Début 2018, le monde découvrait dans la presse l’existence d’une zone morte de la taille de l’Ecosse dans le golfe d’Oman, entre l’Inde, le Golfe Persique et l’Afrique de l’est. Bien qu’impressionnante par son étendue, elle n’est pas unique au monde. Plus de 450 zones mortes peuplent les océans du globe et il ne s’agit que de celles dont nous avons découvert l’existence. Leur nombre réel pourrait être bien plus élevé.
Une zone morte, qu’est-ce que c’est ?
Derrière ce terme qui peut faire froid dans le dos se cache une réalité encore plus terrifiante. Une zone morte est une zone hypoxique, c’est-à-dire très pauvre en oxygène, et située dans un milieu aquatique. On peut donc en trouver dans la mer, l’océan mais aussi dans des lacs, des mares, etc. Ce déficit en oxygène démarre généralement à partir de 200 mètres au-dessous de la surface et jusqu’à 800 mètres. Mais ce peut-être encore plus étendu, comme pour la zone morte de la mer d’Arabie qui démarre dès 100 mètres de profondeur et jusqu’à 1 500 mètres. D’après le professeur Alain Saliot, de l’institut océanographique de Monaco,
« certaines zones mortes sont permanentes et d’autres épisodiques, ne durant parfois que quelques jours. Le plus souvent, elles se développent quelques mois dans l’année, le pic étant atteint au milieu de l’été. »
Les conséquences sur la faune et la flore
Un tel phénomène n’est bien entendu pas sans conséquence sur les animaux et les végétaux qui vivent dans ces milieux. Il faut savoir que la grande majorité des espèces ont besoin d’oxygène pour vivre, y compris les espèces marines. On l’oublie souvent, mais l’océan est censé être riche en oxygène. C’est d’ailleurs lui qui produit la plus grande quantité de dioxygène (O2) sur Terre, devant les forêts. Les poissons, par exemple, ont besoin d’une grande quantité d’oxygène dissous dans l’eau pour survivre : au moins 80 % du seuil de saturation. Ils absorbent l’O2 présent dans l’eau via un système respiratoire très différent des animaux terrestres. Alors que sur Terre l’oxygène est absorbé par l’organisme au niveau des poumons, chez les poissons cela se fait au niveau des branchies. Et ce n’est là que l’exemple des poissons mais tous les organismes vivant sous l’eau ont besoin d’O2.
C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle de zone morte dans les milieux très pauvres en oxygène – de 1 % à 30 % du seuil de saturation, donc bien en-dessous des 80 % nécessaires à la plupart des animaux marins. Dans ces zones, l’eau devient irrespirable. Les espèces se retrouvent prises au piège et celles qui n’arrivent pas à fuir suffoquent jusqu’à mourir. La seule solution pour y échapper : remonter au plus près de la surface plus riche en oxygène. Mais beaucoup d’animaux deviennent alors la proie facile des pêcheurs ou de gros prédateurs chassant près du niveau de la surface. Seuls quelques spécimens parviennent à s’adapter à ce milieu hostile, comme des bactéries, des méduses ou des vers marins. Pour y parvenir, ils doivent modifier leur métabolisme et leur comportement. Une prouesse que peu d’espèces sont capables de réaliser en un temps si court.
La formation de zones mortes peut également s’avérer dramatique lorsque cela se produit dans des endroits stratégiques pour la survie d’une ou plusieurs espèces. C’est le cas notamment dans les couloirs migratoires, sur les sites de reproduction ou dans les pouponnières.
Les facteurs responsables des zones mortes
Ce phénomène a de quoi inquiéter, d’autant qu’il s’intensifie. D’après une étude parue début 2018 dans la revue Science, l’océan a perdu 2 % de son oxygène depuis les années 1950. « C’est tout ? » pourraient répondre certains. Cette baisse de 2 % en soixante ans a pourtant suffi à multiplier par quatre l’étendue des eaux irrespirables sur Terre. Dans le détail, cela signifie que les zones mortes se sont étendues de 4,5 millions de km² depuis 1950. C’est plus que la taille d’un pays comme l’Inde.
Pour comprendre pourquoi les zones mortes gagnent du terrain, il faut regarder ce qui les crée. Plusieurs facteurs peuvent expliquer leur formation, mais la principale cause reste l’apport massif de fertilisants (azote, phosphore, matière organique) déversés dans les cours d’eau par l’Homme. Il s’agit généralement des engrais issus de l’agriculture. Les rejets d’usines et leurs produits chimiques font aussi partie du tableau. L’expansion des zones mortes est par ailleurs aggravée par d’autres facteurs, comme par exemple l’absence de réseaux de collecte et d’épuration dans de nombreuses régions du monde, ce qui empêche le traitement des eaux avant qu’elles ne regagnent la mer. Le réchauffement climatique joue lui aussi un rôle : en se réchauffant, l’eau retient moins l’oxygène mais surtout, cela empêche le phytoplancton de produire de l’O2. Une étude parue en 2015 montre en effet le lien entre la température de l’eau et le taux de production d’oxygène par le plancton végétal. Quelques degrés suffisent.
Source : Espèces Menacées – Publié le 24 août 2018
Photo de une : Pixabay