Après huit ans sans la moindre observation de baleineau de rorqual bleu dans les eaux du Saint-Laurent, pas moins de six jeunes ont été recensés jusqu’ici cette année. Une rare bonne nouvelle pour cette espèce en voie de disparition, même si la situation soulève surtout plusieurs questions pour les scientifiques.
Jeudi dernier, René Roy, collaborateur assidu de la Station de recherche des îles Mingan (MICS), a observé sa quatrième « paire » formée d’une mère rorqual bleu et de son baleineau, dans un secteur de la Côte-Nord situé à environ 60 kilomètres en aval de Tadoussac. Une observation qu’il qualifie lui-même d’exceptionnelle. « En 20 ans, je n’en avais observé qu’à deux reprises, soit en 2003 et en 2007 », précise-t-il.
Le fondateur du MICS, Richard Sears, juge pour sa part que cette année 2018 est carrément « stupéfiante ». Ce scientifique, qui étudie le plus gros animal vivant sur la planète depuis près de 40 ans, rappelle qu’au fil des décennies, à peine 23 baleineaux avaient jusqu’ici été observés dans les eaux du Saint-Laurent.
D’ailleurs, pas un seul de ces jeunes géants n’avait été vu depuis 2008. Un signal « très inquiétant », d’autant qu’il existerait à peine 250 individus adultes dans cette population, selon les données publiées récemment par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.
« On espérait seulement en voir un pendant une saison, un jour. Ça faisait neuf années que nous n’avions pas vu de jeune. C’est très long. C’est donc très positif, surtout que ce sont des jeunes de femelles qu’on connaît dans certains cas depuis longtemps », souligne M. Sears.
C’est le cas de Jawbreaker, une femelle connue depuis 1991 et qui est cette année accompagnée d’un baleineau. « On la connaît bien, donc si elle avait eu d’autres veaux, on les aurait vus. » À l’opposé, une autre, cataloguée « B522 » par l’équipe du MICS, est une baleine recensée pour la première fois seulement en 2017. Preuve que les premiers mois peuvent être périlleux, même pour ces énormes mammifères, son jeune porte des marques d’une attaque d’épaulard.
Toujours des questions
Pour Richard Sears, cette année exceptionnelle est aussi « très intrigante », puisque le précédent « record » annuel de baleineaux bleus était d’à peine trois. La situation soulève donc plusieurs questions, d’autant plus qu’on ne sait pas précisément quand et où naissent les rorquals bleus. C’est à peine si leurs routes migratoires ont été esquissées au fil des décennies, malgré les efforts de recherche au Canada et le long de la côte Est américaine.
« Peut-être que 2017 était une bonne année d’alimentation pour ces animaux, et donc les femelles étaient suffisamment en forme pour se reproduire. Il faut que les femelles soient en très bon état pour se reproduire, mettre bas et nourrir leur jeune, qui consomme plusieurs centaines de litres de lait par jour », explique Richard Sears.
Il est vrai que le jeune rorqual bleu mesure déjà sept mètres à la naissance, après une gestation de 10 à 11 mois. Il engraisse de plus de 160 livres chaque jour et dépasse les 10 mètres au bout d’à peine quelques mois. Pour soutenir cette croissance rapide, la femelle doit puiser dans ses réserves de graisse pour nourrir son baleineau.
Réchauffement climatique
Pour Véronique Lesage, chercheuse à Pêches et Océans Canada, il importe plus que jamais de poursuivre les travaux de recherche sur cette espèce « en voie de disparition » pour comprendre comment la situation pourrait évoluer au cours des prochaines décennies.
Elle rappelle ainsi que chez d’autres espèces de cétacés qui fréquentent le Saint-Laurent, les dernières années ont amené leur lot de mauvaises nouvelles. C’est le cas, notamment, du béluga, qui semble être affecté par le réchauffement qui touche l’écosystème du Saint-Laurent.
« Au cours des prochaines années, des espèces pourraient en bénéficier et d’autres pourraient être affectées. Peut-être que la baleine bleue est une grande gagnante des changements climatiques. On ne le sait pas. Pour le savoir, il faudra continuer la recherche sur le taux de gestation chez les femelles bleues dans le Saint-Laurent. » Des projets sont d’ailleurs en cours, en collaboration avec le MICS.
En parallèle, Mme Lesage souligne l’importance de mieux comprendre la présence et l’abondance du krill dans le Saint-Laurent. Ce crustacé minuscule, essentiel à l’alimentation de l’imposant rorqual bleu, est de plus en plus convoité dans le monde. La pêche commerciale, en croissance rapide, pourrait un jour cibler le Saint-Laurent.
Source : LeDevoir – Publié le 20 août 2018
Photo de une : Pixabay