Tandis qu’un changement radical de la chaîne alimentaire de la baie d’Hudson favorise la présence d’épaulards au détriment possible des populations de bélugas et de baleines, au moins une population d’ours polaires tire parti de cette situation.
Des travaux de recherche présentés cette semaine lors du colloque scientifique ArcticNet 2016, à Winnipeg, suggèrent que les ours commencent à profiter des dépouilles échouées de baleines boréales, la nourriture de prédilection des épaulards.
« La recherche en est encore à ses balbutiements », constate le chercheur Gregory Thiemann de l’Université York, à Toronto. « Nous voyons de plus en plus de consommation de baleines boréales par les ours polaires au bassin Foxe. »
Selon les chasseurs inuits, les épaulards connaissent bien certaines régions de l’Arctique. Cependant, historiquement, les prédateurs marins ne s’étaient pas aventurés dans le secteur du bassin Foxe, situé au nord de la baie d’Hudson, entre l’île de Baffin et la presqu’île Melville, en raison de ses lourdes banquises épaisses.
Mais avec la disparition graduelle des banquises, « les épaulards se trouvent maintenant dans la région chaque été », rapporte l’étude de M. Thiemann.
Jusqu’à 7600 baleines boréales se réunissent également dans les riches aires alimentaires du nord-ouest de la baie d’Hudson et du bassin Foxe pendant la saison estivale. Les épaulards aiment bien se repaître des immenses bouches et têtes des baleines plus jeunes, et les restes des carcasses s’échouent éventuellement sur le rivage, au grand bonheur des ours polaires.

Trois ours polaires se nourrissent de la carcasse d’une baleine boréale. Photo : iStock
La fonte hâtive de la glace l’été fait que les mammifères terrestres ont beaucoup plus de difficulté à se trouver des morceaux de glace où se percher pour chasser des phoques. Les animaux affamés se nourrissent donc de tout ce qu’ils peuvent trouver.
« S’il y a une baleine boréale échouée sur le littoral, vous pouvez être certains que les ours la trouveront », soutient le scientifique.
M. Thiemann et ses collègues ont examiné le tissu adipeux de 103 ours polaires. Le tissu a été recueilli par des chasseurs inuits. Les scientifiques ont découvert que 56 % des ours polaires dans le nord du bassin Foxe ainsi qu’environ la moitié des ours polaires du détroit d’Hudson, qui se trouve tout près, avaient mangé de la baleine boréale.
Les baleines boréales étant trop grosses pour que les ours polaires puissent les assommer, les mammifères terrestres se sont probablement toujours rassasiés de dépouilles de baleines échouées sur les rives, postule le scientifique. Mais le pourcentage d’ours polaires au bassin Foxe ayant mangé de la baleine boréale est trop élevé pour que les ours profitent simplement de la mortalité naturelle des animaux marins, selon lui.
« C’est assez logique. Nous n’avons pas encore une image complète de la situation, mais au fur et à mesure que la population d’épaulards dans la baie d’Hudson augmente, l’incidence de la prédation sur les grosses baleines augmentera et plus il y aura de carcasses de baleine pour nourrir les ours polaires.»
Gregory Thiemann, scientifique de l’Université York
« C’est un système complexe et une histoire complexe », note le scientifique. « Il est très difficile de prédire comment ces interactions évolueront au fil du temps. »
Les jeux sont faits
Selon M. Thiemann, l’abondance de baleines boréales mortes pourrait expliquer pourquoi la population d’ours polaires du bassin Foxe demeure stable malgré la fonte des banquises arctiques.
« L’accroissement et l’abondance d’épaulards et de baleines boréales dans la région pourraient favoriser indirectement le succès des ours polaires dans leur recherche de nourriture, et ce, en dépit de la réduction des surfaces de glace de mer qui rapetisse de manière très importante l’habitat de ces derniers », confirme l’étude.

Un ours polaire bondit d’un morceau de glace à un autre dans l’Arctique. Photo : iStock
Toutefois, les ours n’ont trouvé qu’une solution provisoire à un problème qui menace leur existence.
« Les ours polaires ont catégoriquement besoin de glace pour chasser, rappelle Gregory Thiemann. Le déclin de l’habitat entraînera tôt ou tard le déclin de la population. »
Source : Radio Canada – Publié le 9 Décembre 2016 / Crédit photo à la une : iStock