Vocalisations basses fréquences, vibrations, frottements ou encore sauts hors de l’eau. Les scientifiques ne cessent de découvrir de nouveaux modes de communication chez ces mammifères marins aux mœurs étonnantes.

La découverte a ému les chercheurs : pour communiquer avec sa mère, le baleineau… « crisse » doucement contre elle. Un étrange langage bien à lui,  » comme si l’on frottait deux ballons l’un contre l’autre « , explique Simone Videsen, chercheuse à l’université d’Aarhus au Danemark, qui a participé à une vaste étude internationale parue en avril 2017 dans la revue Fonctionnal Ecology à propos de la baleine à bosse (Megaptera novaeangliae). Impossible en effet pour ce « bébé » – de 700 kilos à la naissance quand même ! – de « chanter » comme ses aînés : les orques, dont il est une proie de choix, rôdent… mieux vaut être discret. Les scientifiques supposent que ce bruit est produit par le corps du baleineau se frottant contre sa mère pour réclamer des soins, comme la tétée.

Des hydrophones dans les océans

Une conversation tout en retenue qui vient compléter le panel des moyens de communication complexes de ces mammifères déjà recensés par les chercheurs. Une liste qui ne cesse de s’allonger ! Ces découvertes ont été rendues possibles par la mise en place d’hydrophones implantés dans tous les océans du monde, comme ceux du réseau international LIDO (Listen to the Deep Ocean Environment) piloté par l’Université technique de Catalogne (Espagne) avec la collaboration de laboratoires en France, au Canada, au Japon… Ils ont permis de comprendre que le principal canal de communication entre adultes chez les quatre familles (pour 14 espèces) qui composent les « vraies » baleines (mysticètes ou cétacés à fanons) sont les vocalisations de basse fréquence (entre 7 Hz et 22 kHz). L’animal les obtient probablement en transférant de l’air entre son larynx et un organe spécifique du système respiratoire, le tout fonctionnant en circuit fermé, c’est-à-dire sans expirer. Cette technique permettrait à chaque individu d’émettre des signaux sonores sur des distances variables en fonction de paramètres telle que la température de l’eau.

La baleine bleue possède ainsi la « voix » la plus puissante de tout le règne animal. Elle est capable d’émettre des sons audibles sur plusieurs centaines de kilomètres sous l’eau, voire des milliers à condition que ceux-ci soient produits dans des zones particulières où les signaux sonores se trouvent piégés. Ces « couloirs » nommés chenaux acoustiques, se forment entre des couches de températures différentes, ce qui permet une propagation lente des vocalisations sur de longues distances. Chez certaines espèces de baleines, cette « mélodie », qui se traduit par la répétition d’une séquence sonore, est l’apanage des mâles, ce qui n’est pas le cas chez les baleines du Groenland (Balaena mysticetus) où les femelles ont aussi la parole comme l’ont découvert les chercheurs en 2011.

DIALECTES. La signification précise de ces vocalisations reste pour l’heure mystérieuse mais une chose est sûre : tous les groupes ne parlent pas la même « langue ». « Ces mammifères possèdent des dialectes, explique ainsi Flore Samaran, enseignante-chercheuse à l’École nationale supérieure de techniques avancées Bretagne (Ensta Bretagne), à Brest. Ainsi, les baleines bleues de l’hémisphère Sud (Balaenoptera musculus intermedia) ne produisent pas les mêmes signaux vocaux que celles de l’hémisphère Nord (Balaenoptera musculus musculus) qui sont de la même espèce, mais pas de la même sous-espèce. » Mieux ! appartenir à une même sous-espèce n’est parfois pas suffisant. « Chez les baleines bleues pygmées (Balaenoptera musculus brevicauda), les signatures vocales diffèrent suivant la répartition géographique », poursuit Flore Samaran.

Les scientifiques ont aussi observé que le « chant » peut évoluer simultanément chez chacun des membres d’un groupe, ce qui suppose une transmission culturelle, par apprentissage. Plus étonnant encore : les mâles d’une population de baleines à bosse peuvent changer de dialecte… d’une année sur l’autre. Ce phénomène inattendu a été démontré chez une population de cétacés évoluant dans l’océan Pacifique qui a entièrement changé son répertoire vocal pour adopter celui d’une population située dans l’océan Indien. Selon les chercheurs, cette modification s’est opérée après que plusieurs individus issus de la première zone géographique se sont inclus dans le groupe.

Mais la communication entre baleines ne se résume peut-être pas à l’onde de pression acoustique perceptible par le tympan de l’animal. À en croire une étude publiée en 2016 dans Biology Letters et menée par des chercheurs de l’Institut océanographique de Woods Hole (WHOI) aux États- Unis, elle serait aussi composée du mouvement des particules, c’est-à-dire de la vibration du milieu pendant le déplacement de l’onde sonore. Selon ce travail de recherche, ces vibrations sont toujours appréciables à 200 mètres de l’animal, permettant peut-être une communication particulière, à condition qu’elles soient perceptibles par l’oreille des mysticètes, comme semble le suggérer l’anatomie de cet organe, sans certitude pour l’heure.

Un catalogue de « figures » diversifiées

Les scientifiques parviennent également à affiner leur compréhension d’un autre mode de communication des cétacés à fanons : le saut (« breach ») dont le catalogue des « figures » s’enrichit lui aussi d’années en années. « C’est un saut spectaculaire au cours duquel quasi tout le corps de l’animal se projette hors de l’eau et retombe dans un fracas assourdissant sur le ventre, le flanc ou le dos », explique le docteur Frank Dhermain, vétérinaire, président du Groupe d’étude des cétacés de Méditerranée. Si la plupart des espèces de mysticètes le pratiquent, certaines le font plus régulièrement que d’autres avec, semble-t-il, des variations individuelles : ainsi, certains individus ont été vus sautant plus de 200 fois de suite. Impressionnant, car ces pirouettes sont particulièrement « énergivores » : une baleine à bosse consomme environ 1 % de ses forces dans chaque saut où elle émerge à près de 28 km/h. Cette espèce est par ailleurs l’une des grandes adeptes de ce comportement qui concerne paradoxalement « les cétacés les plus grands, les plus lourds, les plus lents et souvent les plus grégaires comme la baleine franche ou la baleine grise», note l’expert.

Là encore, la signification exacte de ces figures reste mystérieuse, les scientifiques en étant réduits aux hypothèses. Ainsi, Ailbhe Kavanagh et son équipe de l’École des sciences vétérinaires de l’université du Queensland (Australie) ont démontré en 2016 que les baleines à bosse sautent davantage lorsque le groupe le plus proche se trouve à plus de 4 km de distance et que la météo est défavorable, rendant les vocalisations moins audibles. Ces sauts seraient donc un moyen de secours pour communiquer. Selon Frank Dhermain, ces figures se produiraient également « sur des zones de reproduction ». Les mâles feraient-ils une démonstration de force visible et audible de très loin pour impressionner d’éventuels concurrents ou séduire les femelles ? Lorsque le corps de l’animal retombe dans l’eau, une puissante déflagration sous-marine résonne en effet sur plusieurs kilomètres, peut-être destinée à signaler sa présence. Mais, chez les femelles, ils pourraient aussi jouer un rôle entre la mère et son baleineau comme le rapporte Ailbhe Kavanagh : « Il semblerait que les membres des groupes comptant plusieurs mères et petits sautent davantage que les autres mais de nouvelles études seront nécessaires pour comprendre ce phénomène. »

Source : Sciences et Avenir – Publié le 15 Août 2017
Photo : commons.wikimedia.org

 

Loading...