui n’ont jamais été remplies par aucun delphinarium de France et de Navarre, pourraient-elles l’être dans les zoos ? La captivité des cétacés est incompatible avec le respect de leurs besoins de base. Ecrire que «les animaux ne doivent pas être sujets à l’ennui et à la frustration»(art. XVI) et oser prétendre que ces parcs zoologiques pourront contribuer à développer la recherche sur ces cétacés (art. XXVI), c’est encore tromper les citoyens. Ces restrictions sont des alibis servant l’extension quasi illimitée des delphinariums et, à terme, la capture des dauphins telle qu’elle se pratique dans la baie de Taiji, au Japon. C’est tout un trafic, dénoncé par Ric O’Barry dans le film The Cove, que le droit français s’apprête à encourager, alors que tout le monde reconnaît que la question animale est une question politique et qu’elle sera l’un des enjeux de la prochaine campagne présidentielle.
Source: liberation.fr, le 09/06/2016
Photo : Photo taken by Nick Seibert at the Vancouver Aquarium on 3/8/2006.