Dans une vidéo tournée dans la nuit du 26 mars, l’ONG environnementale Sea Shepherd alerte quant au sort des dauphins sur la côte atlantique. Victimes de prises accidentelles dans les chaluts de pêches, les mammifères sont de plus en plus nombreux à s’échouer sur les plages.

Avec son pavillon noir, digne des meilleurs corsaires, Sea Shepherd (littéralement : les bergers de la mer) annonce tout de suite la couleur. Fondée par le charismatique et controversé Paul Watson, militant écologiste et antispéciste canadien, l’ONG est connue pour ses interventions coup de poings à l’encontre des baleiniers et autres prédateurs de la faune marine.

Les membres de la section française du mouvement dénoncent aujourd’hui les conséquences dramatiques de la pêche au chalut sur les dauphins. Dans une vidéo mise en ligne début de semaine, on peut voir plusieurs animaux pris dans un filet lors d’une remontée de chalut. Ainsi empêtrés, les mammifères succombent régulièrement par asphyxie, avant de venir s’échouer sur les côtes.

Tournées au large des côtes de Loire-Atlantique, ces images sont le résultat de l’opération « Dolphins By Catch », lancée par l’ONG pour alerter sur le sort des dauphins le long des côtes françaises. Entretien avec Olivier Blanchard, coordinateur officiel du groupe Sea Shepherd de la Rochelle et membre de l’opération.

Dans quel contexte ces images ont-elles été tournées ?

Olivier Blanchard – Nous étions une vingtaine à bord du Bob Barker [du nom de son principal donateur, producteur et animateur de télévision américain, NDLR]. Nous avons suivi les chalutiers toute la nuit pendant qu’ils tractaient leurs filets. Ce sont exclusivement des chaluts pélagiques dit « en boeuf », soit tirés par deux navires, pour garantir une ouverture maximale des filets. On a attendu qu’ils remontent leurs filets pour s’approcher à une quinzaine de mètres avec une vedette pour tourner ces images. La plupart du temps, lorsqu’ils sont pris dans les filets les dauphins meurent noyés, car ils restent longtemps sans pouvoir remonter à la surface prendre de l’oxygène. C’était le cas cette fois aussi, mais il y avait des survivants. On en a entendu un pleurer. On était tout près.

A combien sont estimées les morts de dauphins sur les plages françaises ?

De janvier à mars 2017, on a décompté 800 échouages de dauphins sur les côtes de Vendée et de Loire Atlantique. 90% de ces dauphins présentaient des marques de capture en filet : griffures, nageoires tordues, rostres cassés… Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. On estime que seuls 20% des dauphins qui meurent dans les filets des chalutiers sont retrouvés. Les 80% restant coulent, car les pêcheurs les éventrent avant de rejeter leurs cadavres à la mer. De cette façon, les gaz occasionnés par la décomposition s’échappent et les corps ne risquent pas de flotter. Ainsi, ils s’assurent que les dauphins ne soient jamais retrouvés.

C’est la première fois que vous menez une intervention de ce type sur les côtes françaises. Allez-vous continuer ce type d’action à l’avenir ?

C’est la première action de ce genre que nous menons en France, mais certainement pas la dernière. Nous comptons la réitérer tous les ans, jusqu’à ce que des mesures soient prises. Je suis allée en mission sur l’île de Taïji, au Japon, où a lieu tous les ans une « chasse au dauphin ». C’est connu et très médiatisé. Ce qu’on ne sait pas c’est que les pêcheurs français tuent plus de dauphins que le Japon et les îles Féroé réunis. C’est pour ça qu’on intervient. Au pied de chez nous des dauphins sont tués, et jusqu’ici personne ne faisait rien.

Comment expliquer des chiffres aussi élevés ?

Légalement, les pêcheurs ont l’obligation de déclarer les captures accidentelles, afin que l’on ait un aperçu des pertes occasionnées. Mais la législation a omis de nommer un organisme à qui déclarer ces captures. C’est comme si on vous demandait de faire votre déclaration d’impôts, mais que le Trésor Public n’existait pas ! Donc personne ne déclare rien et on fait comme si le phénomène n’existait pas. Tout le monde dans le milieu de la pêche est au courant de cet état de fait, les pêcheurs le sont, les membres de la direction des pêches et de l’aquaculture le sont, mais tout le monde l’accepte. Dans chaque congélateur de marin, il y a des bouts de dauphin.

Que préconisez-vous ?

D’abord, nous demandons que l’observatoire PELAGIS devienne l’organisme auquel déclarer les prises accidentelles et les échouages de dauphins. De cette façon, ont aurait une vue plus exacte de l’ampleur des dégâts. Car à partir de 4 000 décès de dauphins par an, ce qui est très en deçà de la réalité actuelle, on est au dessus du taux de renouvellement naturel des dauphins.

Ensuite, on encourage le développement d’une petite pêche artisanale, à base de bateaux de ligne ou « ligneurs », et l’interdiction des chalutiers pélagiques. Au plus gros de son rendement, un chalutier peut attraper jusqu’à 5 tonnes de bar par semaine, mais il emporte tout sur son passage. A l’inverse, un ligneur a un rendement maximal de 700 kilos. Il ne transporte qu’une dizaine de lignes, de cent hameçons chacune. Il peut cibler le type de poisson qu’il désire attraper, en adaptant l’appât, le lieu, l’heure de pêche. Il peut aussi rejeter à l’eau sans dommage les poissons trop petits ou les espèces non-désirées. Il ne prend que ce qu’il cherche. De plus, le poisson est de meilleure qualité, plus frais, moins abîmé que dans un filet où les poissons s’entassent et se blessent.

Enfin, nous demandons l’interdiction de la pêche au bar de janvier à mars sur les frayères, qui sont les zones de reproduction des bars.

Quelle est la réponse des pouvoirs publics ?

Le ministre de l’agriculture reconnait 4 000 décès de dauphins par an. Ils ont conscience du problème mais ce n’est pas suivi d’effets. Pourtant en France la capture est interdite, il faut faire appliquer la loi. On veut avant tout mettre les pouvoirs publics devant leurs responsabilités.

Sea Shepherd est connu pour ses interventions directes : sabotages, sabordages de navires…  Si la situation n’évolue pas, envisagez-vous d’avoir recours à ce type d’actions ?

A titre personnel, si je suis de nouveau témoin d’une capture, je n’hésiterai pas à me jeter à l’eau, même dans une mer à 9 degrés. On est formé pour ça et on sera équipé. On interviendra jusqu’à ce que les dauphins ne soient plus attrapés. Alors oui, la prochaine fois que je suis en campagne, je m’accrocherai au filet, je ne les laisserai pas repartir.

 

Propos recueillis par Camille Tidjditi

& publié sur le site « Les Inrockuptibles » le 1er mars 2018

 

 

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