Dans les années 1990 et 2000, des scientifiques australiens ont été le témoin d’un apprentissage d’un genre nouveau chez des dauphins. L’un, qui avait appris à marcher sur la queue durant une brève captivité, a ensuite entrainé ses congénères à en faire de même.
C’est l’histoire d’un dauphin tursiops un peu trop sociable. En janvier 1988, Billie, c’est ainsi qu’il a été surnommé, a suivi quelques bateaux depuis son lieu de naissance, près d’Adelaïde, dans le sud de l’Australie. Pour finir dans une crique particulièrement polluée. Coincée, la femelle a été secourue par un parc local, qui l’a gardée quelques semaines avant de la relâcher dans la nature.
Pendant qu’elle récupérait, Billy a tenu compagnie à cinq autres dauphins de qui elle a semble-t-il appris un nouveau truc : le « moonwalk ». Nommé en référence à la célèbre danse popularisée par Michael Jackson, ce mouvement consiste pour les dauphins à se dresser sur leurs nageoires caudales (leurs queues) et à avancer avant de se jeter sur le dos dans l’eau. Appelé en anglais « tail-walking », il fait partie des tours appris aux dauphins en captivité et n’est quasiment jamais observé dans le milieu naturel.
Pourtant, Billie n’a apparemment eu besoin que de quelques jours pour saisir les subtilités du mouvement. Après avoir été relâchée dans les eaux de Port River, les observateurs ont ainsi eu la surprise de la voir, à de nombreuses reprises, se dresser sur sa queue. Elle pouvait même être aperçue allant à la rencontre des bateaux, tout en évoluant sur sa nageoire arrière.
Mais ce qui n’a pas tardé à étonner les spécialistes, c’est que ses congénères ont rapidement suivi le mouvement. « Nous avons là un bel exemple du mimétisme et du partage des connaissances chez les dauphins », explique Mike Bossley au site The Atlantic.
Une mode qui appartient désormais au passé
Le plus étonnant, dans l’histoire, c’est que seules les dauphins femelles semblent avoir adopté la mode du moonwalk, pour des raisons qu’on ignore encore, d’après une récente étude parue dans la revue Biology Letters. A la mort de Billy en 2009, Wave, une autre femelle, a repris le flambeau avec une intensité surprenante.
« Elle a commencé à le faire tout le temps. Le nombre impressionnant de fois où elle se dressait sur sa queue a certainement influencé d’autres dauphins à le faire », explique Luke Rendell de l’université de St Andrews.
Alors qu’en 2011, jusqu’à une dizaine de femelles réalisaient ce tour, la mort de Billy puis celle de Wave en 2014 ont fait passer ce phénomène de mode. Cette année, seuls quelques animaux le pratiquent encore, de temps à autre. Les scientifiques sont tout de même étonnés que cette technique ait pu passer une, voire deux générations, alors qu’elle n’apporte rien aux dauphins et s’avère même particulièrement énergivore. Ce qui est transmis est généralement utile pour la recherche de nourriture.
C’est la première fois qu’un tel phénomène de transmission est observé chez cette espèce, le grand dauphin de l’océan Indien (Tursiops aduncus). Si cette capacité des dauphins à se transmettre les infos de génération en génération a déjà été observée à plusieurs reprises, elle ouvre des perspectives bien plus grandes pour les scientifiques.
Un comportement culturel peu étudié sur le long terme
« La transmission rapide de comportements appris d’un congénère est beaucoup plus efficace que le processus de sélection naturelle, qui peut être un avantage, ou un inconvénient, suivant de quel type de comportement on parle », relève Philippa Brakes, éminente spécialiste des cétacés en Australie. Le comportement culturel demeure, chez les dauphins comme chez les baleines, assez peu étudié notamment parce qu’il requiert de longues périodes d’observations.
Pourtant, ce facteur présente d’importantes implications dans le domaine de la conservation. « En apprendre davantage au sujet de la transmission sociale du comportement nous aide à prédire comment les différentes espèces peuvent répondre aux changements dans leur environnement », poursuit Philippa Brakes, co-auteur de l’étude du Whale and Dolphin Conservation.
« Une fois encore, nous voyons l’importance d’être capable d’étudier les cétacés sur des périodes étendues qui signifient quelque chose au regard de leurs longévités », conclut de son côté le Dr Rendell qui a également participé aux recherches.
Source : Maxisciences – Publié le 10 octobre 2018
Photo de une : Pixnio